Marine Tondelier : “Il va falloir mettre du rythme, jouer tous les ballons comme si c’était le match de notre vie.”

À l’approche du scrutin interne qui désignera la prochaine ou le prochain secrétaire national-e du parti Les Écologistes, les visions s’affrontent, et les ambitions s’affichent. Quatre figures se sont détachées, bien décidées à redessiner les contours de l’écologie politique en France.

Dans ce contexte de recomposition interne, nous avons tout d’abord rencontré Karima Delli, puis Harmonie Lecerf Meunier et enfin Florentin Letissier. Aujourd’hui, nous nous sommes entretenus avec la secrétaire nationale sortante, Marine Tondelier. Figure de proue des écologistes et visage médiatique du parti, elle revient sur son parcours, ses combats et ses priorités à l’heure où elle brigue un second mandat à la tête des Écologistes.

Retranscription

LBB : Bonjour Marine Tondelier, pouvez-vous vous présenter et nous dire depuis combien de temps vous êtes adhérente chez les Verts ? 

Marine Tondelier : Je m’appelle Marine Tondelier, je suis née, j’ai grandi et j’habite dans le bassin minier du Pas-de-Calais, donc dans un territoire  particulier, très lié au charbon et au foot #supportriceduRCLens. Je suis adhérente chez les verts depuis 2009 et un  meeting des européennes à Lille. J’étais venue écouter José Bové. Il se trouve que quelques jours après, le Maire d’Hénin-Beaumont, Gérard De Roncheville, a été démis de ses fonctions par le Conseil des ministres. Je me suis donc retrouvée propulsée, toute jeune adhérente, dans une campagne municipale partielle et face à Marine Le Pen. J’ai été plongée dans le grand bain ! Par la suite, je suis allée à Copenhague pour la COP 15 et là j’ai vraiment découvert le militantisme, les manifestations avec des gens du monde entier, ça a vraiment été un élément déclencheur. 

LBB : Qu’est-ce qui vous a motivé à vous engager pour le poste de secrétaire nationale ?

Marine Tondelier : Il se trouve que je me suis retrouvée élue au conseil municipal à Hénin Beaumont. C’est une expérience de politique assez brutale mais très formatrice, il fallait avoir les nerfs solides. J’ai assez rapidement considéré le parti comme étant une base arrière sécurisante et bienveillante, comparée parfois à d’autres partis… Toute l’entraide dont j’ai pu bénéficier dans mon parcours militant et d’élue locale, je voulais que beaucoup d’autres puissent en bénéficier également.

LBB : Vous avez lancé la réforme destinée à simplifier les statuts du parti, qui a introduit un scrutin majoritaire uninominal pour l’élection du secrétaire national, approuvée par 74 % des voix. Que répondez-vous aux critiques qui sont adressées à cette réforme ?

Marine Tondelier : Quand je suis arrivée à la tête du parti, il y avait de bonnes choses mais également une crise à plusieurs étages et des changements dont tout le monde parlait depuis longtemps mais qui ne parvenaient pas à être menés. Dans mon programme, quand j’ai été élue secrétaire nationale, il y avait le lancement d’états généraux de l’écologie avec des slogans du genre : “on a merdé, on va changer ça”. Pendant 150 jours, on s’est tu et on a écouté de manière très attentive ce que les gens avaient à nous dire. Plus de 250 réunions ont été organisées sur tout le territoire, près de 30 000 questionnaires ont été remplis sur notre site. Nous avons également mené une enquête spécifique auprès de 180 structures de la société civile. Et puis ça c’est terminé avec des conventions citoyennes avec des gens tirés au sort. La moitié était a des adhérents, l’autre non. On a aussi changé de nom, de logo mais aussi d’image, et surtout on a pris en compte les préconisations issues de tout ce processus pour changer de statuts. Pour rédiger ces nouveaux statuts, on a mis autour de la table toutes les sensibilités du mouvement, on a essayé de travailler au consensus et on les a soumis aux adhérents. Et il y a eu 75% de vote pour !

De nouvelles instances ont ainsi été créées, par exemple l’académie verte, qui est une instance de formation de nos militants. Nous avons aussi mis en place un pôle élu.es pour mieux travailler l’interface entre nos élu.es et le mouvement, et un pôle projet pour mener un travail doctrinal approfondi. 

C’est la première fois qu’un congrès est organisé avec ces nouvelles règles. Nous en ferons un bilan,  pour que chacun puisse dire ce qu’il y a eu de mieux ou de moins bien, pour potentiellement faire des ajustements.

