Transports, industrie, tourisme… Fabienne Grébert, candidate du pôle écologiste pour les élections régionales en Auvergne Rhône-Alpes, nous présente son projet dans la deuxième partie de notre entretien.
Retrouvez la première partie de l’entretien en cliquant ici
Vous disiez précédemment que vous étiez « d’Auvergne Rhône-Alpes ». Vous pensez qu’il y a une identité régionale en AuRA ?
On pourrait en créer. Aujourd’hui, Auvergne Rhône-Alpes, c’est une unité institutionnelle, administrative. On peut dire « Je suis Auvergnat », ou « Je suis Rhônalpin », mais on a beaucoup de mal à se dire « Tiens, je suis Auralpin ». Il n’y a pas eu ce travail là, mais moi je crois beaucoup à une région qui s’invente un avenir commun autour d’un projet écologiste.
On est à l’échelle d’un petit pays, en Auvergne Rhône-Alpes. Et on a tout ce qu’il faut : on a des barrages pour produire de l’électricité, on a des savoir-faire et des outils industriels, on a de la jeunesse, on a des terrains agricoles, suffisamment pour nourrir tous les habitants de cette région. On a aussi des matières premières : du bois, par exemple, pour faire des éco-matériaux, pour développer la construction. On a des centres de recherche qui sont reconnus partout dans le monde, des universités, des écoles. Utilisons ça ! Nourrissons nos habitants avec une alimentation de qualité, construisons nos bâtiments de manière à ce qu’ils consomment le moins d’énergies fossiles possible, produisons notre énergie, produisons nos biens d’équipement essentiels… et vous verrez qu’en faisant ça, d’une on réussira à s’adapter au dérèglement climatique, de deux on sera en meilleure santé parce qu’on aura moins de pollution de l’air et qu’on mangera bien, de trois on aura une qualité de vie plus intéressante parce qu’on aura des emplois locaux non délocalisables, et de quatre, ça nous rendra attractifs et donnera envie à des entreprises de venir s’installer. Parce qu’on aura acquis une compétitivité qui sera liée au fait qu’on sera moins dépendants des énergies fossiles, qu’on sera plus résilients, qu’on sera plus efficaces sur l’utilisation de nos ressources. Je pense que ça peut créer une unité territoriale et donner de la fierté à tous les habitants de notre région. Là, on a un président de région qui a cherché à mettre les gens en opposition. Les ruraux contre les urbains, les Auvergnats contre les Rhônalpins…
De quelle manière ?
On a un favoritisme, par exemple, des habitants de la Haute-Loire qui bénéficient de subventions publiques parce que c’est le fief de Laurent Wauquiez. Mediapart l’a révélé : « On ne va pas financer Villeurbanne », etc. Ce type de propos ne contribue pas à fédérer, à créer de la cohésion.
Comment résoudre les problèmes d’inégalité des territoires au sein de la région ?
Aujourd’hui, on a une inéquité des territoires. Le mandat Wauquiez, c’est 10€ d’argent public distribué par habitant à Villeurbanne contre plus de 1000€ au Puy-en-Velay. Ça ne peut plus durer, on ne peut pas donner deux fois plus d’argent aux communes de droite qu’aux communes de gauche, alors qu’elles ne représentent que 17% des communes selon la classification du ministère de l’Intérieur. Il faut travailler dans une logique de solidarité territoriale. Je me fiche que les communes soient de gauche ou de droite. Je suis élue à Annecy, dans une municipalité écologiste entourée de communes de droite. Je fais bouger le territoire avec des élus avec qui je partage, avec qui on échange. C’est ça qui m’intéresse, c’est de porter des projets à l’échelle du bassin de vie.
