Du haut de ses 29 ans, ce grand enfant, ou plutôt ce « Follenfant » (son nom de famille), vit de l’écriture. Rap, atelier d’écriture, ce que Justin aime c’est la transmission. Alors pas étonnant que cet amoureux du langage soit aussi bavard que ses textes.
Né en Australie et ayant grandi à Grenoble, Justin Follenfant est arrivé à Lyon à 18 ans pour ses études d’anthropologie. « Mais surtout pour faire du rap », ajoute-t-il expressément, avec celui qu’il appelle « son frère de sens », Tinmar (Martin à l’envers).
Le rap dans le sang
En réalité, sa vocation commence dès le lycée où il crée avec son pote le groupe de rap « Deux Lyricists ». Il faut dire que son père a toujours aimé inventer des mots ou parler « en freestyle complet, trouver des mots pour tout et rajouter des consonnes. Il parle aussi javanais. » Alors pour le rappeur, ça lui paraissait naturel de vouloir composer ses propres textes dans la musique, de mélanger l’argot, des termes d’anthropologie, des mots en anglais et des formules de tous les jours. Et puis son grand frère lui faisait déjà écouter les classiques du rap étant petit ; alors quand il les redécouvre à l’adolescence, il a l’impression « d’être à sa place parmi ces flow et sonorités ».
Avec son pote, ils sortent un album dès la fin des années lycées, « en mode tout fait maison » : c’est-à-dire qu’ils cumulent les fonctions de paroliers, musiciens, ingénieurs du son, producteurs, distributeurs … « J’ai commencé à enregistrer dans une grange abandonnée derrière chez mes parents. J’avais installé deux petites enceintes et je restais là-bas jusqu’à pas d’heure. Mais l’album, on l’a enregistré chez un ami parce qu’il avait un meilleur micro et qu’il faisait des instrus. ». Ce premier 17 titres se vend à 200 exemplaires ! Et leur permet de rencontrer d’autres rappeurs qui leur parlent des open mic dans des lieux abandonnés ou dans des bars à Grenoble. « Quand tu fais du rap, c’est cool de se confronter à d’autres rappeurs. C’est là que tu progresses et que tu partages vraiment la musique ! », reconnaît-il. Ses premières expériences de scène à 15-16 ans au bar Loco Mosquito et sur un terrain vague pendant un open mic à Cap Berriat le confortent dans ses idées : Justin (ou 1just de son blaze en solo) a véritablement envie de continuer d’écrire. De fil en aiguille, les deux jeunes rappeurs multiplient les petits concerts dans des squats et les bars et se retrouvent même à remplacer des membres d’un collectif grenoblois, pour un concert sur la grande place Saint-Bruno au Printemps des Libertés. Ils rencontrent Dj Skore, qui leur fait découvrir d’autres histoires du rap et leur transmet une culture musicale qui les accompagne depuis. « On va chez lui écouter des vinyles des journées entières, enregistrer des sons ou juste freestyler et rigoler. »
« J’ai commencé à enregistrer dans une grange abandonnée derrière chez mes parents. »
Mais à 18 ans les voilà parti pour Lyon, « une ville qui bougeait bien », comme le décrit Justin. « On était surmotivés ; on allait à toutes les jams (session musicale ouverte d’improvisation), même celles de rock. On prenait le mic pour rapper. » C’était également le retour des open mic ; l’occasion pour le jeune binôme de rencontrer des rappeurs, notamment ceux du groupe la Microfaune : Barbiok Lee, vax-1, Double A, mais aussi Smoky, Dj Waks, SethMc et le triple B avec qui ils créent le Collectif la Megafaune en 2012. Ils rencontre alors un certain nombre d’autres acteurs du milieu rap et hip-hop.
La rencontre avec les jeunes
En parallèle, Justin finit ses études d’anthropologie et passe le BAFA. Il commence à faire de l’animation avec des jeunes et décide de mêler travail et passion : il essaie de les faire rapper ! Avec d’autres rappeurs de l’association Mégafaune, il propose des ateliers d’écriture. Foyer, lycée, le rappeur fait découvrir l’écriture à tous types de jeunes publics. « Je me suis rendu compte qu’il se passait quelque chose avec l’écriture. Moi-même quand j’étais ado, en tant qu’insomniaque, ça m’a permis d’inventer des histoires et de réussir à m’endormir. » Pas très bon à l’écrit dans sa jeunesse, ni même grand lecteur, il s’est rendu compte que l’écriture du rap l’avait aidé à s’exprimer, que ça représentait « une porte d’entrée, une manière de trouver ses propres mots et de créer son langage ».