LBB : Concernant les municipales maintenant : Je reprends vos mots, en 2020 le parti écologiste a fait un strike et a été considéré comme l’un des grands gagnants avec des villes comme Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Grenoble. Comment expliquez vous cette victoire de la vague verte ? 

Marine Tondelier : Je pense que les gens font confiance aux écologistes pour diriger les villes, car ils savent qu’on a vraiment des idées novatrices pour améliorer leur quotidien et surtout rendre possible leurs lendemains. Ils savent aussi et surtout que nos élus municipaux sont réputés pour être des vrais travailleurs, engagés et réellement passionnés par les politiques publiques.  

LBB : C’était un très belle victoire, mais par exemple à Lyon, le taux d’abstention a dépassé les 60%, comment expliquez vous cela ? et comment auriez-vous envie de remobiliser les citoyens ?

Marine Tondelier : J’ai vu qu’à Lyon, comme dans d’autres grandes villes, il y avait un énorme taux de mal inscriptions, et c’est vrai qu’il y a aussi des étudiants, des gens, qui vont et viennent et ne font pas forcément les démarches pour aller voter alors que c’est vraiment se priver de l’occasion d’impacter son quotidien. Mais à Lyon, une grande campagne a été mise en place pour inciter les habitants à aller voter, ce qui a permis d’augmenter les inscriptions sur les listes électorales, donc c’est une très bonne chose sachant que c’est un droit pour lequel nous avons dû nous battre, et particulièrement nous les femmes.. 

LBB : On pense souvent que l’écologie c’est un peu pour les bobos, comment aimeriez-vous réconcilier la classe populaire avec l’écologie ? 

Marine Tondelier : C’est peut-être aussi qu’il y a des gens, qui ont beaucoup d’argent, et qui ont envie que les classes populaires croient que l’écologie, ça n’est pas pour eux. Il faut se demander pourquoi ils ont intérêt à ça ? Qui sont les premiers émetteurs de gaz à effet de serre ? Les plus riches. Si l’on prend l’empreinte carbone annuelle maximum à laquelle chacun aurait droit pour que la planète reste habitable, on voit bien le problème : les 50% les plus pauvres mettent 3 ans à l’épuiser tandis que les 1% les plus riches ne mettent que 10 jours… Bernard Arnault lui la  dépasse dès 2h15 du matin le 1er janvier… Sachant que souvent, ceux qui accumulent d’énormes richesses sont aussi ceux qui ont exploité soit la nature, soit les hommes, les femmes ou même les enfants. Un autre exemple : ce sont les plus précaires qui sont les premières victimes de la pollution de l’air parce qu’ils habitent  le long des axes routiers les plus fréquentés, ou autour des usines ou encore directement sur des terrains pollués – c’est le cas de certaines aires de gens du voyage. D’ailleurs à Lyon, vous êtes aussi très concernés. L’écologie c’est donc aussi un projet de  justice sociale. Tout le monde a besoin d’écologie, en particulier les plus vulnérables car oui l’écologie ça change la ville, mais ça change aussi la vie. Et je suis très fière des politiques qui ont été menées à Lyon et dans d’autres villes écologistes. Il y a aussi forcément des choses qu’on n’a pas fait assez vite ou assez bien, mais c’est pour ça qu’il faut permettre aux maires écologistes de faire un deuxième mandat ! 

LBB : Le parti a lancé un appel pour former une constituante et sortir de la V république et de la crise politique actuelle. Comment qualifiez-vous cette crise et pourquoi pensez-vous qu’une nouvelle constitution soit la meilleure solution pour en sortir  ?  

Marine Tondelier : Certaines personnes pensent que les institutions n’intéressent pas grand monde. Je ne suis pas d’accord avec ça ! Prenez le mouvement des  gilets jaunes ou les mobilisations contre la réforme des retraites : sur les ronds-points comme dans la rue,  on parlait beaucoup du RIC ou du 49.3 ! La seconde chose, c’est que la Ve République est à bout de souffle. On l’a vu l’été dernier, avec  la dissolution express décidé par le Président de la République et tous les épisodes qui s’en sont suivis. Le NFP est arrivé en tête et pourtant, ce n’est pas une personne issue du NFP qui siège aujourd’hui à Matignon. La manière dont cette élection a  été volée a fait prendre conscience à beaucoup de monde que les institutions, c’est l’affaire de tous. Parce que le camp macroniste a tout intérêt à ce qu’on ne manifeste plus, qu’on ne vote plus en se disant que tout ça ne sert à rien. Et ça c’est hors de question ! Donc oui, je revendique qu’il faille un choc democratique puissant dans ce pays d’ici aux prochaines élections présidentielles ! Cette idée de constituante a été portée par les Ecologistes  dès 1986 dans un article qui s’intitulait Vers une VIe République. Mais pour faire avancer les choses, il faut constituer un front, une coalition d’acteurs. Nous avons d’ailleurs eu une longue réunion avec toutes les personnes qui, dans la société civile en France, portent cette idée. Ca bouge  et on ne va pas s’arrêter là. 

