A la veille de la commémoration de la Révolution hongroise de 1956, la rédaction a choisi de vous faire revivre le reportage de l’un de ses blogueur à Budapest, il y a tout juste un an. Ce jour là, Bruno Gollnisch (FN), ancien porte-parole de Jean-Marie le Pen et ancien doyen de l’Université de droit de Lyon 3, était l’invité d’honneur du Jobbik, formation d’extrême droite et troisième force politique du pays. A six mois des élections législatives hongroises 2014, ce parti recueil environ 15% des intentions de votes.
Bien que l’automne ait déshabillé la plupart des arbres, il règne – en ce 23 octobre – comme un air d’ « été indien », où plutôt comme on dit à Budapest, un « été des grands parents ». Certains osent même le bermuda. Ici et là, stands de nourriture hongroise et tireuses à bière ornent les trottoirs. En ce jour national, les drapeaux Magyars sont de sortie. Les étendards expriment la fierté d’un peuple qui, en octobre 1956, s’est rebellé contre le joug de l’URSS avant d’être violemment réprimé par l’Armée Rouge, le 4 novembre de la même année. En dépit de l’indifférence politique des pays occidentaux embourbé dans la crise de Suez, un véritable élan populaire international s’était formé pour soutenir le peuple hongrois.
Pour certains, cette insurrection constitue la genèse de l’engagement politique, à l’instar de Bruno Gollnisch, ancien directeur de la campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen, en 2002. L’universitaire (ancien doyen de l’université Lyon III) affirme que cet événement « constitue mon premier souvenir politique ».
Nationalisme
Le Jobbik, troisième force politique du pays avec 47 sièges dans un parlement dominé par le Fidesz du Premier ministre Viktor Orban – n’a pas manqué l’occasion de réaffirmer ses thèses nationalistes lors de cette commémoration. Sur la place Deák Ferenc, la manifestation rassemble tous les âges. La jeunesse y est bien représentée. Elle se retrouve aussi dans les meetings du Front national, comme l’indique la dernière campagne présidentielle de Marine Le Pen. C’est le signe que les idées ultra patriotiques s’imprègnent dans l’ensemble des franges des sociétés, loin de la sclérose des années précédentes.
Pour Majoros István, directeur du département d’Histoire contemporaine à l’Université Eötvös Loránd, la plus ancienne et prestigieuse du pays, certaines facultés hongroises représentent un terreau favorable à l’expansion des idées du mouvement Jobbik. Ainsi, des cadres de ce mouvement ont effectué leur formation universitaire à Eötvös Loránd, comme l’actuel président du parti, Gabor Vena ou encore István Szávay, qui siège actuellement au parlement hongrois.
Stratégies européennes communes
A 15 heures, le lieu de la manifestation est bondé. M. Gollnisch, président de l’Alliance européenne des mouvements nationaux (AEMN), est l’invité l’honneur de ce meeting, à la suite du congrès annuel qui s’est déroulé à Hédervár (Hongrie). Cette organisation politique regroupe quatre partis européens d’extrême droite, dont le Jobbik (Hongrie), le Fiamma Tricolore (Italie), le British National Party (BNP) et le Parti National Démocratique (Bulgarie) ainsi que de nombreuses personnes physiques de plusieurs pays européens. Il faut noter que le Front national avait choisi de quitter cette organisation sur décision de Marine Le Pen, à la suite de son élection à la tête du parti le 16 janvier 2011. Cependant, des liens persistent toujours entre le FN et ses homologues européens, notamment sur le plan parlementaire.
Le message de soutien de Jean-Marie Le Pen, Président d’honneur du FN – diffusé le 24 octobre, exprime la persistance des relations : « Je tiens à saluer vos efforts pour coordonner votre action tendant à la défense du patrimoine matériel, moral et spirituel de chacune de nos nations, dont la diversité, l’indépendance et l’égale dignité est l’un des plus précieux apports de la civilisation européenne. »
M. Gollnisch, en coulisse, en profite pour échanger quelques mots avec des cadres du parti Jobbik, comme Krisztina Morvai, également députée européenne, qui va le précéder à la tribune. Ces rencontres entre différents partis continentaux membres de l’Alliance sont des moments privilégiés afin d’établir les points d’accords et les stratégies communes. Ainsi, on peut distinguer plusieurs dénominateurs communs à l’ensemble des mouvements d’extrême droite européens. A savoir : la défense de l’identité nationale, le refus d’une ouverture indistincte des frontières à tous les flux (de capitaux, de personnes et de marchandises), l’attachement aux valeurs traditionnelles de la civilisation européenne et le refus de l’évolution actuelle de l’Union européenne (UE) vers une espèce de super Etat.
