Jacques Toubon : « Je suis très favorable aux enregistrements vidéo »

Dossier contrôles d’identité. Garant de la lutte contre les discriminations, du respect de la déontologie des activités de sécurité, le Défenseur des droits possède une place unique dans la République. Dans cette interview exclusive, nous lui avons demandé quelles réformes il préconise afin d’améliorer les relations entre les habitants des quartiers populaires et la police.
Lors de votre nomination au poste de Défenseur des Droits, vous avez été vivement critiqué par des politiques de gauche et du centre. Depuis, les critiques se sont transformées en louanges. Comment expliquez-vous cette réussite ?

La question n’est pas pour moi de revenir sur de pseudo-polémiques. L’essentiel est le bilan que je peux produire à l’issue d’une activité intense depuis douze mois que je suis en fonction. Dans tous les secteurs de notre compétence, nous avons fait entendre notre voix sur les grands sujets (contrôles d’identité, droits des étrangers, discriminations au travail, droits des personnes handicapées, intérêt supérieur de l’enfant, droits sociaux…) qui ont agité la société. Et nous avons défendu les droits et libertés des quelque 100 000 personnes qui nous ont saisies. Si vous tenez à parler de réussite, c’est sur la base de ces résultats concrets qu’il faut se fonder.

Vous avez été ministre de la Culture de 1993 à 1995. La culture urbaine dans les quartiers populaires s’exprime régulièrement contre la police (et les autres symboles de l’État). Quelle est la raison de cet antagonisme ?

Mes fonctions actuelles me conduisent surtout à réfléchir sur les moyens qui permettront à ce que vous nommez les quartiers de sortir de ce que j’appelle la relégation territoriale, qui n’est pas suffisamment prise en compte et qui porte en elle les germes du délitement de notre société. La question de la violence va bien au-delà de la seule question des rapports entre citoyens et forces de l’ordre. Nous devons faire face à des sentiments de frustration et de non-appartenance qui relèvent d’une crise générale de nos sociétés européennes.

« Des réponses concrètes en matière de défense des droits et libertés »

Les saisines du Défenseur des droits sont en constante augmentation. Pourquoi ? Vous faites des propositions et des recommandations. Votre pouvoir n’est-il donc que symbolique ?

À mon sens, la grande réussite de l’institution du Défenseur des droits est précisément de ne pas avoir été imaginée par le législateur comme un organe symbolique, une seule force morale. Nous sommes dotés de pouvoirs réels qui nous permettent chaque jour d’obtenir des résultats tangibles : quand une femme est rétablie dans ses droits alors qu’elle a été discriminée dans son emploi après un congé de maternité, quand un enfant handicapé peut suivre sa scolarité en milieu ordinaire ou encore quand une personne âgée peut obtenir sa pension de retraite en temps et en heure, nous sommes là bien loin du seul symbole. Nous sommes au contraire dans des réponses concrètes en matière de défense des droits et libertés. Pour faire respecter l’État de droit, je mets en œuvre la force du droit. Mon efficacité repose aussi sur la présence dans tous les départements de 400 délégués du Défenseur qui accueillent et aident tous ceux et celles qui s’adressent à eux.

Il existe très peu d’études sur les contrôles au faciès. Comment expliquez-vous ce manque de données ? Le récépissé pourrait-il être un bon outil afin d’étudier les pratiques policières ?

Le Défenseur des droits a publié dès octobre 2013 un rapport sur les modalités des contrôles d’identités, puis un second en mai 2014 sur les rapports entre police et citoyens. Nous avons établi une douzaine de propositions dont certaines ont été retenues, à l’instar du rétablissement du matricule sur l’uniforme des policiers. Plus significatif encore, j’ai été amené à déposer des observations devant la Cour d’appel de Paris au soutien de 13 jeunes qui estimaient avoir fait l’objet de contrôles d’identité discriminatoires en raison de leurs origines. Le 24 juin 2015, reprenant le raisonnement et l’argumentation du Défenseur, la Cour d’appel a condamné financièrement l’État. C’est une première qui ouvre des perspectives nouvelles.

« La réforme de l’IGPN est une démarche de transparence »

Vous soutenez la mise en place d’un récépissé délivré lors de chaque contrôle d’identité. Quels seraient les atouts de ce dispositif ?

ARTICLE

Le récépissé : Solution ou gadget ?

En octobre 2013, le débat portait uniquement sur le récépissé. Le Défenseur des droits, dans son rapport, avait envisagé d’autres formules, au vu des expériences étrangères, et suggéré que soient lancées des expérimentations régionales.

Constatez-vous un changement concret des pratiques de la police depuis les réformes de 2014 ? Qu’ont changé l’apparition du matricule sur l’uniforme et le fait que les citoyens ont aussi désormais la possibilité de saisir directement l’IGPN, la « police des polices » ?

La réforme de l’IGPN constitue une démarche de transparence qu’il convient de saluer. Un changement de mentalité ne se décrète pas. L’évolution des esprits requiert de la durée. Il sera nécessaire de dresser, le moment venu, un bilan des dispositifs en place.

Que pensez-vous de l’installation de caméras sur chaque voiture de police, ou sur chaque policier ?

Je suis très favorable aux enregistrements vidéo qui donnent un sentiment de sécurité à la fois aux agents des forces de sécurité et aux personnes qui sont en contact avec eux.

Faut-il plus de policiers sur le terrain et moins dans les bureaux ?

Certainement. Les policiers se plaignent à juste titre du fait qu’ils consacrent trop de temps à faire des papiers et pas assez à être aux côtés de la population. C’est d’ailleurs la crainte d’alourdir encore ces tâches administratives qui est un des freins à l’encadrement des contrôles d’identité.

 

Consultez notre dossier sur les contrôles d’identité

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