Portrait d’Andrei, qui a quitté sa Roumanie natale à 17 ans pour rejoindre la France. 10 ans plus tard, le jeune homme est toujours là, avec une histoire digne d’un film d’aventure.
Situé dans un ancien show room de designer, mon bureau attire régulièrement l’œil des badauds curieux et des colleurs d’affiches. Chaque semaine, c’est la même histoire : un anonyme pousse la porte, parfois pour nous demander son chemin, nous acheter des cigarettes (« Non, le bar tabac c’est à côté ! ») ou encore, déposer un CV. Hier, c’est Andrei* qui est venu « nous rendre visite ».
Habillé d’un jean delavé et d’un tee-shirt tendance coloré, le jeune homme tient fermement une pochette cartonnée dans ses mains. Il entre, s’avance et attend patiemment que je termine ma conversation téléphonique. Une fois le combiné raccroché, je lui demande spontanément s’il souhaite coller une affiche sur les carreaux du bureau. Surpris, il sourit. « Non, je voulais juste savoir si vous faisiez des photos. J’aimerais me faire prendre en photo, pour faire le mannequin. Enfin, je cherche surtout du travail. »
Flanqué d’une allure de beau gosse italien, Andrei a un accent qui ne laisse aucun doute sur ses origines. « D’après vous, je viens de quel pays ?», m’interroge-t-il, pensant me poser une question piège. « Hum, Roumanie? » – « Gagné !». S’engage alors une longue discussion sur son parcours, ses galères, la France, l’Europe, les gitans, la Roumanie, les Lyonnais, la religion… Une heure de discussion où Andrei livrera une petite partie de son histoire, avec pudeur et sincérité.
« J’ai quitté ma ville de Iasi quand j’avais 17 ans. Je n’allais plus à l’école, j’avais des problèmes avec la justice, des mauvaises fréquentations… Mon père travaillait en France à cette époque. J’ai donc décidé de le rejoindre. » Il y a 10 ans, la Roumanie n’appartenait pas encore à l’UE. Andrei a donc payé la mafia locale qui lui a fait traverser une partie de l’Europe en voiture et à pied. Sur une carte, le jeune homme me montre son parcours. Budapest, puis la Hongrie, la Slovénie et pour finir l’Italie. « Arrivé en Italie, nous nous sommes rendus à la police. Ils ont fait venir une traductrice afin de savoir qui on était, ce que l’on venait faire en Italie, qui nous avait amenés jusqu’ici. Je suis resté très évasif. » Encore mineur, Andrei est conduit dans un foyer. On lui promet une formation. « Malgré les opportunités, je ne suis pas resté. J’ai retrouvé mon père en France, en banlieue parisienne. »
Il passe par la case Préfecture et effectue sa première demande de carte de séjour. Pendant ce temps, le jeune homme étudie le français et l’anglais dans une école. Tout d’abord impressionné par le côté oppressant de la capitale, Andrei se fait rapidement des amis. « Des Français, des Portugais, des Sénégalais… ». 3 ans et demi plus tard, après deux demandes de carte de séjour, ponctuées de stage et de formations, le jeune Roumain peut enfin vivre légalement en France.
Pas très bavard quand il s’agit de parler de ses relations avec son père, il me détaille bien volontiers les grandes lignes de son CV. « J’ai été manutentionnaire, j’ai travaillé dans des grandes surfaces, un peu dans le bâtiment, la restauration. Mais bon, toujours pour des petites missions de quelques heures, quelques jours en intérim. » Cela fait un an qu’Andrei a rejoint Lyon, dans l’espoir de trouver un travail stable. Depuis, la crise est passée par là et c’est un peu la douche froide. « Je galère depuis que je suis ici. Et puis, j’avoue avoir du mal avec les Lyonnais. Ils sont assez froids, pas très communicatifs… ». Ses recherches d’emploi s’avèrent aussi compliquées. « J’ai du déposer mon CV dans 30 agences intérim et seules deux m’ont rappelé. Je sens bien que le visage des gens se ferme dès qu’ils me voient et qu’ils entendent mon accent. Pour beaucoup, Roumain signifie Rom, et je sais qu’ils sont mal vus ici. »
Actuellement en couple avec une Lyonnaise d’origine Kabyle, le jeune homme habite chez 3, 4 amis différents. Lorsque je lui demande comment il voit son avenir, Andrei est optimiste. Il compte encore voyager, « peut-être en Suède ou en Norvège ». Son rêve ? Monter une société d’import-export entre la Roumanie et la France. « Mais bon, il faut bouquiner pour réaliser un tel projet ! ». La seule chose dont est certain Andrei, c’est qu’il ne souhaite pas retourner vivre en Roumanie. « Je n’ai plus d’amis là-bas. Beaucoup sont partis. Pas par choix mais parce que les jeunes ne peuvent pas subvenir à leur besoin dans mon pays. Certains produits alimentaires sont plus chers qu’en France, beaucoup d’habitants ont perdu leur travail, ne peuvent plus payer leur loyer. C’est sûr qu’avec l’Europe, ca va mieux mais il faudra encore 50 ans à mon avis pour que la situation évolue vraiment ! »
* Prénom modifié
http://www.flickr.com/photos/dolarz/2917134711/
Pascale Lagahe