LBB : Pour finir, je le rappelle vous êtes en lice pour une réélection au poste de secrétaire nationale chez les écologistes, si vous êtes réélue quels seraient vos priorités dans ce prochain mandat ? 

Marine Tondelier : Moi ce que j’aimerais, c’est que l’écologie s’ancre sur tous les territoires. L’écologie ça n’est pas que pour les plus aisés  et ça n’est pas non plus que pour les grandes villes. On a déjà une centaine de maires écologistes en France. Au delà de Lyon, Bordeaux, Strasbourg ou Besançon, on a aussi plus de 90 maires dans des territoires de plus petites villes, comme Naves en Corrèze, Auray en Bretagne ou encore St Egrève plus proche de chez vous… L’écologie est partout chez elle.  Outre l’Université des ruralités organisée tous les ans avec des centaines d’écolos qui militent dans les ruralités pour échanger sur leurs pratiques et leurs idées, nous allons prochainement organiser  sur le même modèle la première édition des Universités écologistes des quartiers populaires. L’écologie doit se massifier et se démocratiser. 

Il faut aussi qu’on perpétue le changement d’image opéré lors du précédent mandat en montrant que nous sommes crédibles pour gouverner. Nous avons lancé un pôle projet, qui travaille notamment sur les sujets régaliens, comme la défense,  la sécurité, l’économie, l’international… nous sommes certes pacifistes mais nous avons engagé un  réarmement doctrinaire important. 

Enfin, je souhaite que chacun et chacune trouve sa place dans notre mouvement. Certains veulent par exemple aller distribuer des tracts, d’autres veulent se former ou faire des rencontres… Il faut que chacun trouve sa place, peu importe ce qu’il est venu chercher. L’année dernière, nous n’avons jamais eu autant d’adhérents, c’est une vraie fierté ! Et ce que nous disent ces nouveaux adhérents est riche d’enseignements. Par exemple, ils nous disent qu’ils reçoivent  trop d’informations, dans lesquelles ils peuvent parfois se perdre. C’est une donnée à prendre en compte. Il n’y a pas un type de militantisme, à chaque personne sa forme de militantisme, il faut respecter ça. 

LBB : Pourquoi vous réélire vous et pas Karima Delli, Florentin Letissier ou Harmonie Lecerf Meunier ? 

Marine Tondelier : Écoutez, moi j’ai du respect pour toutes les personnes qui se présentent à ce congrès parce que les campagnes internes ou externes c’est toujours une prise de risque, du temps, de l’engagement… D’autant plus que je les connais toutes et tous, et je suis fière d’être dans le même parti qu’eux. On est une famille, ça n’est pas la guerre hein ! Après je pense que les gens ont vu qu’on a fait un très bon mandat, que nous avons un  bon bilan, et les idées claires pour la suite.. Ce n’est pas moi toute seule d’ailleurs, c’est le travail de toutes celles et ceux qui ont été élus avec moi, et avec qui on a su bien travailler. C’est avec cet état d’esprit qu’il faudra continuer à faire progresser l’écologie et notre parti dans le prochain mandat, en se disant qu’on n’est peut-être pas d’accord sur tout mais qu’on peut faire de belles choses ensemble. 

Beaucoup de gens me le disent, il y a rarement eu une secrétaire des verts aussi populaire dans le pays, alors profitons-en ! Arrêtons de se taper dessus dans la presse pour des histoires de statuts qui n’intéressent personne et qui paraissent nombrilistes. On a des défis immenses à relever !. Ça va nous laisser peu de répit après ce congrès car il va falloir jouer tous les ballons comme si c’était le match de notre vie en interne et surtout, j’insiste, en externe. Et j’y suis prête. Les adhérents le savent : j’ai beaucoup d’énergie et de détermination, j’essaie de continuer à prôner une écologie de la joie. Et puis surtout en 2027, certes on ne veut pas de Marine Le Pen, mais nous on veut aussi gagner. Ca implique qu’on ne fasse pas les mêmes erreurs que par le passé, et que toute notre énergie soit mise au service de cette possible victoire. Les écologistes joueront un rôle moteur, évidemment 100% renouvelable, dans cette bataille qui s’annonce. Vous n’avez pas fini d’entendre parler de nous !  

Interview réalisée par Clara Semard

La rédaction

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