Ces réunions permettent de fomenter des idées concrètes, comme l’affirme M. Gollnisch : « il ne suffit pas de dire que nous sommes contre l’immigration, il faut donner une réponse commune à comment nous allons aider les peuples du tiers-monde à rester sur leurs terres, ce qui est la démarche naturelle de ceux qui ont assez à boire et à manger ». En outre, l’un des objectifs communs et prioritaires de ces mouvements est de lutter « contre la désinformation » à laquelle sont sujettes ces partis, selon M. Gollnisch. En somme, une vieille rengaine de l’extrême droite.
Le dessein de cette alliance consiste aussi dans la mise en place d’une coopération lors des campagnes politiques nationales, dont l’objectif avoué est d’acquérir le pouvoir, loin des hésitations auxquelles s’était heurtées Jean-Marie Le Pen lorsqu’il était en posture favorable. Actuellement, un des points de la lutte commune s’articule autour de la nécessité de modifier le type de scrutin, aussi bien en France qu’en Hongrie. Les partis d’extrême droite critiquent en effet le scrutin uninominal et militent pour un suffrage à la proportionnelle, plus à même à contrer cet « ostracisme politique » selon certains cadres. En effet, en 1986, après le passage au scrutin proportionnel, promesse de campagne de François Mitterrand, le Front national entra à l’Assemblée en obtenant 35 sièges. Dans une autre logique, le combat commun tente d’imposer l’obligation d’organiser un référendum lors de nouveaux traités européens. Une hostilité à l’Union Européenne (UE) qui se retrouve dans les rangs des militants, comme le montre les nombreux slogans arborés lors de la réunion du Jobbik, dont la chancelière allemande est souvent la cible «Merkel ne peux pas tout faire, assez de l’UE » ou en encore « membre (de l’UE ndrl) ou libre ? Non à l’Union. ».
Politique de l’autruche
Les vecteurs communs sont donc clairement identifiables. Ce n’est pas la même chose quant aux points de désaccords. Et cela permet de mettre en lumière un double discours. Le président de l’Alliance se cache derrière le principe de non-ingérence dans les affaires politiques des autres pays pour esquiver le débat, affirmant ainsi qu’ « à partir du moment où (on) ne s’en mêle pas, il n’y a pas de divergence ». Cette politique de l’autruche permet de passer sous silence certains sujets sensibles, comme la position antisémite de certains députés du Jobbik, dans un contexte de tentative de dé-diabolisation des partis européens d’extrême droite.
Bien que le credo initial soit la neutralité en terme de discours intérieur, M. Gollnisch se laisse aller à une confidence après (ma) une question sur la résurgence de la garde hongroise, affichant ainsi clairement le paradoxe de la politique qu’il défend. Il n’hésite pas à prendre parti pour cette milice dissoute en juillet 2009 par la Cour d’appel de Budapest mais qui s’est reconstituée sous le nom de « nouvelle garde hongroise », menant une politique agressive à l’encontre des minorités tziganes. Le député européen français estime que ce « groupe paramilitaire » est légitime dans la mesure où il y a – selon lui – une insécurité dans les provinces et que cette organisation répond à un besoin de la population. Il critique au passage implicitement la politique sécuritaire du gouvernement en se questionnant sur son efficacité.
Puis, pour asseoir le bien-fondé de ce groupuscule, M. Gollnisch se laisse aller à une remarque inquiétante : « Je sais qu’il y a plusieurs secteurs en France dans lesquels je serais plutôt heureux d’avoir quelque chose comme la garde hongroise ».
Le discours de l’invité d’honneur du Jobbik a duré un peu moins de cinq minutes, mais a représenté un concentré de nationalisme exacerbé : Mise en cause de l’immigration massive, critique de l’UE sur fond de mégalomanie : « La nation hongroise qui a donné au monde tant de héros, de saints, de martyrs de la liberté, n’a pas d’ordres à recevoir de Bruxelles ! ». Mais également la défense des valeurs traditionnelles : « Vous avez le droit de faire référence à votre héritage spirituel chrétien dans le préambule de votre constitution ». Et enfin, utilisation des douleurs de l’histoire nationale pour assurer son succès, devant un parterre de militants séduits : « Votre présence montre que, si l’injuste et affreux traité de Trianon a dépecé la Hongrie, il n’a pas tué le courage des Hongrois ! ». L’orateur fait ici référence au traité d’après-guerre de 1920, imposé par les puissances victorieuses et qui amputa la Hongrie des 2/3 de son territoire, sur fond d’humiliation.
M. Gollnisch conclut ainsi son allocution « Patriotes de tous les pays, unissez-vous ! ». Paraphraser Karl Marx un jour de commémoration de l’insurrection hongroise contre les Soviétiques, voilà encore un paradoxe de l’extrême droite.
Pour prolonger la réflexion, rendez-vous chez nos amis de Sens Public
Diversité culturelle, Multilinguisme et Minorités ethniques en Suède (conférence internationale 2-3 septembre 2009 à Stockholm) (en anglais, suédois et français)