Élue à Oullins et vice-présidente de la métropole en charge des questions d’eau et d’assainissement, Anne Grosperrin est au centre d’une décision qui a fait polémique dans l’opposition : le retour à une gestion publique de l’eau potable, effectif en 2023.
Lundi dernier, le conseil métropolitain a adopté le retour à une régie publique de l’eau. Quelles sont les implications sociales d’une telle décision ?
C’est un changement de paradigme dans la gestion de l’eau. Aujourd’hui, l’eau est une ressource marchandisée, on la vend. On la puise de manière prédatrice à l’échelle planétaire. Mais nos pays ne sont pas à l’abri de ce genre de problématique. On souhaite vraiment, par ce passage en régie, affirmer que l’eau n’est pas une marchandise mais un bien commun vital pour l’ensemble du vivant. Et la régie est le seul mode de gestion qui nous permette de gérer cette ressource dans l’intérêt général, sans favoriser les intérêts privés.
L’intérêt social, c’est qu’on reprend la maîtrise de l’ensemble du cycle de l’eau. Il existe des problématiques de tension sur la ressource, on ne sera pas épargnés en France par la raréfaction des ressources en eau. On a des déficits pluviométriques, des problèmes de recharge des nappes phréatiques, des baisses de débit d’étiage… D’après les modélisations de l’agence de l’eau, appuyées sur des travaux du Giec, les prévisions pour le Rhône, c’est -30% du débit à l’horizon 2050. C’est dans 30 ans, c’est demain quoi ! C’est énorme, un tiers du débit du fleuve.
Sur cette question du débit par exemple, que peut concrètement apporter une gestion publique de l’eau ?
Elle aide à la protection de la ressource et à sa diversification. L’exploitation et la gestion d’un service public de l’eau demande vraiment un savoir-faire, des technologies pointues, des procédés complexes. Ça, un délégataire est capable de nous le faire. Le problème, c’est que cette maîtrise n’est pas intégrée à la gestion et au patrimoine public au moment où on doit la mobiliser dans des contextes de tension sur la ressource. En tant que collectivité, on a une responsabilité majeure et on se retrouve dépendant d’intérêts privés ! Cela dépossède la collectivité de la souveraineté de ces décisions. Ces éléments démocratiques sont très importants : une régie publique, c’est l’intégration des usagers dans la gestion de la ressource. Ce qui n’est pas possible dans une délégation de service public. Si on veut forger une culture collective de l’eau, si on veut que les citoyens ne soient plus que des consommateurs mais prennent un comportement d’usagers associés à la définition des politiques publiques, il faut que chacun puisse participer à la gestion de l’eau.
Une des autres raisons qui nous ont fait choisir le passage en régie, c’est la tarification sociale et environnementale de l’eau.
Comment fonctionne t-elle ?
Il y a différents modèles, mais ce travail là, on ne l’a pas encore fait. On va le faire dans une deuxième phase, à partir de 2021. Lors de la campagne, on proposait la piste des premiers mètres cubes gratuits. Pour tous. Entre trois et sept mètres cubes annuels, ce qui correspond à l’eau de boisson, l’eau d’alimentation en fait. A partir de là, il y a toute une réflexion à mener sur les différents paliers d’utilisation de l’eau. L’idée c’est plutôt de favoriser les petits consommateurs, les consommateurs économes de la ressource, et de taxer les surconsommations. Je pense par exemple aux gens qui remplissent des piscines : c’est un usage qui n’est pas essentiel.
L’opposition s’interroge sur les apports d’une régie publique en termes d’efficacité, et dénonce une mesure “idéologique” et le manque d’étude évaluative prouvant ses bienfaits. De votre côté, vous semblez plutôt mettre en avant le “changement de paradigme” dans la relation avec la ressource…
Mais l’efficacité aussi ! On souhaite avoir une régie de haut niveau de ce point de vue là. Moi quand j’entends les critiques de l’opposition, en filigrane j’entends une mise en cause des capacités du service public à assumer cette responsabilité. Or, outre Paris qui a mené une forte bataille pour l’eau, d’autres grandes collectivités l’ont fait avec une vraie conviction chevillée au corps, et de toutes couleurs politiques.
