BEST OF. Dans l’imaginaire collectif, il est toujours valorisant de travailler dans un bureau avec un casque téléphonique et un ordinateur. Mais dans un secteur où la pression est extrême, le turn over est permanent.
« Nous vous proposons d’intégrer un Groupe performant qui vous offrira un contrat à durée indéterminée, des horaires adaptables en temps complet ou partiel. Vous bénéficierez aussi d’une formation, d’un salaire fixe et d’une part variable motivante, de la participation, d’un 13e mois, etc. Vous assurez par téléphone la relation avec les clients ou prospects, afin de les satisfaire, les fidéliser ou les conquérir. Débutants bienvenus. »
Telle est la description d’une annonce que l’on trouve un peu partout, vantant les mérites de la téléprospection. Pour y répondre, quoi de plus simple, envoyez un mail et une lettre de motivation et vous serez contacté quelques jours plus tard pour une session de recrutement et aussitôt vous intégrerez « une grande équipe soudée ».
Au départ, c’est très simple : vous êtes rapidement formés aux logiciels ainsi qu’aux méthodes de vente et en deux jours vous rejoindrez une équipe. Là ça se corse, avec une dizaine de personnes, vous vous trouverez sur un plateau à démarcher des prospects. Vous devrez choisir un nom passe-partout du genre Julie pour les filles ou Jean pour les garçons avec pour objectif d’assurer au moins une vente à l’heure et passer 35 appels. Produits surgelés, placements, ce ne sont pas les sociétés ou produits qui manquent. Avec un logiciel d’appel vous démarchez des gens, principalement des retraités ou des personnes âgées. Avec l’aide d’un argumentaire le but est de ne pas laisser une seconde de répit et d’enchaîner jusqu’à ce que vous ayez conclu la vente. Si tout va bien vous serez deux mois à l’essai dans l’optique d’obtenir un CDI sachant que si vos objectifs ne sont pas atteints on pourra aisément rompre votre contrat pour faute professionnelle.
Mais qui sont ces anonymes ? On retrouve un public majoritairement féminin : des étudiantes ou des personnes qui cumulent deux CDI. « Je suis ici depuis 2005 », explique cette employée d’une quarantaine d’années. « Les conditions de travail sont dures, quand on est dans la boîte, on doit au moins assurer une vente à l’heure. Je travaille 25 heures par semaine et c’est pas toujours évident. Les superviseurs vous mettent la pression. Il y a beaucoup de turn-over et je vois que certains jeunes craquent et ne restent pas. De ce point de vue c’est quelque chose d’assez violent. » Si on a remplacé la pioche et la pelle par un téléphone et un ordinateur, les méthodes de travail et d’encadrement sont toujours celles décrites par Zola dans Germinal. On a juste remplacé le terme « contremaître » par celui plus en vogue de « superviseur ».
Concernant la rémunération, elle se compose d’un fixe et de primes de ventes. Tout est fait pour que les salariés ne comptent pas sur le fixe et « se donnent au maximum ». Chez le numéro un du surgelé à domicile qui possède une plateforme à Villeurbanne, pour 35 heures il faut compter le smic pour le fixe, soit 1037,53 euros par mois (novembre 2008). L’expression syndicale est inexistante et sur les tableaux dans la salle du personnel on ne retrouve qu’une une autoglorification de l’entreprise et de ses performances.
« Il y a une grosse pression qui s’exerce sur les employés dans ce secteur » souligne Gilles Constant de l’Union Locale de la CGT à Villeurbanne. « Comme l’expression des salariés est très réduite, il est difficile d’avoir un retour. On sait juste qu’il s’agit d’un milieu où il existe une grande précarité. » Il est vrai que dans ce genre de travaux précaires les salariés ont peur de se syndiquer.
La téléprospection s’apparente à un travail à la chaîne, long et répétitif ou vous reprenez sans cesse le même discours. Le « métier » semble s’institutionnaliser : le numéro un de la livraison de surgelé à domicile a signé une convention avec un institut de formation de techniciens supérieurs en force de vente. Les méthodes d’encadrement qui sont plus que discutables dans ce genre de travaux qui risquent de devenir la norme et de s’étendre à d’autres secteurs d’activité en ces temps de crise et dans les années à venir.
Rochdi Chaabnia