Givors offre à Lyon son titre de capitale de la funk

La funk fait partie du patrimoine culturel mondial. De part son groove mais également son aspect contestataire, elle trouve en Lyon une capitale qui lui va comme un gant. Belgacem, fondateur de la première soirée 100% dédiée à ce style musical, revient sur la genèse de son projet et comment il a su faire accepter dans sa ville un projet à l’envergure internationale.

Belgacem BEN Mokdad est un enfant de Givors, qui a grandi dans le quartier des Vernes. Il y découvre, très tôt, la musique et entend pour la première fois de la funk que les grands écoutent. « On est un quartier de plus de 4 000 habitants, on vit presque en autarcie : tabac, boulangerie, coiffeur, centre social, annexe mairie… On n’est pas considérés comme une ville, mais c’est presque le cas ». Au volant de sa première voiture, il écoute sur CD gravé sa première compilation où Carmen Clayton, artiste américaine, et le fameux « Time To Moove » a une place de choix. Une musique fédératrice pour cette génération majeure à la fin des années 90, pour qui Carmen a bercé l’enfance : « Time to moove, c’est un classique. Il y a des gens qui allaient braquer sur cette musique, d’autres s’endormaient dessus, d’autres encore célébraient avec ».

Plus qu’une musique, la funk est un art de vivre, une culture. Née aux Etats-Unis dans les années 70, elle trouve rapidement un écho en France, principalement à Lyon, au début des années 80. Avant de s’imposer comme un genre prédominant dans la capitale des gaules, la funk a connu plusieurs années d’une lente ascension que Belgacem appellera « la grande époque ». Des étés entiers à faire la propagande de cette musique si dansante et joyeuse qu’on en oublierait presque son aspect dénonciateur.

Le temps passe et Belgacem crée sa première structure musicale : Belek Records. Son objectif est de donner espoir et d’accompagner tous les jeunes du quartier des Vernes et Givors. Pour lui, il est nécessaire d’entreprendre dans le monde de la musique et surtout du rap. Pour cela, il réalise des ateliers d’écriture, d’enregistrement, produit des clips, se lie avec des artistes du territoire et d’autres à Marseille. Le projet fonctionne bien. Cependant, le givordin veut transmettre l’amour de la « vraie musique » à cette nouvelle génération qu’il parraine. Il entreprend de créer le premier événement dédié à 100% à la funk, qui guide son cœur et ses jambes. Cet événement « Lyon Capitale de la Funk » se tient à Givors et a rassemblé plus de 300 personnes dès la première édition, 400 pour la deuxième et en espère au moins autant pour la troisième ce samedi 10 septembre 2022.

Givors la belle, la rebelle

Ce projet est intrinsèquement lié à son créateur givordin. A l’instar de la ville qui l’a vu grandir, Belgacem n’est pas quelqu’un à qui on dicte ce qu’il doit faire.

Situé à plus de 15 kilomètres de Lyon et à seulement 10 kilomètres de la frontière avec la Loire, Givors n’a jamais eu une place de choix. Historiquement, elle a toujours été une des villes de la banlieue périphérique les plus marginalisée. Durant longtemps cette ville a été un lieu de « trique » -NDLR : À l’origine, la trique est une condamnation d’interdiction de séjour, une interdiction de territoire. Devenue avec le temps la trik – où les détenus les plus dangereux et les moins domptables du centre-ville de Lyon y étaient envoyés. Cette « ville franche » a toujours été vue comme un repère de dangereux criminels. Une réputation qui perdure.

Une mentalité que Belgacem souhaite changer via une cause noble : la musique.

Lui qui a réalisé une conférence au sein du Musée d’Art Contemporain de Lyon aux côtés de l’artiste allemand Jan Kopp, disait que « la musique et l’art n’ont pas de frontières ». Un leitmotiv qu’il applique dans sa vie et dans chacun de ses projets. Un temps snobé par la mairie, ignoré des politiques publiques, il a aujourd’hui gagné la confiance de Mohamed Boudjhelal, maire de Givors. Ce-dernier a énormément de choses en commun avec Belgacem, à commencer par la passion pour la funk et l’envie que les jeunes du territoire « sortent de leur bulle ». Belgacem se définit comme un citoyen engagé qui souhaite rendre à Givors ce qu’elle lui a apporté.

Carmen Clayton en compagnie de Mohamed Boudjellaba, maire de Givors. Crédit : Belgacem BEN Mokdad

Lyon est-elle vraiment la capitale de la funk ?

