Vendredi 26 avril, Mélissa Camara, militante écoféministe, conseillère municipale à Lille et en troisième place sur la liste des Écologistes aux Européennes, était de passage à Lyon aux côtés de Sophia Popoff, adjointe du maire de Lyon et candidate, dans le cadre d’un événement organisé par la fondation Le Refuge axé sur les droits LGBTQ+.
En amont des élections européennes, un entretien a été mené avec les candidates écologistes, abordant des sujets tels que la gestion de l’accueil des migrants, l’immigration, le vote, ou la gestion des ressources. Elles répondent à nos questions et nous présentent leurs projets pour l’Europe.
Lyon Bondy Blog : Pour débuter, pourriez-vous nous détailler ce qu’implique votre engagement en tant qu’écoféministe ? Ce concept n’est pas toujours clairement compris. Comment le définiriez-vous et en quoi influence-t-il votre action politique ?
M. CAMARA : Pour expliquer mon engagement, je vais revenir sur mon parcours. Issu d’un quartier populaire et d’une famille ouvrière, j’ai été, depuis toujours, sensibilisée aux questions de justice sociale. Mon engagement féministe a lui pris forme lors de la Manif pour tous, ce fut le moment clés où j’ai pris conscience des forces rétrogrades combattant les droits des femmes et de la communauté LGBTQ+. En prenant également conscience des pollutions subies par les gens du voyage en France, j’ai compris que les premières victimes des dérèglements climatiques et des pollutions sont les plus discriminés et marginalisés. Je prends souvent l’exemple des dégâts de l’ouragan Katrina, dont la victime type est une femme noire âgée aux États-Unis, représentant l’archétype de la vulnérabilité. L’écoféminisme, pour moi, c’est la prise de conscience que la destruction de la planète et les luttes pour les droits des femmes et des minorités sont profondément connectées. Ce que nous infligeons à la planète se répercute sur les femmes et les minorités : exploitation, utilisation et rejet. L’écoféminisme nous incite donc à lutter simultanément pour une planète habitable et pour les droits des femmes, car ces combats sont intrinsèquement liés
L.B.B : On remarque aujourd’hui une majorité d’abstention aux élections européennes, notamment chez les jeunes. Comment comptez-vous y pallier et attirer les nouveaux électeurs vers les bureaux de vote ?
M. CAMARA : Je pense que pour cela notre force figure dans notre liste et par les combats que nous avons choisi de mener. Notre liste est composée de personnes qui ont été des activistes, y compris des militants issus des mouvements féministes et LGBT, ainsi que des paysans, ou même des jeunes de quartiers populaires. Ces membres incarnent les enjeux qui mobilisent, depuis des années, la jeunesse à travers d’importants mouvements climatiques et féministes post-MeToo, mais aussi pour la situation en Palestine où nous soutenons des initiatives de paix et de justice à Gaza. Ainsi, nous proposons un programme de rupture qui répond, selon nous, aux attentes de la jeunesse. Je tiens à rappeler l’exemple de la Pologne, où, après des années sous un gouvernement d’extrême droite ayant bafoué les droits des femmes, un changement de majorité a été rendu possible grâce à la mobilisation des jeunes, des femmes et des minorités qui ont voté pour un changement radical. Le 9 juin, si les progressistes, les femmes et les minorités se mobilisent, nous avons une véritable chance de transformer l’Europe, de renverser la table et de contredire toutes les prévisions qui favorisent l’extrême droite.
S. POPOFF : Il est aussi important de rappeler que les élections européennes sont singulières dans notre système national car c’est la seule qui soit proportionnelle, ce qui signifie que chaque vote compte réellement. Contrairement aux élections présidentielles où les stratégies de vote peuvent être influencées par la nécessité de surpasser certains seuils ou de bloquer des opposants, cette élection est entièrement personnelle et chaque bulletin est crucial. En effet, chaque pourcentage de vote correspond à peu près à un eurodéputé français, avec 80 eurodéputés représentant la France au Parlement européen. Ainsi, obtenir environ 1% des voix peut déterminer si un eurodéputé du Rassemblement National ou un eurodéputé écologiste sera élu. Cela rend chaque vote extrêmement important, surtout dans le contexte actuel. Nous avons également initié des campagnes contre la non-inscription sur les listes électorales, en particulier auprès des jeunes, qui sont souvent moins informés des élections européennes. Cette élection est cruciale car nous sommes confrontés à des enjeux majeurs de justice sociale et climatique, ainsi qu’à une augmentation de la précarité. La prochaine législature doit s’attaquer à ces défis. À Lyon, par exemple, grâce à une coalition de gauche avec une majorité d’élus écologistes, nous avons pu instaurer un revenu de solidarité pour les jeunes, similaire au RSA. Ce sont des initiatives comme celle-ci que nous souhaitons promouvoir à l’échelle européenne. Notamment sur des questions telles que la rémunération des stages obligatoires et l’élargissement du programme Erasmus à tous les jeunes, en fournissant les ressources financières nécessaires pour rendre la mobilité européenne accessible à tous. Ces mesures sont cruciales pour garantir que la mobilité internationale de la jeunesse ne soit pas limitée par des contraintes financières.
