Tribune des étudiant-es de Lyon 2, droit de réponse

En novembre 2018 paraissait un premier article dans l’Obs intitulé ““Les décoloniaux”A l’assaut
des universités”. Un droit de réponse de la promo citée dans l’article avait été organisé puis
rapidement avorté faute d’organisation et de temps. Cette rentrée 2019 est marquée par la
publication de trois articles, un premier dans Le Progrès, journal local, un deuxième dans Le
Figaro étudiant et finalement un dernier dans le Causeur, tous les trois traitant encore du même
sujet. Ces articles attaquent les enseignements dispensés à Lyon 2 et remettent en cause leur
pertinence scientifique.

Aujourd’hui, face aux attaques répétées et relayées dans les médias et réseaux sociaux et compte
tenu de la désinformation, il nous semble nécessaire d’apporter quelques clarifications. Certain-es
des étudiant-es avaient déjà soulevé la difficulté “à discerner la moindre enquête dans ce long
article qui ressasse à volonté des citations décontextualisées, manie la confusion volontaire entre
travaux académiques et militants, et développe un ton anxiogène sans prendre aucunement la
peine de se pencher sur les textes mis à l’étude par nos professeur.e.s.”, d’autres avaient voulu
rappeler que – “N’en déplaise à nos prétendus « républicains »- “la question du racisme structurel était
un débat sociologique sérieux, qui s’appuie sur des travaux empiriques. Il en va de même pour la
stigmatisation de la minorité musulmane. Refuser que ces sujets soient débattus dans un cadre
académique ne relève pas de la laïcité, que nous défendons, mais de l’appel à la censure.”.

À quatre reprises les “post colonial studies” sont mises en cause. Pour rafraîchir les mémoires,
ces études sont nées dans les années 1980 aux États-Unis, l’idée globale est de montrer
scientifiquement qu’une domination, héritée de la colonisation, s’exerce toujours sur les pays
d’Afrique subsaharienne. S’ensuit que la faculté de Lyon 2 parle “trop” de genre, “trop” d’islam
et, pour plagier Nadine Morano, l’Université Lyon 2 participe à la perte des valeurs et des racines
judéo-chrétiennes de la France, rien que ça. Finalement ces articles conservateurs, flirtant avec le racisme et l’islamophobie, ne font qu’attiser
un climat anxiogène. Les réactionnaires de tout genre ont peur du changement, peur qu’on
remette en cause leur France raciste et traditionaliste. Et surtout leurs privilèges.

Il nous a paru important de répondre, d’abord car nous tenons à rappeler que ces articles
reprennent les propos d’un seul et même étudiant, ce qui est en soi un bon indicateur de la
proportion d’étudiant-es dérangé-es par nos sujets d’études. Un sur des centaines, voire des
milliers d’étudiant-es. Puisque même si du soutien lui avait été témoigné, aucun-e autre étudiant-e
ne s’est plaint au sujet des enseignements. Ensuite, bien que nous n’ayons pas la prétention d’être
spécialistes des études post-coloniales, nous sommes syndicalistes, élu-es de l’UFR ASSP
(anthropologie, sociologie, science politique), nous voulons exprimer notre ressenti face à cette
polémique qui relève plus de l’opinion politique que d’un débat argumenté et appuyé sur des faits
scientifiques.

Nous écrivons en tant que concerné-es ou non, par les problématiques de décolonialisme, et
sommes touché-es par cette polémique autant en tant qu’étudiant-es qu’en tant que personnes
racisé-es, musulman-es ou originaire d’un pays touché par le colonialisme. Nous rappelons que
tous ces articles questionnent les sciences sociales, mais touchent et remettent en question des
vécus et de véritables souffrances humaines.
Quand pour certain-es cette polémique permet d’être mise en lumière, pour d’autres, elle rappelle
qu’il n’est pas possible de vivre pleinement sa vie en France en tant qu’individu.

Nous avons participé aux cours, et côtoyé régulièrement et pendant plusieurs années les
professeur-es qui ont élaboré ces programmes et syllabus.
Pour ce que cela vaut, nous apportons notre soutien à tous-tes les universitaires qui ont participé à
l’élaboration de ces cours ou bien à leur transmission. Ces cours se sont toujours bien déroulés,
des débats ont été organisés autour de nombreuses problématiques, et les chargé-es de TD comme
les professeur-es ont été à l’écoute, et pour cela nous remercions tout le personnel et les
enseignant-es de Lyon 2.
Il nous semble que les sciences sociales ont toujours été sujettes à controverses, ce sont des
sciences qui évoluent, qui interrogent nos sociétés, les remettent perpétuellement en question et
cela dérange, et c’est sûrement ce caractère mouvant qui nous, étudiant-es en sciences sociales,
nous passionne. Ces cours nous paraissent indispensables et sont des questionnements légitimes
en sciences sociales, et ceux indépendamment d’une appartenance politique.
Dans l’article du Figaro, l’étudiant interviewé assure que les études postcoloniales ou les études
de genre sont omniprésentes dans la licence: “Il n’y a que cela”. Nous pinaillons peut-être mais
nous tenons à rappeler, pour les inquiet-es ou les futur-es étudiant-es que les études
postcoloniales et les questions de genre ne représentent qu’une partie mineure de notre
enseignement. Elles n’ont pas été les seules matières dispensées en licence : nous avons eu des
cours d’action publique, d’option de droit, d’option journalisme, un cours sur le monde
économique, ou un autre encore sur l’histoire des sciences sociales.