En appelant son premier événement « Lyon Capitale de la Funk », Belgacem se met beaucoup de puristes et de spécialistes de la musique à dos. Non pas parce que la capitale de la funk pourrait être une autre ville que Lyon, mais bien parce que Belgacem est le premier à le revendiquer et à lui dédier un événement. Une chose est sûre, en étant devenu l’ami et agent de Carmen Clayton, il a mis d’accord bon nombre de fans de ce style. À commencer par les collectionneurs de vinyles de la banlieue lyonnaise : « Il faut que les gens connaissent leur histoire. La funk fait partie de l’ADN de tous les lyonnais. C’est un mouvement de passionnés, qui prône l’échange et le vivre-ensemble, le partage. Dans son histoire, les plus gros collectionneurs se devaient d’échanger leurs vinyles. Si tu as un morceau de funk qui me plait, je l’échange avec un de ma collection qui te plait. Tu prends ton kiff pendant 4/5 jours et on se rend nos affaires à la suite de cela. Il fallait vraiment un échange ».

Si Lyon a souvent eu l’impression d’être un lieu propice au développement de la culture funk, aucun événement ne lui avait été consacré jusqu’à lors.  C’est par la validation de Carmen, elle-même, que Lyon est devenue la capitale du genre et que cet événement a pu perdurer : « On avait besoin que l’un des plus grandes artistes de ce mouvement valide le fait qu’on soit la capitale de la funk. Il n’y avait qu’elle pour le faire. Elle a accepté de venir pour la deuxième édition, un soir pour des dédicaces, le second soir elle a fait un show» .

« Soirée aux tenues et comportements corrects exigés »

De par son histoire turbulente, Givors semblait être un terrain compliqué pour accueillir une soirée aux ambiances funk. Situé dans la salle Georges Brassens en plein cœur de la ville, l’événement a essuyé des critiques : « coupe gorges », « ambiance de lacoste airmax », « peu fréquentable ».

Des critiques infondées issues d’une mentalité que le fondateur cherche à faire évoluer. Déjà par l’image qu’il renvoie personnellement, et surtout par l’aspect classieux et chic de son événement. A l’entrée et sur l’ensemble des affiches de communication de la soirée, la mention « tenues et comportements corrects exigés » se fait observer. Une déconstruction totale de la funk sous ses airs les plus clichés, qu’elle peut véhiculer sur les réseaux sociaux ou sur YouTube.

« Notre objectif est de changer le passé turbulent de Givors. On veut inviter uniquement des gens qui ont la classe, des costumes trois pièces, des nœuds papillons, des paillettes ».

Pour cela, la version 3.0 saura convaincre les quelques frileux : « Le concept de capitale funk 3.0, c’est de développer et d’augmenter le niveau de nos événements. On a la chance d’avoir un territoire qui regorge de talents. Il faut savoir les utiliser. C’est pour cela qu’on fait venir des humoristes talentueux comme Hermann, qui savent animer. On veut mélanger le côté show d’humoristes en before pour arriver ensuite vers le dancefloor. On crée un fil rouge en racontant également l’histoire de la funk via une vidéo d’une dizaine de minutes. On veut véhiculer cette image intemporelle ».

« La funk fait partie de l’ADN de tous les lyonnais »

La funk reste avant tout une culture qui prend tout le monde, sans exception de couleur, de religion, de langue, ou même de profession : « Ce qui est très intéressant dans la funk, c’est que même les plus grands footballeurs lyonnais connaissent leurs classiques. Karim Benzema connait Time to moove. Même les comédiens : Laz, Hermann, Kacem de La Fontaine ou Yanisse Kebab… Ils connaissent Carmen, ils ont dansé sur sa musique. Les joueurs de basket, les bagarreurs comme Fared Zïam, Eddy Naït-Slimani… La référence c’est Carmen. D’où Kacem de la fontaine, qui a réalisé son rêve, en la rencontrant durant la précédente édition ».

Pour lui, « La funk fait partie de l’ADN de tous les lyonnais », et l’objectif à plus long terme de l’entrepreneur reste de proposer le premier festival de funk au monde dans sa région. Comme son modèle et grand-frère « Jazz à Vienne », il souhaite proposer une programmation éclectique et ouverte, permettant à des artistes et spectateurs des quatre coins de la planète de profiter du spectacle : « Je suis déjà en pour-parler avec le maire de Givors pour faire un événement annuel. On veut créer une logique et une dynamique régionales qui portent sur l’évolution musicale ».

Également, en ligne de mire le prochain projet musical de Carmen, artiste qu’il a signé et produit, avec une envie de développer une musique aux couleurs lyonnaises. Aussi un projet de ville jumelée en Afriqueautour de la funk grâce à son contact avec le cinéaste malien Souleymane Cissé et Martin Scorcese. Invité pour les prochains césars, Belgacem ne manquera pas non plus de crier sur tous les toits de Los Angeles « Lyon Capitale de la funk », comme si les Etats-Unis ne le savaient pas déjà ?

Tristan

Retrouvez nos derniers articles ici :

La rédaction

Crée en 2008, la rédaction du Lyon Bondy Blog s'applique à proposer une information locale différente et complémentaire des médias traditionnels.

Voir tous les articles de La rédaction →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *