Chronique judiciaire : « Je suis allé trop loin, comme souvent quand j’ai trop bu »

19 février 2019. Comme tous les mardis, au Tribunal de Grandes Instances (TGI) de Lyon, se déroulent les audiences des comparutions immédiates. Dans la salle G ce jour, la tension est palpable. Assis au dernier banc de la pièce, un homme, dossier en main, semble stressé. Sa jambe bougeant spasmodiquement, il a les yeux rivés à l’heure de son téléphone portable. Il attend son tour.

14h30, la cloche retentit. On demande au tribunal de se lever pour l’entrée des juges. L’homme est appelé à la barre. Derrière lui, une jeune femme s’assoit dans le fauteuil destiné aux victimes venant témoigner. Sa première audience ayant été renvoyée le 14 janvier, il comparait pour la seconde fois. La juge procède au rappel des faits.

C’est le 13 janvier que les faits se sont déroulés dans la périphérie lyonnaise. Nicolas et Zohra* vivent en couple depuis plusieurs années. Ils partagent un appartement dans lequel ils élèvent leurs trois enfants en bas-âge. C’est Zohra qui a contacté la police après de nouveaux faits de violences à son encontre, de la part de son mari.

Ce jour-là, Nicolas a consommé un litre de pastis avec des amis. Après une première dispute du couple dans la voiture autour du son de la radio, Zohra sort et souhaite emmener ses enfants avec elle. Nicolas la repousse alors violemment contre le capot du véhicule. Elle poursuit son chemin et rentre à l’appartement avec ses trois enfants. Son époux la rejoint et la gifle une première fois. Elle s’assoit sur le canapé avec leur plus jeune enfant et lui dit avoir honte de lui. En réponse à cela, et alors qu’elle donne le sein à sa fille, Nicolas, lui assène une seconde. Furieux, il menace de tuer tout le monde dans la rue avec un marteau. Alors qu’il s’absente quelques minutes, Zohra appelle la police.

La juge achève son récit : « Lorsque la police arrive, vous êtes à l’appartement, madame est en pleurs. Elle vous désigne comme le responsable des faits. La police vous arrête immédiatement. ». Elle s’adresse alors à l’auteur des faits : « Selon elle, vous avez de véritables problèmes avec l’alcool et cela peut durer jusqu’à ce que vous vous endormiez. »

C’est la seconde fois qu’ils se retrouvent en face à face au tribunal, Nicolas ayant déjà été condamné pour des faits similaires à quelques kilomètres de là. Depuis, ils ont déménagé parce qu’il a trouvé un travail plus près de la métropole. Mais selon Zohra c’est aussi parce que leurs anciens voisins les jugeaient beaucoup suite à cette première affaire. Elle affirme : « ça n’était plus vivable là-haut. J’avais trop honte. ».

Une fois en garde à vue, les policiers confirment le taux d’alcoolémie élevé de Nicolas : 1,05mg/L de sang. Lorsqu’on le questionne, il confirme s’être disputé avec son épouse mais dit ne pas se souvenir de l’avoir giflé plus d’une fois. Quand la police demande à Zohra d’expliquer ce qu’il s’est passé le jour même, elle déclare avoir l’habitude des sautes d’humeur de son mari suite à la consommation d’alcool et ajoute : « Ça se voit dans le regard. Il change comme s’il me regardait en me détestant. »

La juge laisse alors la parole à Nicolas qui explique : « J’étais en train de gâcher ma vie. Mais maintenant je suis suivi par un psychologue et un addictologue. » Il poursuit : « Je suis allé trop loin comme souvent quand j’ai trop bu. J’ai quelques images de ce qu’il s’est passé mais je ne me souviens pas de tout. Mais je suis d’accord avec tout ce que ma femme a déclaré. »

La parole est alors laissée à Zohra qui affirme d’une voix chevrotante : « Je ne méritais pas tout ce qui s’est passé mais j’aurais pu lui faire comprendre qu’il avait vraiment un problème avec l’alcool. ». Une prise de parole quasi surréaliste à laquelle la juge répond en ces termes :

« Tout d’abord, je vous remercie d’être venue madame. Je mesure à quel point c’est dur. J’aimerais à cela ajouter un message personnel. Vous n’avez pas à vous charger d’une telle culpabilité. Vous n’avez aucuns reproches à vous faire. Il y a une victime ici et c’est vous. Et un auteur : votre mari. »

Le procureur soulève alors la « réalité frappante » de la scène décrite par Zohra. Il affirme à son tour la responsabilité de Nicolas dans cette affaire et requiert un an d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’une mise à l’épreuve de deux ans. Fixant Nicolas d’un regard appuyé, il lui rappelle : « Si vous récidivez pendant cette période, le parquet sollicitera votre incarcération immédiate. »

L’avocate de Nicolas s’exprime à son tour : « Madame, vous n’êtes aucunement responsable. Cet homme a pris conscience de ses actes et il est le seul responsable de ce qui s’est passé. Il ne cherche aucunement à minimiser cela. » Elle ajoute à l’adresse des juges « Il leur appartient à tous les deux de décider de l’avenir de leur couple. La justice, elle, est passée. »

En attente de la délibération, le couple attend main dans la main à l’arrière de la salle. Lorsque l’on ordonne « Tribunal veuillez-vous lever » pour la seconde fois, Nicolas rejoint la barre pour écouter sa sentence.

Les juges ont tranché. Un an d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve de deux ans sans retrait de l’autorité parentale. Nicolas sera suivi par un juge d’application des peines et les services d’insertion pendant deux ans. Ils s’assureront qu’il applique ses soins et surtout, qu’il ne commette pas de nouvelle infraction. De manière à peine voilée, on fait planer sur Nicolas la menace d’une incarcération à Corbas ou à Villefranche en cas d’écart.

 

*les noms ont été modifiés.

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