Le boxeur albanais Kristian Matija qui a déjà relaté son parcours de demandeur d’asile au LBB n’a pas terminé son combat pour la régularisation. Un scénario impliquant associations, administrations et institutions, mais dont l’humanisme de son manager Saadi Mechiche tient la tête d’affiche. Il permet également de mieux comprendre les rouages d’un système peu connu. Plongée dans la réalité des demandeurs d’asile.
En aller simple, les voyages sans escales ne sont pas forcément les plus haletants. Ponctués d’épisodes ou d’épreuves parmi les plus pénibles, ils deviennent plus prenants. La vie de Kristian Matija (23 ans), réfugié politique et boxeur professionnel albanais rencontré il y a quelques jours à La Plaine des Jeux de Gerland est un roman en plusieurs volumes.
Il a remporté son deuxième combat professionnel dans la catégorie super-léger le 4 avril dernier à Saint-Chamond contre Mehdi Kassimi et se prépare désormais à affronter le champion du monde de boxe française et de boxe thaïe Modibo Diarra en juin prochain. Un aboutissement pour son entraîneur Saadi Mechiche qui est parvenu à le sortir des ponts de Perrache.
C’est là que trois cents demandeurs d’asile albanais, dont quatre-vingt-dix enfants ont été délogés (pont Kitchener) le 18 novembre 2013 pour être pris en charge par les associations comme Forum des réfugiés-Cosi ou Adoma.
Après l’euphorie des progrès techniques, physiques et linguistiques, les choses se sont compliquées ces derniers jours pour le boxeur.
En décembre 2013, il effectuait une première demande d’asile et essuyait un premier refus avant de faire un recours un mois plus tard auprès de l’OFPRA via le Forum des réfugiés-Cosi. C’était encore un échec. Selon Saadi Mechiche : « Son cas ne relevait pas de dangerosité. »
Le Forum des réfugiés : une main tendue à la frontière
Les dirigeants du Lyon Boxe ne se sont pas inquiétés, car ils connaissent l’engagement du Forum des Réfugiés-COSI basé à Lyon (8ème) et créé en 1982. Il apparaît comme un interlocuteur privilégié gérant l’accueil, la protection et l’accompagnement des réfugiés dans le cadre de la convention de Genève de 1951. Les droits de l’homme demeurent donc le vecteur principal de cette association qui participe à de nombreux réseaux associatifs et compte des bailleurs de fonds comme l’ONU, la communauté européenne, l’organisation internationale de la francophonie ou l’office français de l’intégration et de l’immigration.
Le service de communication confirme que « la structure accompagne 1000 personnes par jour. La procédure de demande est laborieuse et complexe. Il est préférable pour eux d’être accompagné, mais les principales manœuvres passent par l’OFPRA (office français de protection des réfugiés et apatrides). »
Celui-ci est décrit dans son site « comme un établissement public doté de l’autonomie administrative et financière, chargé de l’application des textes français et des conventions européennes et internationales relatifs à la reconnaissance de la qualité de réfugié, d’apatride et à l’admission à la protection subsidiaire. »
C’est l’OFPRA qui dresse la liste des pays d’origine — comme Le Cap-Vert ou La Moldavie — établie par la loi du 10 décembre 2003. Votée alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur, celle-ci a donc été déterminante pour la demande de Kristian.
À noter que son conseil d’administration du 26 mars dernier a retiré l’Ukraine de cette liste suite aux récents évènements politiques.
Les réalités de l’administration française
Kristian se lance dans un troisième round où il effectue une demande de carte de séjour le 16 avril dernier qui sera acceptée à titre provisoire jusqu’au 15 aout. Un avocat commis d’office et basé à Paris lui est octroyé.
« Durant toute la procédure, nous n’avons eu aucune nouvelle de Maître Rokaya malgré nos mails ou nos différents appels. » Raconte Saadi Mechiche. « Elle a toutefois défendu son dossier à la va-vite. Comme si les gens n’étaient en fait que de la chair à canon ! »
« Je m’attendais à ce que l’administration française pose des problèmes. En Albanie, ce n’est pas le même système avec la corruption ! » Ironise Kristian.
« J’étais déçu, mais confiant raconte Kristian. Les papiers sont très importants pour moi. Ce sont des clés pour le travail et le logement. Mais Saadi m’a aidé à me concentrer sur le combat du 4 avril. Et puis j’ai toujours le soutien de ma famille. »
Ce dernier a été invité à quitter son hébergement de la place Gabriel Péri (Lyon 3ème), lundi dernier « suite à la convention le liant à la au droit national et international. »
À Lyon Boxe, on n’est pas du genre à se laisser démonter. La circulaire sur les sans-papiers de Manuel Valls alors ministre de l’Intérieur entrée en vigueur en janvier 2013 a été lue de long en large. « N’ayant pas vocation à augmenter les régularisations », celle-ci exige une présence de cinq ans sur le territoire français pour obtenir le sésame.
D’après un article publié dans Le Point en novembre 2012, François Hollande avait répété durant sa campagne présidentielle : « Il ne s’agit pas de régulariser en masse comme en 1981 (131 000 étrangers régularisés) ou 1997 (80 000), même si la circulaire entraînera peut-être dans un premier temps une augmentation ponctuelle des régularisations. »
En novembre 2013, 46 000 sans papiers étaient régularisés après la fameuse déclaration de l’actuel premier ministre du mois de janvier de la même année : « les Roms ont vocation à rester en Roumanie ou en Bulgarie ou à y retourner. » Cette citation ayant provoqué un tollé et attiré les foudres des médias et de la classe politique.
Un gain d’espoir pour un papier
Saadi Mechiche perçoit une brèche, mais demeure pragmatique :
« Il y apparaît que les artistes ou les sportifs apportant une compétence peuvent faire une demande de carte de séjour. Les choses se sont bien passées, car le dossier a été pris en compte par la préfecture du Rhône. Rien n’est gagné, on l’a obtenu, mais avec une interdiction de travailler. L’association n’a pas la possibilité pour l’instant de l’employer, mais il peut toutefois percevoir ses bourses de boxeur pro, car cela ne relève seulement que de la fédération française de boxe. »
Une victoire amère qui coûte une prise en charge sociale improductive de cet athlète. Kristian se rappelle que les compatriotes qu’il côtoyait sous les ponts « demeuraient un an en moyenne en situation irrégulière. Mais il y avait aussi beaucoup de vols et de trafics de papiers. »
Le combat juridique et administratif n’est pas terminé, mais tous les licenciés du Lyon Boxe se sont rassemblés autour de cette cause. Reste pour Kristian Matija à marquer l’histoire du club de ses enchaînements…