Ces banlieues lyonnaises championnes de l’abstention

Au premier tour des élections municipales, Vaulx-en-Velin décrochait le titre peu envié de ville la plus abstentionniste de France. Sur les deux tours, la ville atteint 59,41 % d’abstention, quand Vénissieux et Villeurbanne atteignent respectivement 54,07 % et 53,65 %. Une abstention importante qui s’est enracinée au fil des élections locales et qui révèle une prise de distance entre la population des communes populaires et ses représentants locaux.

Isoloir vide calystee by flickr cc
Isoloir vide. ©Photo calystee by flickr cc

Au lendemain des Municipales, les chiffres de l’abstention sont éloquents : 38,72 % des Français ne se sont pas déplacés pour voter. Et lorsque le taux d’abstention national est fort, il l’est d’autant plus dans les communes populaires, qui fonctionnent comme une caisse de résonance du phénomène national. L’abstention à Vaulx-en-Velin, Vénissieux et Villeurbanne reflète également les réalités d’un département qui vote peu (45,65 % d’abstention au second tour). La commune de Vaulx-en-Velin atteint 59,41 % d’abstention sur les deux tours, quand Vénissieux et Villeurbanne atteignent respectivement 54,07 % et 53,65 % d’abstention. Impression

Des facteurs économiques et politiques

Le contexte socio-économique de Vaulx-en-Velin, Vénissieux et Villeurbanne n’est pas sans expliquer la forte abstention aux élections locales. Céline Braconnier est Professeure d’Université en Sciences politiques à l’Université de Cergy-Pontoise, elle travaille sur les comportements électoraux (1) : « Les facteurs sociologiques de l’abstention sont très marqués dans les banlieues populaires (…) Le chômage, la fragilité économique sont des facteurs d’abstention. Les jeunes, qui sont une population importante des quartiers populaires, sont très touchés par le chômage », nous dit-elle. Les jeunes se sont effectivement peu mobilisés lors de ces élections : une étude Anacej-Civic Planet a révélé que 55 % des 18-25 ans ne s’étaient pas déplacés voterMais l’abstention est également révélatrice d’une prise de distance des citoyens vis-à-vis de la politique. « La déception [à l’égard de la politique, NDLR] est accrue par un facteur conjoncturel, qui est la déception à l’égard de Hollande. Globalement, ça se greffe sur un facteur plus structurel qui est le désenchantement à l’égard de la politique de façon générale et qui se diffuse depuis plusieurs décennies », nous explique Céline Braconnier. D’ailleurs, toujours selon l’étude Anacej-CivicPlanet, 71 % des jeunes qui se sont abstenus l’ont fait à cause des « mensonges des hommes politiques », preuve d’un manifeste manque de confiance vis-à-vis de la classe politique. En 2013, Marine Schaefer (alors étudiante à l’IEP de Lyon) avait mené une étude sur le vote dans les ZUS (Zones Urbaines Sensibles) (2). Elle avait effectué un travail de terrain à Rillieux-la-Pape, Vaulx-en-Velin et Saint-Priest. Selon elle, une certaine « confusion idéologique » serait en partie responsable du désintérêt des populations pour la politique. « Quand on regarde le programme du PS, de l’UMP, on ne peut pas dire que c’est kif-kif, mais il y a des ressemblances, notamment sur les points libéraux. On retrouve cette confusion lorsqu’on discute avec les gens, notamment les jeunes qui se placent aléatoirement sur l’échiquier politique. Quand les différences entre les partis étaient plus marquées, à mon sens c’était plus évident pour les gens de s’engager en politique », explique-t-elle. Une hypothèse contredite par Michèle Picard, Maire PCF fraîchement réélue à Vénissieux : « La droite et la gauche, ce n’est pas pareil. À force de dire “tous pareil” (…) l’électorat est très volatile. Les mêmes qui ont voté contre Sarkozy en 2012 ont voté à droite aux dernières municipales ». Dans ces communes populaires déjà peu enclines au vote, le moindre obstacle est un frein à la mobilisation : la mauvaise inscription sur les listes électorales, la mauvaise connaissance des données politiques ou encore la médiatisation moindre dont bénéficient les élections locales. Impression