Ainsi, pour compléter ses connaissances et s’ouvrir aux autres formes d’écriture (théâtre, poésie etc.), il choisit de faire une formation d’atelier d’écriture à la fac de lettres à Montpellier. De là, il décide de nourrir ses ateliers de littérature : « S’ils veulent faire du rap en atelier, très bien, mais moi je voulais arriver avec des textes littéraires et travailler avec ça pour écrire. L’idée était d’arriver avec différents outils d’écriture et que chacun puisse choisir. »
Les ateliers d’écriture, « une manière de trouver ses propres mots »
Ça fait maintenant 10 ans qu’il propose ses propres ateliers un peu partout (Bourg-en-Bresse, Grenoble, Lyon), parfois en duo avec son ami Martin. Au fil du temps, son travail se fait connaître grâce au bouche-à-oreille, sans site web ni démarchage. À peine rentré d’un foyer à Tassin-la-Demi-Lune pour jeunes en décrochage scolaire, il prend le temps de nous raconter ses ateliers d’écriture, tout en buvant son café. Aujourd’hui, son travail s’adresse à un public très large : des personnes en situation de handicap, des écoles, des collèges, des conservatoires de musique, des instituts médico-éducatifs (IME), des instituts thérapeutiques et pédagogiques (ITEP). « J’ai travaillé en psychiatrie, où il y avait des jeunes qui me disaient qui ne pouvaient pas écrire. Et puis d’un coup, ils te sortent un texte, que lorsque tu le lis, tu as envie de pleurer, parce que c’est hyper pointu et hyper brut. Ça se trouve, ils ont déposé en eux des milliers de souvenirs pour arriver à mûrir et sortir ce texte-là. » Certains continuent d’écrire après ou participent à leur tour aux open mic. Il a une dizaine d’employeurs dans 6-7 lieux différents et il aura fallu un peu plus de 7 ans pour qu’on l’invite à travailler dans un conservatoire de musique, « alors que le rap reste de la musique ».
« Je me suis rendu compte qu’il se passait quelque chose avec l’écriture. »
S’il espère apporter ses connaissances aux jeunes, il se « nourrit également beaucoup de leur approche, de leurs réflexions et de leur spontanéité ». Sa manière de procéder diffère selon le profil des jeunes, selon ce qui est demandé, selon la durée. Un atelier peut s’étendre entre 8 à 20 séances, précise-t-il approximativement, à raison d’une heure minimum chacune, souvent plus. Il nous explique que son travail se divise généralement en trois temps : la proposition des sujets d’écriture, l’écriture en elle-même (partie la plus longue) et le partage des textes (lecture, mise en musique ou mise en scène). Les jeunes peuvent poser leurs textes sur son « micro USB Samson », qu’il a depuis 15 ans, depuis ses débuts. Et puis régulièrement, il les emmène à la radio, notamment à radio Canut : « C’est une manière de mettre en voix ses textes sans le défi de l’apparence physique ». Si le rap a une place particulière dans sa vie, le dessin aussi ; avec Tinmar, ils se sont toujours intéressés au graffiti et au dessin, et proposent aujourd’hui des ateliers qui mêlent les deux pratiques artistiques. « La poésie disait Paul Valéry, c’est ce qui donne à voir ».
« Écrire ça sert à creuser, à mettre à plat ses idées, à sortir de soi certaines choses »
Pour Justin, on écrit aussi pour soi : « Écrire ça sert à creuser, à mettre à plat ses idées, à sortir de soi certaines choses ». L’écriture n’est pas selon lui « un produit fini ; tu peux toujours progresser, continuer ». C’est pourquoi, ce presque trentenaire n’a jamais arrêté d’écrire ; il a sorti au printemps dernier, avec 2Lyricists, un dernier EP nommé INTRAMUROS. « J’écris tous les jours, pas forcément que du rap. J’ai 567 notes sur mon portable et j’ai aussi un Google doc plein à craquer. Et à côté de ça, j’ai des dizaines de carnets, des feuilles volantes que je perds. » Il avoue pourtant qu’à certains moments il écrit moins, mais quand on commence à écrire à 12 ans, ça devient « une sorte d’économie de vie ». Et puis même dans ces moments-là, les événements qui lui arrivent dans la vie deviennent « du carburant » pour plus tard. « Parfois, je vais écouter une instru et je vais écrire 16 ou 32 mesures en 10- 15 minutes. Et pour d’autres textes, je vais mettre deux mois à les écrire. » Mais arrivé en studio, il réécrit toujours certains bouts du texte ou sélectionne seulement les 8 meilleures mesures par exemple. Selon lui, ce qui fait justement la distinction entre les sons freestyle et les sons finis, c’est la réécriture et les arrangements : cette capacité à revenir sur le texte et le morceau, à mettre son égo de côté et se dire que certains passages sont moins bons. « Mais il faut arriver à une certaine justesse. Renoncer c’est créer, précise-t-il. Avec Tinmar, on a toujours tenu à faire du rap complexe et à texte, où chaque phrase a plusieurs portes d’entrée. Pendant longtemps, on a eu du mal à renoncer à des éléments. C’est récemment, sur notre dernier album, qu’on a réussi à plus le faire. On aime le rap mais avant tout on fait de la musique, donc il faut trouver une harmonie entre le flow et ce qui nous accompagne musicalement. » Il ne faut pas oublier l’importance de la musique qui soutient les mots : « Je fais du rap à texte, poétique ; j’essaie toujours d’aller chercher d’autres mots et en même temps faire des textes engagés. Mais j’aime aussi le flow de la vibe d’un morceau : ça implique qu’il se passe des choses, comme avec des vrais instruments. C’est pourquoi, on a créé un projet plus organique avec des compositions du groupe Cas d’école ( basse batterie guitare)» ».
« Aujourd’hui, le rap s’est hyper diversifié », remarque à la fin de l’entretien Justin. Premier exemple qui lui vient en tête : Jul. « Dans un même album il va avoir des sons de chicha, des sons de clubs, des sons tristes, des sons qui kick. Alors, qu’avant c’était plus du rap contemplatif. » L’instrumental a pris une autre importance ; cette nouvelle façon de composer l’a amené à requestionner son processus. « Si je devais définir ma musique, je dirais que je fais du rap transcendantal, parce que j’aime quand ça transcende le corps et l’esprit », finit-il par dire.