Je vis dans une région de montagne avec des stations à 1400 mètres d’altitude qui vont être confrontées au dérèglement climatique. Il va bien falloir trouver des solutions en construisant de la complémentarité entre les zones de montagnes et les vallées, entre les villes et les campagnes… C’est ça qui m’intéresse, de construire. Je vais le faire en travaillant un peu mieux avec les fonctionnaires territoriaux, pour éviter que les subventions soient décidées par un ou deux hommes, qui sont aujourd’hui Laurent Wauquiez et Ange Sitbon. De deux : je vais décider avec des critères. On va aider les collectivités locales à construire des petits bourgs, des petits territoires ruraux où il y a des services publics, des emplois de proximité, des commerces, de quoi se soigner, de quoi se distraire, de quoi s’éduquer, de quoi se former…
Encore une fois, c’est possible d’apporter tout cela avec l’argent et les compétences de la région ?
Au niveau des services publics de proximité, on peut travailler sur la santé, par exemple. On peut travailler sur l’économie, en se demandant quelles sont les activités dont on a besoin. On a une compétence sur l’agriculture, sur les activités économiques… Je souhaite que notre alimentation soit produite ici, transformée ici et consommée ici. Donc il va nous falloir des conserveries, des unités de transformation, des unités de distribution pour consommer au plus près des lieux de production. C’est comme ça qu’on va éviter les camions sur les routes, les émissions de gaz à effet de serre. On va dire que les écolos n’aiment pas la viande, et bien si, moi j’aime bien la viande ! Surtout quand elle vient de pas loin de chez moi ! Mais regardez, c’est idiot : aujourd’hui, on a une filière viande qui n’est pas du tout structurée. Et on va importer de la viande d’Espagne, de Pologne ? A quoi ça sert ? Alors qu’on a tout ce qu’il nous faut ici ? C’est ça, l’équilibre des territoires.
“Il faut mettre les camions sur des trains”
Comment compléter l’action des communes sans favoriser les villes EELV ? Par exemple, lorsque vous parliez du maillage de transport, vous n’avez cité que Lyon et Grenoble, municipalités écologistes…
Pour le transport, il faut que l’on raisonne en termes de flux et de report modal. J’habite à Annecy, j’avais l’habitude de prendre le train pour aller régulièrement à Lyon, je mettais 2h. Aujourd’hui, je peux mettre jusqu’à 2h45, avec deux changements ! La question qui doit raisonner nos aides économiques, et notamment sur la question du transport, c’est : « Est-ce que ça permet un report de la voiture sur le train ? » On a un projet de tram-train que j’aimerais financer entre Annecy et Albertville. Là, il n’y a pas d’autre solution que de créer un transport guidé à forte fréquence sur la rive ouest du lac, parce que c’est un bouchon continu. Là, il y a un vrai enjeu qui ne coûte pas forcément très cher, parce qu’on travaille sur l’ancienne ligne ferroviaire. Donc la question, c’est : « Est-ce que c’est efficace? Est-ce que ça permet de réduire le dérèglement climatique ? Est-ce que c’est acceptable en termes de coûts ?” Voilà, c’est du bon sens !
Comment résoudre ces problèmes de maillage territorial ?
Il y a toute une série de petites lignes qu’on peut aujourd’hui rouvrir. Il y a la rive droite du Rhône, la ligne entre Lyon et Crémieux, tous ces territoires périurbains un petit peu oubliés. Jean-Charles Kohlhaas, le vice-président aux transports de la Métropole de Lyon, n’attend que le feu vert de la Région pour entamer ces travaux. Il y a un vrai travail à mener sur toutes ces gares, toutes ces villes, ces territoires, ces habitants qui aujourd’hui n’ont pas d’autres alternatives que de prendre la voiture.
Il y a beaucoup de transports de poids-lourds dans la région, notamment en direction de l’Italie. C’est une préoccupation pour vous ?
Bien sûr. Il y a 1.400.000 camions qui transitent vers le tunnel du Mont Blanc, vers Fréjus… Il faut qu’on mette les camions sur les trains. On a besoin de faire un gros travail sur les passages à niveau, parce que les trains de fret, c’est long. Il faut qu’on crée soit des passages au-dessus des voies, soit des passages sous les voies. Mais c’est possible, on a fait un chiffrage et tout ça ne coûte pas très cher !
