C’est au tour des habitants du squat Le Maria d’être expulsés en urgence à cause de l’état des installations électriques. Le squat Le Carré, qui partage la même cour intérieure, avait été évacué le mois dernier à cause d’un incendie. Deux décisions contestées par le collectif de soutien et d’habitant-es.
L’expulsion du squat Le Maria survient un mois après celle du squat Le Carré, dans le même immeuble, propriété de Grand Lyon Habitat (GLH). Une « magouille » pour les soutiens du squat, une question de sécurité publique pour GLH et la Métropole de Lyon. Cette dernière reloge « gracieusement » les habitants du Maria à l’hôtel, même ceux qui ne relèvent pas de ses compétences.
Deux squats voisins dans un immeuble de Grand Lyon Habitat
Le squat Le Maria-Carré est né au printemps 2020, au sein d’un même ensemble détenu par GLH. Il s’agit en réalité de deux squats partageant la même cour intérieure. Le premier donnait sur la Rue Pasteur, le deuxième sur la Rue Salomon-Reinach. Ils abritaient une centaine de personnes.
Un propriétaire privé logeait des locataires avant le rachat de l’immeuble par GLH en 2017. Le bailleur social avait pour projet de le transformer en une résidence étudiante. Les lieux ont été investi par un collectif quand GLH a commencé à reloger les locataires. Au fur et à mesure des mois, le Maria-Carré a accueilli des personnes aux situations diverses : européens, français, personnes en situation irrégulière, salariés en attente d’un logement social, familles, hommes seuls. En mars 2021, l’affaire avait été portée devant la justice : GLH demandait une expulsion sans délai des habitants. Une décision du Tribunal de Lyon rendue en mai 2021 les a autorisés à rester jusqu’à fin mai/début juin 2022.
L’évacuation du squat Le Carré en février déjà contestée par les soutiens
Parti du salon de coiffure situé au rez-de-chaussée du squat Le Carré, un incendie le 14 février avait provoqué l’évacuation momentanée des deux squats. Les habitants du Maria avaient pu réintégrer leur logement après l’incident car leur bâtiment n’avait pas été endommagé. D’après Boris Miachon Debard, adjoint à l’urbanisme et à l’aménagement, la mairie du 7ème arrondissement avait « créé les conditions pour que tous les habitants du Carré aient une solution le soir même », grâce à l’ouverture d’un gymnase à Gerland. Comme le Carré a finalement été déclaré inhabitable après un diagnostic des services techniques d’Enedis, la majorité des habitants a ensuite été relogée à l’hôtel par les services de l’État (des précisions sont à apporter).
Le communiqué de presse du collectif de soutiens et d’habitant-es du squat était sans appel : « Grand Lyon Habitat a profité de cet incendie pour expulser en toute illégalité une trentaine de personnes qui ont légalement le droit de rester dans l’immeuble pour encore 3 mois ». En plus de pointer des irrégularités dans la prise en charge des habitants, ils expliquent que « le bâtiment ne présente pas de risque », contrairement à l’expertise d’Enedis. Boris Miacho Debard, qui était présent sur les lieux, nous confirme « qu’il y avait des trous dans le sol » et que « les logements ne sont plus du tout en capacité d’être utilisés« . Il en déduit donc que les accusations portées à l’égard de GLH, c’est-à-dire expulser pour gagner deux mois dans le lancement des travaux, sont « lourdes et dangereuses« . Pour isoler le squat Le Carré, la porte d’accès dans la cour intérieure a été murée.
Tous les habitants du Maria relogés à l’hôtel par la métropole pour une durée indéterminée
Suite à l’incident, les experts d’Enedis ont effectué un contrôle au tout début du mois de mars dans le bâtiment squatté attenant, Le Maria, 47 rue Pasteur. Ils ont découvert que la colonne électrique avait été piratée. On peut lire sur l’arrêté-péril affiché sur la porte d’entrée du squat : il y a « urgence à ce que des mesures provisoires soient prises en vue de garantir la sécurité publique, laquelle est gravement menacée par l’état des installations électriques des parties communes de l’immeuble en raison des risques d’électrocution des personnes et de déclenchement d’incendie ». L’arrêté-péril a été rédigé d’après le rapport d’Yves Cottarel, expert désigné par ordonnance du Tribunal Administratif de Lyon. Ce qui est qualifié de « piratage » de la colonne électrique correspond à des travaux effectués par des électriciens bénévoles afin d’améliorer le confort voire de permettre « la survie » des habitants.
