Le mercredi 9 février a eu lieu la cérémonie de clôture du FIFH à l’Institut Lumière, en présence de nombreux représentants institutionnels français et étrangers. Si le festival est engagé contre l’essentialisation du handicap, ce n’est pas le propos des films qui ont été récompensés. Ce sont la créativité et le talent de réalisateurs du monde entier qui ont été célébrés.
C’est Alexandre Philip, acteur, scénariste et réalisateur, qui ouvre la soirée après une entrée tonitruante sur un air de métal. Prenant le contrepied des attentes des invités, il se lance dans un discours caustique dénonçant le lien trop facilement établi entre handicap et dépassement de soi. Après avoir cité les achèvements de Philippe Croizon, qui a fait une traversée remarquée de la Manche à la nage en 2010 alors qu’il était amputé des quatre membres, et ceux de Luc Rodriguez, son collègue dans la série Vestiaires et handicapé moteur, il déclare : « Ces gens, ils n’en ont rien à foutre de donner une leçon de vie. Ce soir, on va remettre des prix à des femmes, à des hommes. On n’est pas là pour dire « c’est admirable au vu de leur condition ce qu’ils ont fait, quelle belle leçon de vie ! ». Ce soir, ce que je vous demande, c’est de célébrer le talent, le travail, la créativité, l’humour, la sensibilité. ».
Le ton de la soirée est donné. Il s’agit de ne pas essentialiser le handicap : chaque personne handicapée a des passions, des espoirs, des rêves irréductibles à sa situation et qui lui sont propres. Philippe Lefait, écrivain et journaliste parrain du festival, approuve : « Je n’aime pas le mot handicap, je préfère singularité, car quand il y a singularité, on est tous à égalité. La connerie est une singularité parmi d’autre au même titre que le handicap. ».
Un festival engagé mais des œuvres avant tout artistiques
Marie-Castille Mention Schaar, productrice, scénariste et réalisatrice, présidait le jury fiction tandis que le docteur Jean-Baptiste Richardier, cofondateur d’Handicap International, celui du jury documentaire. Il s’est permis lors d’une intervention de clarifier les enjeux du festival. Si son existence témoigne d’une volonté de lutter contre l’essentialisation du handicap, d’après lui, les films ne sont pas engagés : « Ce n’est pas le propos de création à laquelle se sont livrés toutes celles et ceux qui ont proposés des films. Ce sont des œuvres de création artistique, volontiers poétique et fortement marquées par les différences culturelles où ces œuvres ont vu le jour ». Il ajoute : « Chacune d’elle est une exploration du foisonnement des richesses intérieures, qu’elles soient individuelles, familiales ou communautaires. Les scenarii sont souvent drôles, parfois graves mais jamais misérabilistes. »
Ce sont deux films ex-aequo qui remportent le prix du Meilleur long-métrage fiction. Romy’s Salon de Mischa Kamp, une réalisatrice néerlandaise, raconte l’histoire d’une grand-mère coiffeuse qui affronte les premiers stigmates de la maladie d’Alzheimer. Elle accepte à contrecœur de s’occuper de sa petite-fille Romy, mais leur relation change quand elle se confie à elle. Le film paraît être un savant mélange entre rire et émotions. Bitva d’Anar Abbasov, un réalisateur Russe, conte quant à lui l’épopée d’Anton, danseur de rue talentueux, qui voit ses rêves anéantis quand une blessure le plonge dans un monde de silence. C’est dans cette période difficile qu’il rencontre l’amour de sa vie et se rend compte que son amour de la danse est plus fort que tout. Les scènes de battle de danse ont l’air grandioses et les séquences bien rythmées sont dignes d’un film hollywoodien.
C’est le documentaire Sais-tu pourquoi je saute (ou The Reason I Jump en version originale) de Jerry Rothwell, réalisateur britannique, qui remporte le sésame du meilleur long-métrage documentaire. Jean-Baptiste Richardier en a fait un très bel éloge : « certaines prises de vues relèvent de la prouesse, le montage est excellent, la musique est très bien choisie. Dans ce film, il n’y a pas de pathos, seulement un témoignage juste, sans prétention prosélyte. La profondeur des interviews et la sincérité des parents sont remarquables. Le film rend bien compte de la dimension, internationale et universelle de l’autisme : il nous montre que le handicap n’est pas défini, reconnu et accompagné de la même manière selon le pays où on se trouve ». Pour en savoir plus sur le documentaire et ses impressions faites lors de son avant-première mondiale, vous pouvez vous reporter à cet article.
On peut citer enfin le film A Butterfly’s Heart d’Inesa Kurklietyte, une réalisatrice lituanienne, qui a remporté le prix du membre d’honneur du festival Pascal Duquenne.
