Face à l’augmentation des délais de prise en charge en addictologie, le PSAAL propose une solution pour rendre le sevrage ambulatoire à domicile plus rapide, accessible et efficace. Dans cette seconde partie de notre interview avec Pascale Lacroix Cormier et Nathalie Rochefort, nous explorons comment le PSAAL met en place ses protocoles, adresse les patients, et les méthodes de travail de l’équipe.
L.B.B – Vous nous avez expliqué que le sevrage se passait à domicile, comment procède-t-on à le mettre en place, à adresser les patients ?
– Médecin référent (P.L.C) : « L’adressage » c’est le médecin traitant qui s’en occupe. Nous avions fait beaucoup de démarchage avec Serge Luc, l’ancien infirmier addictologue coordonnateur du PSAAL, durant les années 2012-2013 en frappant aux portes des maisons de santé, des cabinets de garde, SOS Médecins, etc., pour nous faire connaître. Les addictologues, constatant les délais d’attente souvent longs pour les soins en CSAPA ambulatoire ou à l’hôpital, préfèrent que le sevrage se fasse au domicile du patient. Notre site internet permet également aux patients de nous trouver facilement en recherchant « Sevrage au domicile Lyon ». Lorsque Charlie, notre secrétaire à l’accueil, reçoit l’appel d’un patient, c’est toujours le patient qui prend l’initiative de prendre rendez-vous. Dès le premier contact, nous faisons un premier tri pour vérifier si le patient est éligible pour un sevrage à domicile, afin d’éviter des déplacements inutiles.
– Infirmière (N.R) : Il faut des patients majeurs et motivés, c’est-à-dire des patients qui veulent une abstinence totale, un réel sevrage.
– Médecin référent (P.L.C) : Nous avons changé un peu les paradigmes depuis une vingtaine d’années. Il y a des patients qui souhaitent faire de la gestion contrôlée de leur consommation, mais nous ne faisons pas ça. Certains médecins, notamment en CSAPA, prescrivent des médicaments pour la réduction et la gestion contrôlée. Nos patients, en revanche, s’engagent dans un processus de sevrage complet. Le sevrage dure dix jours et se passe généralement bien car nous avons préalablement vérifié les contre-indications. La surveillance à domicile est basée sur le score de Cushman, qui prend en compte plusieurs paramètres pour s’assurer que le sevrage se passe sans syndrome de manque. Nous faisons exactement la même chose qu’à l’hôpital.
– Infirmière (N.R) : Il y a un suivi une fois par semaine pendant quatre semaines après le sevrage. Ce n’est pas pour surveiller les paramètres, mais pour s’assurer que nous restons présents et que le cabinet infirmier suit bien le patient pendant les dix jours. Les passages sont biquotidiens pendant les trois premiers jours, puis quotidiens pendant les sept jours suivants, et enfin une fois par semaine pendant quatre semaines pour aider au maintien de l’abstinence. Il est crucial de ne pas laisser le patient seul durant cette période.
L.B.B : Quelles sont vos méthodes de travail au sein du PSAAL ?
– Infirmière (N.R) : Mon rôle, c’est de vérifier que la date du sevrage convient au patient. Nous demandons effectivement au patient s’il a une date souhaitée, car il est important que cela puisse se faire de manière confortable, en tenant compte des contraintes comme les enfants ou les vacances scolaires. Ensuite, nous vérifions que le médecin traitant est d’accord pour suivre le sevrage, car parfois cela peut être un traitement un peu lourd. Il faut absolument qu’il y ait un médecin traitant pour prescrire. Nous leur présentons donc un protocole clé en main pour faciliter leur démarche. Nous nous assurons également que le patient ait bien les rendez-vous nécessaires durant les dix jours, incluant deux visites du médecin traitant. Nous avons une liste de cabinets infirmiers qui ont déjà effectué des sevrages et que nous avons formés. Si un patient préfère un autre cabinet qui n’est pas sur notre liste, cela peut arriver. Dans ce cas, c’est moi qui me déplace pour former ce cabinet.
– Médecin référent (P.L.C) : Nous vérifions aussi que le patient ait accès à ses droits sociaux, c’est-à-dire qu’il puisse payer sa consultation chez le médecin et les soins des infirmiers libéraux.