La question du tourisme se pose aussi d’un point de vue environnemental. Faut-il ralentir le tourisme en AuRA ?
Il faut l’adapter au dérèglement climatique, et permettre aux habitants d’y accéder. Parce que là aussi, c’est une source d’inégalités. On va avoir, toujours, c’est vrai, du tourisme de ski, il va continuer à fonctionner. Mais toujours plus haut en altitude, avec des forfaits toujours plus chers, parce qu’avec des infrastructures toujours plus gourmandes en bitume, en béton… Il va falloir qu’on aide les stations de moyenne montagne. Franchement, la montagne, c’est 60% de notre territoire en Auvergne Rhône-Alpes, et il n’y a que 2% de la surface qui est exploitée. Donnons nous l’opportunité d’un tourisme diffus, d’aller découvrir un petit village à tel endroit, un sentier de montagne à tel autre, un espace naturel… Créons des offres touristiques vélo + train ! Permettons à tous les habitants de cette région de la découvrir. On aura un tourisme accessible au plus grand nombre.
Ce tourisme de proximité aura du mal à remplacer le tourisme longue-distance à Lyon ou dans les stations de ski par exemple, non ?
Pas de souci, je ne vais pas empêcher des touristes anglais de venir dans nos stations de ski ! L’idée, c’est de diversifier les offres touristiques. Plus de petites offres, qui permettent de faire vivre aussi plus de monde. Dans le parc national des Vosges, on est en train de créer le tour des Vosges à vélo. Regardez le succès de La Loire à vélo. Si on arrive à faire des parcours comme ça, ici en Auvergne Rhône-Alpes, c’est extrêmement intéressant.
Quel est votre rapport à l’entreprise, au privé ?
Il faut accompagner. J’étais dans une entreprise de plasturgie, qui a développé des technologies pour faire du plastique recyclé. Il faut qu’on aide des entreprises comme ça, parce qu’elles contribuent à limiter l’impact climatique, à éviter qu’on enfouisse des déchets. J’ai été impressionnée par les quantités de déchets pour lesquels ils me disaient : « Si nous, on ne recycle pas, ça part à l’enfouissement ». J’ai rencontré des gens qui font du tissage en France. 90% de l’impact carbone de la filière textile pourrait être réduit si on relocalise en France. Aidons, accompagnons ! Valorisons ces activités là. Et donnons-nous les moyens d’entrer réellement dans le 21e siècle.
L’idée serait de conditionner certaines subventions au respect de principes environnementaux ?
Il y a conditionner des aides et bonifier des aides, par exemple lorsqu’on réhabilite plutôt qu’on reconstruit. Ça nous évite d’artificialiser des sols, parce que ça nous évite de casser du caillou dans des carrières. Ça coûte plus cher de réhabiliter que de démolir et reconstruire. Donc il faut qu’on accompagne ça, pour arriver à des logiques industrielles. Et là-dessus, il faut qu’on relocalise notre économie, il faut qu’on permette à nos salariés de reprendre leur entreprise. Il y a des plans sociaux partout. Permettons aux salariés de créer leur activité. Ils ont des savoir-faire extraordinaires, il y a des outils industriels qu’on laisse sans vie. Permettons-leur de les reprendre, et de recréer des activités locales.
Puisque vous l’évoquez, avez-vous la volonté d’une réindustrialisation de la région?
Bien sûr. Vous voyez, j’étais chez Ferropem le 1er mai, avec Yannick Jadot (350 postes y sont menacés en Isère et en Savoie, ndlr). Ça me fend le cœur, franchement, de voir ces ouvriers, dans ces fonds de vallée, qui nous disent : « Qu’est-ce qu’on va faire dans ce fond de vallée si on a pas Ferropem ? » Qu’est-ce qu’ils vont faire, ces gens ? Ils y ont construit leur maison. Moi, je me sens responsable. J’ai envie d’aider ces gens. Pourquoi on fermerait des entreprises pour des intérêts financiers alors qu’on a besoin de silicium pour nos batteries, pour nos panneaux photovoltaïques… à quoi ça rime ?