Des initiatives vitrines contre l’abstention

Les municipalités, conscientes d’un phénomène qui pourrait les désavantager électoralement, mettent en place des dispositifs de lutte contre l’abstention. La ville de Vénissieux organise une cérémonie officielle avec remise de la carte d’électeur à 18 ans, de même que Villeurbanne. Ces villes font participer les enfants dès l’école primaire à la vie de la commune par le biais du Conseil Municipal des Enfants (CME), le but étant que les futurs votants intègrent le plus tôt possible les notions de citoyenneté. Mais ces dispositifs sont bien insuffisants. Consciente de cet enjeu, Michèle Picard a annoncé la création d’une commission de lutte contre l’abstention. Si les contours en sont encore flous, nous pouvons saluer l’initiative, inédite dans l’agglomération selon nos informations. Pour la maire de Vénissieux, un des leviers de la lutte contre l’abstention serait l’éducation populaire : « Ça fait 20 ans qu’on casse l’éducation populaire dans notre pays. L’abstention est la conséquence de cela (…) Il y a actuellement un manque chez les militants, les syndicats, les militants associatifs. Parce qu’on a cassé les collectifs. Si on recrée les collectifs, on crée une analyse. Ce qui apporte plus de votes (…) Avant, les parents étaient à la PEEP ou à la FCPE. Maintenant, ils se mettent en association et ne sont affiliés à rien. Ils se battent pour l’intérêt de leurs enfants, mais pas pour l’intérêt collectif et général. » Car pour l’heure, ce sont les partis politiques qui se chargent de lutter contre l’abstention, notamment par un travail de terrain (prospectus dans les boîtes aux lettres, campagnes de communication, porte-à-porte) pour inciter les citoyens à s’inscrire sur les listes électorales et surtout récupérer les votes des plus indécis. visuel villeurbanne

Le tissu associatif comme acteur de la mobilisation électorale ?

À Roubaix, ville fortement impactée par l’abstention, le tissu associatif local s’est mobilisé pour inciter la population à voter (« Je pense donc je vote », « Loisirs populaires »), mais dans nos villes, force est de constater que ce n’est pas le cas. À Vaulx-en-Velin, des associations citoyennes se sont créées, comme Le choix Vaudais – Force citoyenne solidaire en 1995. Mais elle est depuis devenue une formation politique qui a présenté des listes autonomes aux municipales de 1995 et de 2001. Il en va de même pour Convergence citoyenne, toujours à Vaulx, qui avait grandement aidé à mobiliser les jeunes électeurs notamment après les émeutes de 1990… Avant de monter une liste autonome en 1995. Ces deux formations sont proches politiquement d’Hélène Geoffroy, la maire PS récemment élue. Toutes ces associations se sont donc à terme politisées mais pourtant, le rôle de telles associations semble indispensable pour renouer un dialogue entre citoyens et politiques (à Roubaix, « Je pense donc je vote » organisait par exemple des cafés citoyens où étaient conviés des candidats sur les listes municipales pour discuter des thèmes de campagne). Pour Céline Braconnier, la lutte contre l’abstention passe à la fois par une amélioration des conditions de  vie dans ces communes, mais également par le biais des associations : « Ce n’est pas ça (le porte-à-porte des politiques, NDLR) qui va changer la courbe de l’abstention. Il faut recréer du tissu, il faut des choses pérennes. Il faut restructurer la vie associative des quartiers, rétablir un lien entre la vie civique et la vie associative. (…) Il n’y a plus de prise en charge par le milieu associatif, de rappel à l’ordre civique comme il pouvait y en avoir dans les années 80 ». Instaurer du lien social et mobiliser les habitants autour de projets locaux pourraient être des leviers contre l’abstention dans ces communes. Pour Michèle Picard, ce sont des moyens qui pourraient surtout réconcilier les citoyens avec la politique : « La société tout entière (associatifs, conseils de quartiers, etc.) doit se saisir de cette question. Mais pas seulement. Il faut redonner aux gens l’envie de voter sur des projets et des perspectives politiques. Le vote doit être inclus dans cette citoyenneté », conclut la maire de Vénissieux. A quelques semaines des Européennes, nous pouvons craindre une abstention record. A moins que les électeurs ne se réveillent… (1) « La démocratie de l’abstention : Aux origines de la démobilisation électorale en milieux populaires. » Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen. Editions Folio actuel. 494 ages (2) Etude réalisée pour l’association Maires des villes et banlieues de France sur le vote dans les ZUS (Zones Urbaines Sensibles). A l’époque Marine Schaefer était étudiante en Master de Politiques Publiques à l’IEP de Lyon

Marie Albessard

mariealbessard@yahoo.fr

Voir tous les articles de Marie Albessard →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *