Ce mardi au collège Aragon de Vénissieux, les élèves de 4ème ont pu s’interroger sur le milieu carcéral dans le cadre d’un parcours citoyen. Les animatrices de deux associations, l’Observatoire International des Prisons et le Genepi, leur ont proposé un atelier participatif pour mettre à l’épreuve leurs préjugés sur la prison. Une réussite selon l’enseignante à l’initiative de la rencontre.
L’Observatoire International des Prison (OIP), créée en 1990 à Lyon, milite pour les droits de détenus. L’association enquête sur la situation des prisons et informe le grand public, entre autres via sa revue trimestrielle et par le biais de son blog à Mediapart (voir par exemple cet article sur la prison de Villefranche-sur-Saône). L’association étudiante Genepi, née en 1976, milite quant à elle pour le décloisonnement des institutions carcérales en proposant notamment des ateliers avec les détenus.
Les deux animatrices en service civique, Coraly et Valentine, sont mues par la volonté de palier au manque de reconnaissance sociale et à l’exclusion sociale des détenus :
L’intervention de deux heures commence par un brainstorming : les élèves sont invités à donner leurs idées en vrac sur la prison. Les élèves jouent bien le jeu : « uniforme », « douche », « menotte », « juge », « bavure policière », « crime », « solitude », « danger », etc.
Pendant tout l’atelier, les élèves soumettent aux animatrices leur interrogations sur la prison, parfois empruntes de clichés : « Peut-on aller en prison pendant une garde à vue ? » (non, cela s’appelle une détention provisoire, parfois exigée avant un procès) ; « Combien de douches prennent les prisonniers ? » (ça dépend des établissements, parfois tous les jours, parfois 3 fois par semaine) ; « Dans un film, l’infirmière couche avec un détenu ! » (c’est interdit par le cadre professionnel).
Une ville où les habitants sont désignés par un numéro
S’en suit la projection d’une vidéo explicative. Le film présente une ville de 65 000 habitants. Cette ville ressemble fort à la vie sous un état totalitaire : les habitants sont désignés par un numéro. Les médecins sont manquants bien que les maladies soient surreprésentés. La ville est surpeuplée, les logements insalubres, et la promiscuité engendre des violences régulières. L’illettrisme y est courant, mais la ville ne dispose que d’un enseignant pour 140 élèves. Le maire est aussi chef de police et du tribunal, tandis que le chômage grimpe à 70%, avec un salaire jamais supérieur à 45% du SMIC. Bien sûr, les manifestations, grève et pétitions y sont interdites et réprimées…
La voix-off annonce alors : « cette ville n’est pas du passé, elle n’est pas non plus issue d’un livre de science-fiction, cette ville, c’est la réalité pour 65 000 hommes et femmes, détenus dans 195 établissement pénitentiaires en France et aujourd’hui ».
Les élèves reviennent alors sur ce qu’ils ont vu. Ceux qui ont déjà eu des caries réalisent la douleur lorsqu’une animatrice leur apprend que les détenus peuvent parfois attendre jusqu’à six mois pour se la faire soigner. Sur le taux de suicide anormalement élevés en prison (environ 18 suicides pour 10 000 personnes, soit 7 fois plus que chez la catégories des hommes de 15 à 59 ans), une élève commente : « C’est grave, mais ça se comprend car la prison, ça pique ». Un autre propose une explication : « C’est pas étonnant car avec de très grosses peines, ils se disent ça sert à rient de rester jusqu’à 40 ou 60 ans ».
L’enseignante montre alors au sol ce que représente une cellule de 9m² dans laquelle deux – voir trois ou quatre en cas de surpopulation – détenus cohabitent. Choqués, les jeunes trouvent cela trop petit, mais s’esclaffent tout de même en apprenant que les toilettes font partie intégrante des cellules. Un autre élève, interloqué par le faible salaire que peuvent recevoir les détenus se demande « comment ils font s’ils ont des dettes ? »
Qu’est-ce qui est autorisé en prison ?
Jeu suivant : « la valise du détenu ». Les élèves doivent piocher un objet dans une valise et deviner s’il est autorisé ou non au sein des établissement pénitentiaires. Le premier objet est un simple rouleau de papier toilette. Les élèves apprennent alors qu’il est autorisé, mais rationné en petite quantité. Pour plus de confort, il faut passer par la case cantine, où l’on peut acheter des objets, mais toujours à un prix plus cher qu’en extérieur.