D’après un responsable de secteur de GLH présent au moment de l’expulsion, l’électricité était vétuste mais fonctionnelle à l’époque où le bâtiment avait été racheté par GLH en 2017. « Il n’y avait pas de risque particulier, mais le fait d’intervenir sur la colonne, ça la rend dangereuse. L’installation a été endommagée par les branchements pirates ». Enedis devait alors impérativement neutraliser l’installation car en cas d’incident, l’affaire relevait de sa responsabilité.
La trêve hivernale interdit les fournisseurs d’énergie de couper l’électricité jusqu’au 31 mars (loi Brottes n°2013-312 du 15 avril 2013). Tout remettre aux normes nécessitait des travaux trop importants alors que l’intérieur de l’immeuble allait être détruit dans deux mois. C’est pour cela que la Métropole de Lyon, dont le président possède la compétence de déposer des arrêté-périls, a procédé à l’expulsion des habitants tout en leur proposant directement un relogement provisoire à l’hôtel. La Métropole a relogé pour une durée indéterminée les personnes qui relèvent de sa compétence, c’est-à-dire les mineurs isolés, les femmes enceintes de plus de huit mois, les femmes isolées avec des enfants de moins de trois ans, mais aussi ceux qui n’y correspondent pas comme les hommes seuls.
L’expertise d’Enedis mise en doute par le collectif de soutien et d’habitant-es du Maria-Carré
Les soutiens du squat Le Maria-Carré, en plus de contredire l’expertise rendue par Enedis, s’interrogent sur le délai de trois semaines qui s’est écoulé entre l’incendie du Carré et la deuxième intervention de contrôle dans le Maria : « Ils auraient pu intervenir avant. Si c’était dangereux, ils auraient dû couper dès le départ quand ils sont passés la première fois », nous confie un électricien de métier que nous avons pu interroger sur place. Il ajoute : « On a amélioré l’installation électrique par rapport au moment où il y avait des locataires dans l’immeuble ».
Un autre soutien a longuement échangé avec nous sur la sécurité des installations électriques et sur GLH. « Mettre des arrêtés périls, c’est une méthode de colon, ça fait longtemps qu’il n’y en avait pas eu. Dès qu’un tribunal autorise les gens à rester quelques mois de plus, ils posent un arrêté péril pour les expulser ». Certains de ses camarades nous font part de leur incompréhension face au motif de l’arrêté-péril. D’après eux, si leurs installations électriques sont considérées comme dangereuses, il faudrait évacuer non seulement tous les autres squats, mais aussi le quartier de Guillotière, voire certains logements sociaux de GLH.
Un soutien ajoute : « Ca fait 2 ans que les gens se bagarrent pour voir les assistantes sociales, les associations, mais ils ne viennent jamais. Les services sociaux font comme si ça n’existait pas. La Préfecture, la Métropole, GLH ne prennent pas leurs responsabilités ». Nous avons pu observer néanmoins que la plupart étaient suivis par des assistantes sociales. Le collectif regrette qu’un travail social de qualité n’ait pas eu le temps de se faire à cause de la précipitation de l’expulsion, et précisent qu’un logement à soi reste bien mieux que l’hôtel, inadapté surtout pour les familles. Les habitants comptent déposer un recours au Tribunal Administratif.
Les habitants prévenus de l’expulsion la veille pour le lendemain
Étaient présents lors de l’expulsion le service des relations publiques de la métropole, deux représentants de GLH, plusieurs agents de la Métropole en charge de l’Habitat et des ouvriers Enedis. Elle s’est déroulée plutôt sereinement. Jusqu’à l’arrivée des agents de la Métropole, les habitants ne savaient pas dans quel hôtel ils étaient affectés. Quelques taxis ont été dépêchés pour l’acheminement jusqu’aux hôtels, mais la plupart ont dû se véhiculer par leurs propres moyens.