L.B.B : Dans le contexte des tensions internationales et des crises humanitaires et environnementales croissantes, je pense notamment aux montées des eaux qui vont générer de plus en plus de mouvements des populations, comment envisagez-vous, au sein du Parlement européen, d’améliorer la gestion de la crise de l’accueil et des flux migratoires en Europe ?
M. CAMARA : C’est effectivement bien de parler de crise de l’accueil et non pas d’autres choses. Il y a bien une crise dans l’accueil des réfugiés exacerbée récemment par des politiques qui multiplient les barbelés à nos frontières et augmentent le nombre de décès. L’externalisation des frontières, le financement de dictateurs étrangers et le fichage de mineurs, enfermer et traiter comme des terroristes doit cesser. Nous sommes à un tournant majeur pour l’Europe : continuer sur cette voie d’inhumanité avec des morts quotidiens dans la Manche, la Méditerranée et les déserts, ou choisir de développer une politique de solidarité et d’accueil. Nous aspirons à instaurer une véritable politique d’accueil et de protection notamment avec le projet de mise en place d’un service européen de sauvetage en mer, car actuellement, chaque jour des personnes meurent faute d’intervention. Notre ligne directrice est le respect du droit international et des droits des enfants, et nous voulons établir des centres d’accueil dignes. La France a les capacités d’accueillir dignement ces personnes en créant des centres adéquats et en ne laissant pas des mineurs isolés sans protection.
S. POPOFF : Je pense que le positionnement de l’extrême droite et de la droite représente une approche qui manque de responsabilité à ce sujet, particulièrement face aux crises croissantes, comme les crises climatiques. Ces crises vont engendrer des réfugiés climatiques, et il est essentiel que nous soyons préparés. Nous, les écologistes, avons la capacité de reconnaître la réalité des situations et de nous y préparer activement. Cela inclut l’accueil digne de toutes les personnes qui cherchent refuge pour des raisons qui rendent la vie impossible dans leur propre territoire.
M. CAMARA : Personne ne quitte son foyer par plaisir, et c’est là un point crucial. Les lois répressives, que ce soit en France ou en Europe, ne parviennent pas à endiguer les flux migratoires mais contribuent plutôt à accroître l’insécurité et le nombre de morts. Un autre enjeu majeur concerne nos relations avec le Sud global. Aujourd’hui, par exemple, lorsque l’Union européenne va pêcher jusqu’aux côtes sénégalaises, il ne faut pas s’étonner si les pêcheurs sénégalais, trouvant leurs ressources vidées, tentent de rejoindre l’Europe ou deviennent eux-mêmes passeurs, leurs bateaux de pêche devenant inutiles. Les accords commerciaux de l’Union européenne, qui exploitent ces territoires sans inclure de clauses miroir, jouent également un rôle. Tout comme, l’implantation d’entreprises polluantes dans le Sud impacte ces migrations. Il s’agit donc de reconsidérer nos relations et nos liens commerciaux avec le monde, ainsi que notre modèle de consommation.
L.B.B : Vous mettez en avant la nécessité d’une transition écologique qui vas mains dans la main avec les principes de justice sociale. Concernant l’extraction des minéraux essentiels à l’industrie électronique, souvent marqué par des conditions d’exploitations conflictuelles et des atteintes aux droits humains en Afrique, quelles initiatives proposez-vous pour encourager le développement d’une chaîne d’approvisionnement éthique et durable ? Et comment comptez-vous, à l’échelle du Parlement européen, concilier ces objectifs avec la protection des communautés locales et de leurs environnements ?