Deux principes : plus de considération dans le monde du travail et éducation de la jeunesse
C’est Véronique Montangerand, inspectrice de l’éducation nationale et conseillère technique auprès du recteur qui a remis le prix du Meilleur court-métrage de l’académie de Lyon dans la sélection jeunesse au film Les chaussures de Louis de Théo Jamin. « 450 élèves étaient inscrits pour participer à ce festival », précise-t-elle, « nous invitions chacun des élèves présents à ces projections à voter pour le court métrage qu’ils ont préféré. ». Le supérieur n’est pas en reste puisque L’Université Lumière Lyon 2 a un prix dédié. Les étudiants ont récompensé un court métrage de la sélection « Troisième ange ». Nicolas Navarro, vice-président à la culture de l’établissement, explique l’intérêt des projections : « faire dialoguer des formations différentes et donc des points de vues différents sur ces créations artistiques. Dans le jury, il y avait des étudiants plutôt en cinéma, d’autres en sciences sociales. »
Le festival met aussi un point d’honneur à interroger la place des personnes handicapées dans le monde du travail. C’est Fabrice Faure, fondateur du Groupe de recrutement et d’intérim LIP, qui a remis le prix du meilleur court métrage sélection « Je veux travailler ! » au film Marjorie D’Anne Le Graciet. Son entreprise possède un fond de dotation, LIP s’engage, destiné à lutter contre toutes les formes de discrimination à l’emploi. Ce sont les frères Incorviaia, passionnés de cinéma, qui ont initié la sélection « Je veux Travailler ! ». Thomas et Tristan ont livré un témoignage percutant : « Le monde du travail pour les personnes handicapées reste une forteresse inaccessible. Tel Don Quichotte qui se bat contre des moulins à vent, nous tentons désespérément de trouver une faille qui nous permette d’accéder à ce monde où nous restons totalement inconnus ».
Jessica Martin Maresco, présidente de l’association du FIFH, nous rappelle l’importance d’une école inclusive pour changer le regard sur le handicap : « Ma fille est allée voir Sais-tu Pourquoi je saute. Je lui ai demandé si elle avait appris quelque chose, elle m’a dit que non. Pourquoi savait-elle déjà des choses que certains adultes ne savaient pas ? Parce que dans son école, on accueille des autistes, parce qu’elle les connait, elle les côtoie, parce que c’est une conversation qu’elle a déjà eu avec ses professeurs et les encadrants des jeunes autistes. Être handicapé, c’est être soumis à l’ignorance des gens qui vous entourent. ».
Un coup de projecteur sur le Cambodge
De nombreux officiels et réalisateurs internationaux ont participé à la cérémonie, en montant directement sur la scène ou par l’intermédiaire de vidéos de remerciements qui ont été projetées. On peut souligner la présence de Son Altesse Royale (SAR) La Princesse Sylvia Sisowath du Cambodge, marraine du festival. Elle a notamment remis le prix du meilleur court métrage fiction dans la sélection « Fais-moi du cinéma ! », qui est nourrie par des partenariats avec des écoles de cinéma en France et à l’étranger. C’est le film Across the fear de Jian Juan Ting, étudiant à Yunlin University de Taiwan, qui a été récompensé.
Elle a par ailleurs assisté à de nombreuses projections avec les scolaires qui l’ont ravie : « Je peux vous assurer que vous faites un travail extraordinaire pour captiver l’attention de ces jeunes. Je n’ai jamais vu une audience aussi calme et attentive. Ce seront vos ambassadeurs pour ouvrir le festival dans d’autres régions ». Katia Martin-Maresco, la fondatrice du festival, l’avait rencontrée grâce à Patricia Malissard, responsable d’Handicap International à Nice, qui était son amie d’enfance. SAR Sylvia Sisowath travaillait alors avec le réalisateur franco-cambodgien Rithy Panh, dont les longs-métrages ont été sélectionnés de nombreuses fois pour le Festival de Cannes.
Une dimension internationale qui prend sens par la tournée mondiale du festival
Le chef du bureau consulaire du Japon à Lyon, Monsieur Kuratomi Kenji, était présent quant à lui afin de remettre le prix « Coup de cœur de Caza » à son compatriote Yurugu Matsumoto pour son docu-fiction Talking to the Starry Sky. Il évoque la question des personnes en situation de handicap au regard de la catastrophe de Fukushima.
Katia Martin-Maresco précise bien que son label « international » ne vaut pas seulement parce qu’il reçoit et récompense des films étrangers : l’idée est d’« aller véritablement à la rencontre des autres ». Sa dimension internationale s’envisage par sa tournée dans les autres pays : le festival s’envole en avril au Brésil pour une semaine. C’est une nouvelle occasion d’aller à la rencontre des scolaires du monde entier. L’organisation est la même que lors du festival lyonnais : tandis que les projections sont destinées aux jeunes dans la matinée, c’est le grand public qui prend le relai l’après-midi.
On peut conclure sur les mots de Jessica Martin-Maresco : « Ce festival a pour but de faire reculer cette ignorance qui est universelle en donnant à voir, à comprendre, à ressentir, à partager, ce qui pour certains demeure un mystère ».