Puis, l’alcool est-il autorisé en prison ? Un élève se lance : « On a le droit, mais modéré, une bouteille par semaine [rire] ». Et non, l’alcool y est strictement interdit ! Les sweats à capuche ? Ils sont également interdits, car l’on pourrait cacher son visage avec.
L’objet suivant est un paquet de protection périodique. Les garçons ont bien du mal à contenir leur rire face à cet objet, apparement inhabituel à leur yeux. Un garçon demandera même si « C’est pour les hommes ou pour les femmes ? » Heureusement, les autres élèves ont eux bien compris l’absurde de la question. Coraly l’animatrice explique alors plus sérieusement que les règles sont un énorme problème et un énorme tabou en prison. Dans un témoignage rapporté, on apprend qu’une femme était obligée de couper une serviette hygiénique en trois pour en avoir assez.
Le tabou du sexe en prison
Les élèves ne manquent pas de pouffer à nouveau lorsqu’un autre sort une capote du sac. Alors, interdit ou autorisé ? Certains ne comprennent pas : « Ils ne peuvent pas avoir de relations sexuelles car il n’y a pas de femme ». Comme si le sexe était réservé aux hétérosexuels !
L’animatrice explique alors cet autre tabou : sauf dans les rares unités de vie familiales, les relations sexuelles sont formellement interdites en théorie, mais bien présentes en pratique. Pour éviter les échanges de maladies sexuellement transmissibles, l’infirmerie met donc à disposition des préservatifs gratuits. Or, les gardiens n’aiment généralement pas ce principe et les détenus sont obligés d’inventer un motif pour rejoindre l’infirmerie et obtenir un préservatif.
Malgré les gloussements qui ponctuaient chaque sujet qui touchait au genre, les élèves sont restés calmes lorsque le sujet de la transidentité est évoqué par un élève. Dans quels établissements sont placés les personnes transgenre ? L’enseignante explique d’abord aux élèves ce qu’est une personne transgenre, avant qu’une animatrice appuie sur la complexité et le danger de leur situation en prison.
La ferme ou la prison ?
L’OIP ainsi que le Genepi plaident pour un recours limité à l’incarcération, et donc pour des alternatives à cette dernière. Pour ouvrir les élèves à cette thématique, une seconde vidéo a été projetée, montrant le quotidien à la ferme Butte-Pinson. Cette ferme particulière accueille en effet les personnes condamnées pour y effectuer des travaux d’intérêt généraux. Après visionnage, les élèves, ravis, semblent acquis à la cause :
Un passage obligé pour être respecté
Au fond, l’échange avec les élèves montre bien que, sans la connaître vraiment, les jeunes ont une certaine image de la vie en milieu carcéral. Cette image passe souvent par le prisme de la famille, des films ou du groupe d’amis. Les animatrices Coraly et Valentine reviennent sur le regard que portent généralement les élèves sur les prisons. Pour certains enfants, la prison serait « un passage obligé » pour être respecté, mais lorsqu’ils s’y retrouvent réellement, « ils tombent des nues », explique Coraly :
« La prison peut être présente dans la vie de nos élèves »
Mme Leflaive, enseignante d’histoire-géographie au collège Aragon et responsable du parcours citoyen, est à l’initiative de cette intervention, qui a aussi lieu dans les autres classe de 4ème. Elle a souhaité travailler avec ses élèves sur le fonctionnement et les conditions de vie dans la prison pour alimenter le thème de cette année, la justice. Pour elle, « on est dans un milieu social où les élèves entendent beaucoup parlé de la prison », ce qu’elle explique par le fait que « Vénissieux est la deuxième commune la plus pauvre du département » :
Pour l’enseignante, cette intervention est une réussite, et sera donc reconduite. L’année prochaine, elle suggère que les élèves iront peut-être en plus assister à un procès : « les procès étant public, on peut y aller, mais ça demande une organisation énorme ».
En fin de séance, les élèves sont revenus sur les idées qu’ils avaient donnés en vrac sur le thème de la prison. Suite à l’atelier, ils ont choisi de retirer les mots : « tranquillité », « divertissement », « uniforme orange » et « liberté ».