L.B.B : Et vous travaillez avec combien d’infirmiers ?
– Infirmière (N.R) : C’est à la demande. Notre liste est immense car nous couvrons désormais quasiment tous les arrondissements. Chaque année, nous élargissons encore nos partenariats avec de nouveaux cabinets. Nous nous ouvrons même au-delà du département.
– Médecin référent (P.L.C) : C’est un des effets positifs du Covid. Avant le confinement, il fallait se déplacer systématiquement pour rencontrer soit le médecin traitant, soit le cabinet infirmier. Maintenant, avec le Covid, nous avons pris l’habitude de faire des visios. Nathalie le fait beaucoup, et cela nous fait gagner beaucoup de temps sur les déplacements. Aller dans le nord du département, par exemple, prenait beaucoup de temps. C’est une nouvelle façon de travailler.
– Infirmière (N.R) : Disons que nous avons aussi appris à travailler différemment. Je leur envoie bien les documents en amont, je leur demande de les lire et ensuite nous faisons un point soit par téléphone, soit par visio pour clarifier ce qui n’est pas clair et revoir ensemble si nécessaire. Il faut surtout bien dire que ce dispositif permet aux patients de ne rien payer pour tous les entretiens et consultations, que ce soit avant ou après le sevrage, ainsi que pour les bilans et autres suivis.
LBB : Vous avez combien de patients dans l’année ?
– Médecin référent (P.L.C) : Nous avons beaucoup de patients qui viennent nous voir, environ une soixantaine par an. Cependant, pour faire un sevrage à domicile, nous demandons qu’il y ait une personne présente pour donner l’alerte si nécessaire. Cette personne doit être présente pendant les dix jours du sevrage, notamment le soir et la nuit, pour accompagner le patient en cas d’angoisse. Si le patient vit avec un compagnon ou une compagne, il n’y a pas de souci. Mais pour ceux qui vivent seuls, c’est plus compliqué. Nous demandons donc à une tierce personne de venir la nuit, car arrêter l’alcool peut être stressant et il est important d’avoir quelqu’un avec qui discuter. Cette personne ne peut pas être l’enfant du patient.
– Infirmière (N.R) :Il faut savoir que tous les patients que nous recevons, même s’ils ne sont pas éligibles, seront réorientés dans un parcours de soins.
LBB : Dans ce cas-là, vous travaillez avec qui pour le reste ?
– Médecin référent (P.L.C) : L’avantage, c’est que nous travaillons ailleurs.
– Infirmière (N.R) : Moi, je travaille à la Croix-Rousse dans une équipe de liaison et de soins en addictologie. Nous avons un service d’hôpital de jour, un CSAPA, et tout ce qu’il faut.
– Médecin référent (P.L.C) : Et moi, je travaille à l’hôpital de l’Arbresle, où il y a toute une filière en addictologie. Je suis responsable de l’hôpital de jour en addictologie. Cela peut servir pour une orientation après le sevrage. Je fais également des consultations en addictologie à l’Arbresle, donc il est possible d’orienter les patients vers un sevrage hospitalier si nécessaire. Parfois, cela ne les arrange pas pour leur travail, etc., ce qui était à l’origine de la raison pour laquelle nous avons mis en place le sevrage ambulatoire.
Cependant, il est essentiel que les patients soient bien présents pour leur sevrage. Un sevrage ambulatoire n’est pas un petit processus, même s’il se déroule à domicile. Le PSAAL permet aux patients de rester chez eux sans lien direct avec l’hôpital. Ensuite, ils peuvent être orientés vers un hôpital de jour, que ce soit à la Croix-Rousse ou à l’Arbresle, pour consolider leur abstinence s’ils le souhaitent. Ils peuvent également être orientés vers un CSAPA ou une ELSA pour un suivi infirmier, psychologique ou médical. Le choix appartient au patient. Comme le dit Nathalie, il y a un premier tri, puis un autre plus approfondi. En fin de compte, nous effectuons entre 30 et 40 sevrages ambulatoires par an.
– Infirmière (N.R) : Environ la moitié des patients sont réorientés car ils ne sont pas éligibles ou ne comprennent pas ce qu’implique un sevrage.
