La ville de Vaulx-en-velin, a décidé de commémorer et de rendre hommage aux victimes du massacre du 17 octobre 1961 à Paris. Après une cérémonie du souvenir organisée dimanche dernier à 11h, des personnalités, qui ont fait la guerre, ont décidé de témoigner sur la réalité de la guerre d’Algérie en France, à l’initiative de l’Espace Projet Interassociatif (EPI), association vaudaise.
Mostéfa Boudina, président de l’Association nationale des anciens condamnés à mort, située en Algérie et sénateur, qui a fait carrière après la guerre dans le monde syndical, publie aujourd’hui un livre, Rescapé de la guillotine, qui relate son expérience au sein du couloir de la mort, dans la prison lyonnaise de Fort Montluc, alors qu’il est âgé de 20 ans.
A la tête d’un groupe de choc du FLN, Mostefa Boudina est arrêté en 1958 et incarcéré à la prison de Saint-Etienne, dans une cellule occupée auparavant par Ahmed Bourguiba, (premier président de la Tunisie indépendante), puis à Lyon. En 1960, il est condamné à mort à deux reprises et attend sa dernière heure dans le couloir de la mort.
C’est autour d’un débat en présence de jeunes vaudais, que je rencontre l’auteur. Il raconte tout d’abord sa jeunesse passée en Algérie, « je n’ai pas eu d’enfance heureuse » confie-il. Puis son engagement à 15 ans, aux côtés du FLN, enfin, la lutte et la prison en France.
« Il est plus demandé en France qu’en Algérie, car là-bas tout le monde connais l’histoire des condamnés à mort pendant la guerre. En France, les gens son très curieux et viennent nombreux aux débats », m’indique-t-on quand j’arrive dans les locaux de l’EPI.
Plusieurs décennies se sont écoulées depuis la fin de la guerre d’Algérie, malgré le temps passé, les rapports avec ces évènements sont toujours aussi sensibles et présents, comment expliquer cette crispation historique ?
« Il existe une histoire commune entre l’Algérie et la France, pleine de douleur, de haine et de rancœur. Il y a eu des morts des deux côtés, des sacrifices des Algériens pour libérer la France et des Français qui se sont sacrifiés pour libérer l’Algérie. Depuis toutes ces années, nous avons laissé le champ libre aux « antis », aux nostalgiques de l’Algérie française qui ont toujours de la rancœur et qui n’ont jamais cessé de nous haïr. D’un autre côté, de nombreux Algériens n’ont jamais fait ce travail non plus. Seulement ces derniers temps, il y a une volonté de la part de ceux qui nous ont aidés de témoigner (exemple de Bernard Gerland), ou encore des volontés de créer des collaborations à Paris et à Lyon, par exemple, des personnes qui veulent agir pour les nouvelles générations. La haine ne peut plus lier ces deux peuples dans la mondialisation. Le plus important est de développer des intérêts mutuels comme une coopération économique. Il existe déjà de nombreuses initiatives de dialogue entre Français et Algériens menées par des associations ».
Depuis quelques années, la France tente d’affronter son passé et de reconnaître certaines périodes sombres de son histoire, à travers la mise en place d’une journée de commémoration de l’esclavage ou encore la reconnaissance officielle du rôle de l’Etat français dans la déportation des Français de confession juive durant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, depuis l’élection de N. Sarkozy, la question de la mémoire est tronquée par le thème de la repentance « Nous n’avons pas à nous excuser des fautes de nos pères », rejetant par ce biais, toute possibilité de débat.
« Il y a deux France, à mes yeux, celle d’aujourd’hui et la France colonisatrice, il faut bien faire la différence entre les deux. Le mot repentance vient des anciens tortionnaires comme le général Massu ou Aussaresses. Le problème provient en parti de la question de certaines archives auxquelles ont ne peut encore accéder. Les deux Etats ont peur de restituer toutes leurs archives même si beaucoup ont été ouvertes. Il y a eu de nombreuses infiltrations des deux côtés, peut être haut placées, en Algérie et en France. Il reste encore des personnes rescapées et vivantes aujourd’hui qui risquent des choses.
On ne leur a jamais demandé de se repentir. Cependant, le fait que l’Allemagne ait demandé pardon à la France pour ce qu’elle a commis sur son territoire doit être également valable pour la France vis-à-vis de ses anciennes colonies ».
Que souhaitez-vous transmettre aux descendants des Algériens, nés Français et qui vivent en France, au regard de ce passé parfois conflictuel ?
« Quand je suis arrivé en France, j’assimilais tous les Français aux Pieds-noirs. Mais en fréquentant certains Français, j’ai découvert un autre état d’esprit. Le racisme était entretenu par la presse française pendant la guerre. Être de nationalité française, c’est un droit que les descendants d’Algériens ont obtenu par le sang de leurs ancêtres qui sont morts pour la France ».
Rafika Bendermel