Il semblerait que l’engagement de l’université “fait froid dans le dos”. L’université prend
évidemment des positions militantes dans l’élaboration de ces cours comme dit précédemment
mais aussi dans le choix de ses conférences, de ses invité-es, dans ses mails aux étudiant-es, dans
la fermeture à quelques reprises de la faculté pour soutenir des grèves ou des blocus d’étudiant-es.
Pour certain-es ce n’est pas assez, pour les autoproclamé-es “universalistes laïques” français c’est
déjà trop.
Cependant, l’Université Lumière Lyon 2 est une institution française, elle est soutenue par l’État
français et, comme toute institution, elle se place sur l’échiquier politique en prenant des
positions.

Cet été 2019, certain-es d’entre nous ont fini leurs enseignements à Lyon 2 et rentrent dans
d’autres universités (Panthéon Sorbonne, ENS de Lyon, Panthéon Assas etc) nous nous
réjouissons d’avoir des cours de politiques comparées où nous allons avoir un chapitre “Penser
les situations post coloniales”, mais aussi un cours intitulé “Genre, race et classe”.
Les réactionnaires ont raison d’avoir peur, nous sommes partout (bouh), nos savoirs
s’agrandissent, se transmettent et plus largement, les sciences sociales s’étendent. Nous pouvons
que nous en féliciter, car c’est aussi grâce à ces études que nous allons pouvoir combattre, en
France notamment, l’islamophobie, le racisme, le sexisme et les oppressions systémiques.

 

● Clémence Pineau- ancienne élue UFR ASSP/ étudiante à l’Université Panthéon Sorbonne.
● Ludwig Moussaly, étudiant à l’Institut des Études du Travail de l’Université Lumière
Lyon 2.
● Yasmine Ben Ammar, étudiante en science politique à l’université Paris 1
Panthéon-Sorbonne.
● Mirela Dubolaru, étudiante à Lyon 2, année de césure 2019-2020
● Manon Moulin, étudiante en études Moyen-Orientales à l’ENS de Lyon
● Pauline Ollier, étudiante en sciences sociales à l’Université Lumière Lyon 2
● Majdi Chaarana, élu UNEF le syndicat étudiant au Conseil d’Administration de
l’université Lyon 2 et de l’université de Lyon, étudiant en Master de Droit public, ancien
L3 Droit-Science Politique.
● Adrien Travert, étudiant en science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
● Godelive Kusangay, étudiante à l’université libre de Bruxelles.
● Martin Herrmani, ancien étudiant à l’université Lumière Lyon 2.
● Leïla Mathias, élue conseil d’UFR ASSP, étudiante à l’université Lumière Lyon 2.
● Jean-Baptiste Lachenal, élu conseil d’UFR ASSP, étudiant à l’Université Lumière Lyon 2
et membre de Solidaires étudiant-e-s Lyon.
● Elio Raia, élue conseil d’UFR ASSP, étudiante en anthropologie à l’université Lumière
Lyon 2 et militante à Solidaires Étudiant.es.
● Beverly Rubin, élue conseil d’UFR ASSP, étudiante en science politique à l’Université
Lumière Lyon 2.
● Anas Kournif, élu conseil d’UFR ASSP et en CFVU, étudiant en sciences politiques à
l’université Lumière Lyon 2, membre de Solidaires etudiant-e-s Lyon
● Laëtitia Gawlik, élue conseil d’UFR ASSP, étudiante en Master de sciences politiques à
l’Université Lumière Lyon 2, membre de Solidaires étudiant-e-s Lyon.
● Clément Thébault, étudiant en science politique à l’université Lumière Lyon 2
● Ulysse Nicolas, ancien étudiant en science politique à l’université Lumière Lyon 2
● Adrien Gonthier, étudiant à l’Institut d’Étude du Développement de la Sorbonne.
● Yvan Bonnet, ancien étudiant en science politique à l’université Lumière Lyon 2, étudiant
en politiques publiques à l’université Paris 2 Panthéon-Assas.
● Alice Graziano, ancienne étudiante en Science politique à l’université Lumière Lyon 2,
étudiante en master
● Jules Croissant, ancien étudiant en Science politique à l’université Lumière Lyon 2

La rédaction

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