Et sur la fermeture d’une usine, que peut faire la Région ? C’est déjà compliqué pour l’État de freiner les plans sociaux en l’état actuel de la législation…
On a laissé la possibilité aux entreprises de fermer, les lois qui existent sont, en effet, difficiles à appliquer. Mais la région a du financement : elle peut lever des fonds européens, elle peut garantir des emprunts, elle peut travailler en collaboration avec la banque d’investissements pour avoir des financements participatifs, elle peut faire appel aux financements citoyens, soutenir une reprise en SCOP… ce sont des choses que l’on veut pousser.
Et sur les risques liés à l’industrie, comment vous positionnez-vous ?
À la Région, on finance des plans de prévention des risques industriels. On se doit de protéger les populations. J’étais conseillère régionale, notre groupe a fait un certain nombre de propositions à la région pour se dire qu’en cas de gros risque industriel ou nucléaire, il faut a minima qu’on puisse, dans les lycées, dans les collèges, dans les écoles, avoir des zones de confinement où on a accès à l’eau, où on a accès à des toilettes. Ça n’est même pas fait aujourd’hui.
“On ne gagne pas la région avec une tête de liste PCF, FI ou PS”
Qu’est-ce qui a bloqué pour une candidature commune aux forces de gauche ?
Déjà, je vous le dis : je suis très confiante sur le fait que je serai au deuxième tour. On a fait des propositions, beaucoup de propositions. On avait proposé à tout le monde de partir à armes égales : 20% pour les écologistes, 20% pour les socialistes, 20% pour LFI-PCF, 20% pour les citoyens, 20% pour les mouvements trans partisans. Personne n’a voulu de ça. Donc derrière, on est revenu à des négociations plus classiques. On a posé des questions de gouvernance, en disant qu’il fallait qu’on s’organise pour avoir une gouvernance plus participative, qui ne dépende pas que d’un ou d’une présidente. Personne n’a voulu marcher là-dedans. Le PCF et LFI ont rejeté toutes nos propositions et n’en n’ont fait aucune. Du côté du Parti Socialiste, Najat Vallaud-Belkacem disait : « Soit je laisse la tête de liste mais il y a une part plus grande de conseillers régionaux PS, soit vous lâchez la tête de liste mais c’est vous qui avez plus de conseillers régionaux écologistes. Ca me semblait pas être très serein pour une gouvernance qui fonctionne. Comment on explique ça à nos électeurs ? « Tu verras, tu votes pour Fabienne Grébert mais il y aura plus de socialistes dans l’assemblée régionale ! » Qui va comprendre un truc pareil ? Et puis comment on gouverne, après ? Franchement, j’ai le sentiment d’avoir fait tout ce que je pouvais pour qu’on puisse s’unir. Vraiment. Au sein de nos forces, majoritairement, les gens voulaient une alliance, mais souhaitaient que je reste tête de liste.
Après, il faut savoir ce que l’on veut. Est-ce que l’on part sur une stratégie gagnante ou pas ? Avec tout le respect que je dois à mes partenaires du PCF et de la France Insoumise, j’ai quelques doutes sur la possibilité, s’ils avaient voulu absolument garder leurs têtes de liste, qu’on puisse gagner. On ne gagne pas la région avec une tête de liste PCF ou France Insoumise, ni avec une tête de liste PS, parce qu’on ne fédère pas les forces de gauche avec une tête de liste PS. Mais je suis certaine, par contre, qu’on va s’unir au soir du premier tour pour gagner face à Laurent Wauquiez.
En cas de l’élection, comptez-vous démissionner de votre poste de conseillère à la ville d’Annecy ?
Si je suis présidente de région, oui, je ne vais pas pouvoir tout faire, hein ! Je ne resterai pas vice-président d’agglomération comme M. Wauquiez. Je vais laisser ça à d’autres qui auront le temps de s’en occuper, je ne veux pas de titre honorifique !