Le service des Relations Publiques de la Métropole de Lyon nous a précisé que l’objectif est bel et bien de reloger de façon pérenne dans un habitat adapté les personnes qui correspondent à leur compétence. L’urgence les a contraints à prévenir les habitants de leur expulsion la veille (mercredi 9 mars) pour le lendemain (jeudi 10 mars). Des créneaux sont prévus dans la semaine pour les laisser récupérer d’autres affaires s’ils en ont besoin.
Des personnes qui n’étaient pas toutes « sans-droit »
Parmi les habitants, on trouve par exemple des femmes isolées avec des enfants. L’une d’entre-elle est française et travaille comme Atsem dans une école du 7ème arrondissement. Elle vivait ici avec ses deux enfants dont l’un est trisomique. Après la résiliation d’un bail qu’elle avait depuis 10 ans, elle s’était vu proposer plusieurs logements sociaux, mais toutes les tentatives ont échoué. Après l’expulsion, elle devrait être prioritaire pour obtenir un logement social, à l’instar d’une maman espagnole de deux enfants, enceinte de 8 mois, qui souhaite rester anonyme. Elle est employée en CDI dans un Carrefour Market de Saint-Priest et attend une proposition de logement social depuis un an : « La première fois, on m’a dit qu’il n’y avait pas de place, après on m’a dit « il faut que tu trouves un autre travail pour gagner plus ». J’ai trouvé le nouveau travail pour gagner plus. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas ».
Mohammed est l’habitant le plus ancien du squat. Venu d’Algérie, il vivait ici depuis deux ans avec sa femme, qui est malade, et son cousin, sans jamais parvenir à obtenir des papiers. Il est venu en France pour trouver du travail et fuir l’ex-compagnon violent de sa compagne, mariée de force. Il survivait en travaillant au noir sur les marchés. « Avec mon cousin, on a fait beaucoup de travaux dans l’appartement pour le laisser nickel. Quand on a appris qu’on allait être expulsé, j’étais désolé. Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai peur pour ma femme si on se retrouve dans la rue. Je n’ai pas confiance en eux. On sera relogés à l’hôtel pour combien de temps ? Ils savent qu’on a pas de papiers. Je n’ai pas envie de revivre des chocs de nouveau », nous a-t-il confié. Il ajoute « Mon cousin est électricien. L’électricité est en bon état. Ils ont profité de l’incendie de l’autre côté pour récupérer leur bien ».
Un autre homme, qui souhaite rester anonyme, est quant à lui dans le squat depuis un an et demi après avoir vécu dans la rue ou chez des amis. Il est arrivé en France il y a « des années » avant d’être naturalisé français. « On a eu des parcours difficiles, des hauts et des bas, des problèmes professionnels et familiaux, comme tout un chacun. Le squat aurait pu nous permettre de remettre un pied à l’étrier, de rebondir. Maintenant, c’est cassé. On repart à 0. ». Pendant le Covid, il a refusé de rester dans l’hôtel où il avait été affecté car les restrictions étaient trop drastiques. « Je ne suis pas un touriste, j’avais besoin de me débrouiller pour reprendre mes activités, trouver du boulot. Aujourd’hui, par rapport au relogement à l’hôtel, on ne sait pas où ni pour combien de temps. C’est un flou artistique ».
Tous les habitants que nous avons interrogés n’avaient aucune idée de ce qui allait advenir dans un futur plus ou moins proche. Certains s’inquiétaient du temps de transport de l’hôtel jusqu’à leur lieu de travail ou jusqu’à l’école de leurs enfants. Alors même que le mois dernier, le sans-abrisme a été l’objet d’une conférence à l’échelle européenne organisée par la Métropole de Lyon, la pénurie de logements sociaux et d’hébergements d’urgence sur le territoire reste un enjeu crucial. Néanmoins, la Métropole et la Mairie de Lyon ont fait preuve de certaines innovations encourageantes en la matière et ont affiché leur volonté de poursuivre les efforts.