LBB : Et sur les 30 à 40 patients que vous suivez, quel est le taux de réussite ?
– Médecin référent (P.L.C) : Globalement, tous les patients qui ont répondu ont réussi à maintenir leur abstinence. Nous avons environ 50 % de réussite. En comparaison, pour un sevrage hospitalier, il y a une règle des trois tiers : un tiers des patients rechutent immédiatement, un tiers restent abstinents et un tiers reprennent une consommation contrôlée. Nous avons donc des résultats un peu plus favorables. De plus, notre méthode coûte vraiment moins cher. Un sevrage ambulatoire inclut trois consultations avec le médecin traitant, soit environ 75 euros remboursés, et une prise en charge par le cabinet infirmier, soit environ 10 euros par passage avec déplacement remboursé. L’ARS a tout intérêt à ce que notre programme se développe. Actuellement, il reste confidentiel car nous manquons de moyens. Je suis présente le mardi matin et Nathalie est à mi-temps. Nous pourrions développer et modéliser ce programme davantage si nous avions plus de ressources.
LBB : Mais pourquoi vous n’arrivez pas à le développer ?
– Infirmière (N.R) : Parce que cela demande plus de temps. Actuellement, notre temps est principalement consacré à suivre les patients.
LBB : C’est intéressant de savoir que l’ARS pourrait vous donner beaucoup plus de moyens, ou recruter des gens aussi peut-être ?
– Médecin référent (P.L.C) : L’ARS n’a pas de moyens supplémentaires. En tout cas, elle pense que nous pouvons faire plus avec ce que nous avons déjà. Nous sommes à un point où nous aimerions vraiment modéliser notre programme, c’est-à-dire pouvoir le diffuser éventuellement aux départements limitrophes. Il y a des niches comme la Drôme, l’Ardèche, certaines régions du Cantal et de l’Auvergne ; des déserts médicaux où les patients doivent attendre trois à six mois pour un sevrage. À Lyon, c’est aussi devenu compliqué en raison de la pénurie de professionnels en addictologie. Les délais augmentent, les lits se réduisent à l’hôpital. Actuellement, pour faire un sevrage hospitalier, il faut attendre généralement deux mois. Mais nous restons réactifs, nous voyons les patients et pouvons même commencer le sevrage la semaine suivante.
– Infirmière (N.R) : Mon travail consiste également à suivre le patient, c’est-à-dire à être l’interlocutrice de tous les intervenants : le patient, le cabinet infirmier, le médecin traitant. Je fais le lien entre eux pendant ces dix jours, en téléphonant régulièrement pour savoir comment va le patient et pour apporter des réajustements si nécessaire. Les intervenants savent que je suis là pour jouer ce rôle d’intermédiaire.
– Médecin référent (P.L.C) : Nous travaillons avec un carnet de liaison. Chaque patient qui fait son sevrage à domicile a ce carnet avec son nom, prénom et les dates. Les infirmiers y notent les scores et les paramètres indiquant le manque ainsi que le déroulement du sevrage. Ils surveillent des paramètres comme la tension, la fréquence respiratoire, les tremblements, les sueurs, l’agitation, les troubles sensoriels, etc. Quand le score est inférieur à cinq, tout se passe très bien. Nous utilisons exactement le même protocole partout, que ce soit à domicile ou à l’hôpital. En fonction des observations des infirmiers, des actions appropriées sont entreprises.
– Infirmière (N.R) : Nous les aidons aussi à construire leur avenir dès le départ. Nous leur disons que le sevrage n’est qu’une petite partie du chemin, l’important est ce qui vient après avec l’abstinence. Nous veillons au bilan post-sevrage et à les réorienter pour qu’ils soient suivis, que ce soit en hôpital de jour, en suivi psychologique, etc. Avant même qu’ils soient reçus en entretien, nous leur disons qu’ils ne doivent pas rester seuls. J’appelle ça une autre approche. Nous sommes soignants, et plus nous ajoutons à notre boîte à outils, mieux c’est. C’est ce que nous essayons de leur faire comprendre.
