INTERVIEW. Aujourd’hui se tient l’élection présidentielle sénégalaise. Les médias français n’expliquant pas assez la situation à son goût, Sofia est allée à la rencontre de Guilhem et de Souleyman, et de Bacary Goudiary, journaliste et rédacteur en chef de « Sunu Diaspora ».
Que pensez vous de la candidature de Abdoulaye Wade, président du Sénégal depuis 2000, qui se présente pour un troisième mandat ?
Souleyman : « Cette candidature ne devrait pas être validée par les Cinq Sages du Conseil Constitutionnel. Car si on suit l’article 26 introduit par la réforme constitutionnelle de 2001 (née d’une réforme de la Constitution de 1963, adoptée par référendum), « la durée du mandat du Président de la République est de cinq ans et renouvelable une fois ». Or parmi ces autres dispositions figure le nouvel article 104 qui lui énonce le principe selon lequel « Le Président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme. Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables. Là est le problème. Lors de la mise en place de cette réforme, on souhaitait éviter des mandats trop longs, des vieillissements des institutions, etc. Mais A. Wade a choisi d’interpréter ces nouveaux textes dans son sens et s’appui sur le soutien du Conseil Constitutionnel qui a été remercié par une augmentation de salaire, des nouvelles voitures, etc…»
B. Goudiaby : « A. Wade ne cesse de jouer sur les mots. En déclarant que les termes de l’article 26 lui seront applicables à partir de son prochain mandat, celui de 2007, il disposera alors de la possibilité de faire deux quinquennats, sans compter le premier septennat de 2000. Car quand on est un homme politique, on le reste. Le problème est qu’il est trop vieux pour gouverner, il tient à peine debout (on le surnomme « Gorgui », « le vieux » en wolof). Et le problème est qu’il n’aurait pas du se représenter. L’Etat a mis en place un système pour les élections selon lequel les partisans pourront voter neuf fois le même jour. Il y a un risque important que Wade gagne ces élections, malgré des contrôles mis en place. De plus, on a limité le rôle des observateurs à un rôle…d’observation, ils ne pourront faire aucun contrôle.»
Comment s’organisent les partis politiques au Sénégal ?
Guilhem : « Les partis politiques sont issus d’anciennes formations, certains sont présents depuis 1960, ils ont une structure solide, et une idéologie qui reste. Mais ils se passent le pouvoir entre eux, c’est plutôt une affaire familiale. Aujourd’hui, il y a 12 partis politiques et 2 mouvements idéologiques. En 2000, les Sénégalais avaient eu un tel ras le bol face aux socialistes au pouvoir depuis une quarantaine d’années. Des partis opposés se sont alors soutenus mutuellement afin d’éviter d’avoir à nouveau des socialistes au pouvoir. Imaginez Marine Le Pen qui s’allie avec Jean-Luc Mélenchon contre Nicolas Sarkozy !»
Goudiaby : « Il faut savoir qu’au Sénégal, il n’y a pas de « gauche » ou de « droite ». C’est vouloir calquer le système français sur la politique africaine. Senghor qui était un socialiste a énormément privatisé, il parlait alors de « socialisme africain» car il était très libéral. Et inversement, Wade a fait les premières nationalisations durant ses mandats. L’Afrique n’a pas la même culture, les mêmes passions, les mêmes fonctionnements, etc. que l’Occident. Au Sénégal, on vote plus pour le représentant de son village, une personne de sa famille. Les candidats ne savent même pas expliquer leur propre programme ! »
Que pensez vous de la candidature invalidée du chanteur Youssou N’Dour ?
Guilhem : « C’est un rigolo qui est trop médiatisé chez les Occidentaux. C’est comme si Johnny Halliday se présentait aux élections de 2012 ! »
Souleyman : « En France, on décrit N’Dour comme le guide des mouvements des manifestations depuis Janvier ou comme un leader d’opposition qui apportera du changement au Sénégal. Ce qui expliquerait que le Conseil l’ait « empêché » de se présenter, selon les médias européens. Cela est totalement illogique quand on voit que la styliste Diouma Dieng Diakhaté, elle, a pu devenir officiellement candidate en obtenant le nombre requis de signatures, contrairement à N’Dour qui a eu un nombre insuffisant de signatures. Même s’il avait réussi à se présenter aux présidentielles, il n’aurait pas obtenu plus de 5%, car on ne vote pas pour une personnalité ni pour un pour un mouvement citoyen.»
Goudiaby : « J’en ai assez que les occidentaux puissent se permettre d’émettre leur opinion sur un sujet qui ne les touche pas. C’est de l’irrespect envers le peuple Sénégalais. Le peuple n’en a que faire de l’opinion des Européens, tout ce qu’il désire c’est de quoi survivre ! Seuls les intellectuels y font attention pour avoir une « validation » des Français. N’Dour ne représente pas un problème démocratique, au contraire. Tout ce qui n’est pas normal est que Wade puisse encore se présenter.»
Est-ce qu’une révolution est en marche au Sénégal, à l’image de la Révolution de Jasmin en Tunisie ?
Souleyman : « A l’époque des socialistes, en 2000, un mouvement de coalition politique s’était créé pour la première fois, c‘était le FAL (Front pour l’Alternance) qui a amené A. Wade au pouvoir pour la première fois. Ce groupe était formé des 3 autres groupes socialistes qui n’étaient pas au pouvoir et d’autres partis politiques. Aujourd’hui, c’est le Benno Seguil créé en 2004 avec tous les partis d’opposition qui s’active pour le changement et contre le PDS (Parti Démocratique Sénégalais de A. Wade).»
Guilhem : « Il faut tout d’abord souligner que le Sénégal est différent des pays arabes. Il n’y a pas de dictature sanguinaire comme il y en a eu en Egypte par exemple. Il y a une démocratie forte qui est en place. Récemment, deux mouvements citoyens se sont créés : les « Y’en a marre », et les M23. Les « Y’en a marre » est un groupe de rappeurs qui chantent pour conscientiser les jeunes. Ce sont des artistes engagés qui s’expriment sur la situation, en se détachant des chanteurs populaires de m’balakh populaires. Les M23, eux, sont nés le 23 Juin 2011, lorsque Wade a voulu introduire le système de « ticket gagnant » avec un vice président aux côtés du président en place. Le but des M23 est de faire respecter les droits de l’Homme, c’est un groupe composé de parties civiles qui n’a aucune visée électorale. »
Goudiaby : « On peut difficilement parler de changement s’agissant de ce scrutin. Il y a un vieillissement de la classe politique qui empêche toute réelle modification des institutions. Mais une chose a réellement changé, c’est la « désacralisation du politique » avec A. Wade. Avant on soupçonnait les présidents d’avoir volé telle ou telle chose, mais sans y croire, désormais on est tous surs que A. Wade a véritablement volé. L’appareil étatique était une chose vénérée auparavant, mais depuis que A. Wade est au pouvoir ce n’est plus le cas, on respecte de moins en moins le gouvernement. »
Guilhem : « Dans les rues, on dit même « Barca ou Barsa », ce qui signifie, « Barcelone ou mourir ». La population préfère partir en pirogue au risque de se faire tuer, ou bien mourir sur place au Sénégal. Le peuple en a vraiment ras le bol de ces évènements.»
Dimanche, l’avenir du Sénégal se jouera dans les urnes. Y aura t il un profond changement ? Ou au contraire le maintien d’un ancien gouvernement ? Ces élections seront elles la goutte d’eau qui va faire déborder un vase de surmenage ? Réponse, après le décompte des bulletins de vote, après la page de pubs présidentielles…