Christian Estrosi à Nice, par exemple…
Bien sûr ! Il y a Estrosi, et on ne peut pas qualifier Estrosi de gauchiste (rires) ! La métropole de Nice a fait un vrai travail sur la régie publique. On est en lien avec eux d’ailleurs, on discute régulièrement parce qu’ils ont une expérience intéressante. D’ailleurs, Estrosi défend le service public sur d’autres aspects, ils ont d’autres régies sur d’autres types de service. Le passage à une régie publique n’est pas une question idéologique, c’est vraiment une question de courage politique. Ce sont des arguments fallacieux. Quand l’opposition dit ça, elle défend le modèle du privé à tous crins et elle démolit le modèle public. Je trouve sincèrement irresponsable que des élus locaux eux-mêmes doutent de la capacité du service public à faire du travail de qualité. La métropole de Lyon a de très bonnes compétences dans le domaine de l’eau, il y a des services qui sont très pointus, très compétents. Aujourd’hui, ils suivent la délégation de service public de manière très rapprochée puisqu’on a une centaine d’indicateurs d’évaluation de la DSP. Ces agents et ceux de Veolia, ensemble, sont tout à fait capables de porter un service super efficace.
Est-ce que la régie publique a des avantages plus concrets pour les usagers ? Au niveau du prix, de la qualité de l’eau…
La qualité de l’eau est l’un des objectifs définis par l’ONU il y a dix ans : fournir à chacun et à chacune une eau potable de qualité. On ne fera pas de concession là-dessus.
Pour les citoyens, il y a la participation aux économies d’usage de la ressource. On risque, dans les décennies à venir, d’être obligé d’arbitrer les usages de la ressource, de donner des priorités. Parmi les usagers il y a les citoyens, les industriels, les entreprises, les agriculteurs etc. Donc il y a des arbitrages à faire, puisqu’il y a des fois des usages qui sont potentiellement rivaux ou contradictoires. Il est donc important de pouvoir les associer à la réflexion et de ne pas imposer les usages de manière non-négociée.
L’eau consommée est la même sur toute la métropole ?
À Quincieux, Lissieu et la Tour-de-Salvagny, c’est exploité par le Sieva, un syndicat auquel on achète l’eau. C’est une régie publique également. Sur le reste de la métropole de Lyon, l’eau potable provient à plus de 90% du champ captant de Crépieux-Charmy : c’est une eau qui provient de la nappe alluviale du Rhône, donc elle est filtrée naturellement par le lit du fleuve. C’est une eau qui vient des glaciers. Il y a beaucoup de communes ou de collectivités qui sont obligées de traiter leur eau via des usines de traitement avant de la distribuer. Ce n’est pas notre cas, on y met seulement du chlore.
Il y a des problèmes de pollution de l’eau à Lyon ?
On a fait des progrès sur les macropolluants, les nitrates, etc. Mais on a encore beaucoup de progrès à faire sur les micropolluants. Et c’est un sujet très sensible dans l’opinion publique. Les micropolluants, c’est le médicamenteux, les hydrocarbures, les micro plastiques… On a encore pas mal de dérivés chlorés, de dérivés de l’industrie ou des polluants de type nitrate, liés à l’agriculture. Bien que nous ayons une eau de très bonne qualité, il faut faire un travail de réduction des pollutions à la source. C’est-à-dire travailler sur les territoires avec les industriels et les agriculteurs, pour réduire l’usage de ces produits polluants.
Ça va être compliqué, non ?
C’est du travail à long-terme. Mais je prendrai l’exemple du Grand Besançon par exemple : la métropole a fait un travail très intéressant avec les industriels. C’est-à-dire que les grandes entreprises ont maintenant des systèmes qui leur permettent de recycler l’eau en interne, et de la traiter en interne, de manière à ne pas rejeter des eaux polluées dans le milieu naturel.