– Médecin référent (P.L.C) : Les associations jouent aussi un rôle crucial, surtout quand nous ne sommes pas disponibles. Elles offrent un lien le soir et le week-end par exemple. Je travaille beaucoup avec les associations car elles permettent aux patients de parler de leur vécu avec des personnes ayant traversé les mêmes épreuves. Cela leur montre que l’abstinence, bien que difficile, peut mener à une vie heureuse et sereine. Dès le départ, nous leur disons que le sevrage est la partie la plus facile car ils sont bien encadrés, mais ensuite, ils devront faire face à leurs envies et angoisses qu’ils avaient l’habitude de calmer avec l’alcool.
LBB : Et là, il y a un suivi derrière ou pas ? Comment ça se passe ?
– Médecin référent (P.L.C) : Nous, nous ne faisons pas de suivi post-sevrage, ce n’est pas notre mission. Nous les revoyons après le sevrage et ensuite, nous les orientons vers des associations ou des soignants, infirmiers de CSAPA ou ELSA, psychologues, etc. Souvent, le patient a déjà un suivi ou est sur une liste d’attente, ce qui peut être très long, parfois trois à six mois. Cela peut altérer leur motivation.
LBB : Quel message auriez-vous pour le maire de Lyon ou l’adjointe à la santé professionnelle sur l’addictologie ?
– Médecin référent (P.L.C) : Le sevrage ambulatoire permet à des patients motivés de se sevrer chez eux. Nous sommes réactifs et pouvons intervenir rapidement. Nous pouvons offrir une consultation sous 48 heures et démarrer le sevrage dans la semaine ou les quinze jours qui suivent, à condition que le médecin traitant et un cabinet d’infirmiers soient disponibles. Nous sommes beaucoup moins chers que le sevrage hospitalier et avons des résultats similaires, voire supérieurs, sur les dernières années. Plus de 50 % de nos patients maintiennent l’abstinence à un an. Nous avons des biais, bien sûr, mais comme dans toutes les enquêtes.
– Infirmière (N.R) : C’est un dispositif qui fonctionne, qui est reconnu, qui a fait ses preuves. Il permet de donner un protocole clé en main et d’aider les médecins, surtout les libéraux.
– Médecin référent (P.L.C) : C’est un véritable outil pour les médecins généralistes. Souvent, ils évitent de traiter l’addiction à l’alcool car ce sont des consultations chronophages. Parler des causes avec les patients prend beaucoup de temps. Nous soutenons ces médecins généralistes, nous faisons du sur-mesure, nous sommes en lien étroit avec eux, nous prenons le patient là où il en est.
– Infirmière (N.R) : Il est important de noter que nous ne sommes pas étiquetés « addicto ». Personne ne sait que nous faisons de l’addictologie ici. Nous sommes situés dans un immeuble lambda avec diverses associations de santé, mutuelles et beaucoup d’autres services, sans stigmatisation.
– Médecin référent (P.L.C) : Nous avons donc plus de femmes parmi nos patients, et souvent un niveau social plus élevé. Certains patients ne veulent pas aller à l’hôpital dans un service d’addictologie, surtout ceux qui ont des fonctions de responsabilité. Ils préfèrent rester chez eux et télétravailler.
Pour cela, nous tenons à garder un pied à terre hors de l’hôpital Nous sommes là pour accompagner les professionnels, que ce soient des médecins généralistes ou des infirmiers, qui ne sont pas forcément formés à ce type de prise en charge. Des médecins généralistes et des associations nous envoient régulièrement des patients car ils savent que nous faisons du sur-mesure : nous nous mettons en lien avec le généraliste, l’infirmier et nous nous orientons ensuite. Nous ne sommes qu’un passage. Nous voyons le patient, nous déterminons s’il est éligible au PSAAL, et nous lançons le sevrage.
Après dix ans d’expérience avec ce programme, je suis convaincu qu’il est innovant et mérite d’être développé.
Monsieur le maire de Lyon, Madame l’adjointe, faites connaître ce programme pour lui permettre de se développer au mieux.
– Infirmière (N.R) : L’intérêt est que de nombreux patients puissent y accéder et sachent que cela existe et que nous pouvons intervenir dans des délais raisonnables ce qui diminue le taux d’absentéisme.