M. CAMARA : Je pense que l’un des enjeux majeurs, et c’est là où l’approche écologiste est cruciale, concerne la transition vers des minerais essentiels. Notre objectif n’est pas que chacun possède demain une voiture électrique. En effet, au lieu de simplement remplacer les voitures thermiques par des voitures électriques pour tous, nous questionnons le concept même de voiture individuelle et cherchons à développer d’autres moyens de transport. Cette vision écologiste vise à éviter un productivisme effréné et à favoriser une transition qui ne soit pas simplement une version ‘productiviste’ du changement. Ce changement de paradigme nous permettra de préserver une grande partie des ressources et d’éviter l’accaparement de celles-ci, surtout dans les pays du Sud, comme nous en avons discuté plus tôt. Au niveau européen, notre engagement avec le devoir de vigilance vise à promouvoir une économie qui ne soit pas destructrice pour le Sud. Nous n’acceptons pas les produits qui sont soit nuisibles pour le climat, soit issus de la traite humaine. C’est un enjeu majeur, notamment en ce qui concerne le Maroc.
En somme, notre objectif est de mettre en place une économie qui ne détruise pas le reste du monde. L’Europe doit se protéger et se défendre contre une économie prédatrice. Avec le devoir de vigilance, nous veillons à ne pas accepter des produits qui seraient soit « climaticides », soit issus d’exploitations injustes et majeures. Je souhaite également souligner notre position concernant l’utilisation de matières premières provenant de sources douteuses. Au sein du Parlement européen, les écologistes sont les seuls à avoir toujours été clairs sur cette question, notamment en ce qui concerne l’approvisionnement en provenance de dictatures. Aujourd’hui, nous ressentons les conséquences de notre dépendance au gaz russe. Avec le conflit actuel en Russie, nous nous tournons vers l’Azerbaïdjan, ce qui contribue ensuite au massacre des Arméniens. Nous affirmons que l’économie ne doit pas primer sur le climat ni sur les droits fondamentaux de chaque individu.
S. POPOFF : Le point sur nos relations avec l’Azerbaïdjan et le régime dictatorial d’Aliyev, ainsi que sur la question du gaz, trouve un écho particulier à l’occasion du 23 avril, jour de la commémoration du génocide des Arméniens que nous avons honoré à Lyon. Nous insistons sur le fait que les récents événements en Artsakh et au Haut-Karabakh sont inacceptables. L’Union européenne doit adopter une position bien plus ferme et claire pour défendre l’Arménie et les Arméniens. Récemment, des déclarations d’Erdogan et d’Aliyev ont même remis en question l’existence même de la République d’Arménie, ce qui est extrêmement alarmant. Nous avons toujours maintenu des positions très fermes sur ces questions. Concernant l’énergie, notre parti milite pour une sortie des énergies fossiles, proposant ainsi un projet qui permettrait à l’Europe de se libérer de cette dépendance. Ce qui nous donnerait la liberté d’affirmer plus fortement et collectivement notre engagement en matière de droits humains, sans être retenus par les influences économiques de ces régimes dictatoriaux
L.B.B : Vous défendez un basculement du transport des marchandises vers le ferroviaire et le fluvial. Quelle stratégie proposez-vous pour surmonter ces défis ? Et comment comptez-vous encourager ces entreprises européennes à adopter ces modes de transport beaucoup moins polluants ?
M. CAMARA : Il est important que la France ne réduise pas d’avantage le fret ferroviaire, comme nous l’avons observé ces dernières années. Nous nous battons pour que l’Union européenne adopte un plan de réindustrialisation qui soit à la fois plus vert et plus équitable. Ce plan devrait inclure un important volet dédié au développement du fret ferroviaire et fluvial. La réduction du fret en France représente un pas en arrière dans l’effort nécessaire pour changer notre approche des transports. Cette organisation doit se faire à l’échelle européenne, mais actuellement, ni la droite européenne ni les sociaux-démocrates ne soutiennent cette direction, notamment en approuvant l’utilisation de méga camions. Ce sera l’un des enjeux majeurs du prochain mandat : transformer le transport de marchandises au niveau européen.
L.B.B : Alors pour finir, on aimerait avoir un peu votre positionnement par rapport au discours d’Emmanuel Macron hier sur l’Europe.
M. CAMARA : On nous avait promis un discours de renouveau, mais en réalité, c’était un discours de statu quo. Je parlais du productivisme auparavant, et c’est encore cette même vieille chimère productiviste qui nous est présentée. Emmanuel Macron se positionne comme le symbole du renouveau européen. Cependant, durant ces cinq dernières années, son administration n’a fait que perpétuer les mêmes choses, collaborant avec la droite européenne et entravant les progrès sur des questions cruciales, notamment sur la transition concernant les pesticides. On nous avait promis une échéance pour ces réformes, mais nous attendons toujours. Il est clair que Monsieur Macron et sa vision appartiennent au passé, comme il l’a démontré aujourd’hui.