Chroniques Judiciaires : Je t’aime, moi non plus

 

Tribunal de grande instance de Lyon, comparution immédiate, mardi 6 mars 2018.

Un portique de sécurité engoncé de monde et un couloir interminable, c’est sur une chambre pleine de tensions que s’ouvrent les audiences de cet après midi. Un nuée de personne s’organise sur les bancs : étudiants, familles des prévenus et des victimes, des curieux s’organisent pour partager les places assises afin de ne pas perdre une miette des affaires en cours. Du côté des avocats, les sièges ne sont pas nombreux mais les valises et le bras chargés de dossiers nous indiquent la cadence des audiences. C’est un tetris interminable où certains partent et d’autre rentrent à la suite des procès, métamorphosant les portes battantes en entrée de saloon.
Les jurés et procureurs rentrent à l’avant de la salle, se placent derrière le comité d’audience surplombant le public. Le brouhaha diminue et les audiences peuvent débuter.
En sandwich, deux policiers et un prévenu entrent dans le box des accusés. Ce dernier est agité. Il s’agit de Roméo*. Sauf, qu’ici, les familles en ont juste assez de ses querelles avec Juliette*.

C’est à Givors que prend place un manège amoureux sordide, lorsque Roméo croise Juliette* . Voilà plus de sept mois qu’ils ne sont plus ensemble mais pourtant le voilà lui dans le box des accusés et elle à la barre . Roméo a le droit d’être jugé maintenant ou de préparer sa défense. Il choisit la première option.
Que lui est t’il reproché ? La juge, d’un ton placide et monocorde lui indique les charges retenues contre lui . C’est lors d’un après midi, en février dernier, que Roméo tombe sur Juliette et son amie Marie* au volant de sa voiture, et que s’enchaîne une prolifération d’insultes. Mécontent que cela ne détourne pas l’attention de sa cible, il sort du véhicule et commence à frapper Juliette. Menaces de viol, gifles, deux coups de pieds au ventre, des coups de poing. En vrai homme de cro-magnon, Roméo prend Juliette par les cheveux et, la traînant, menace de lui taper la tête contre une pierre avant que Marie n’intervienne. Fou de rage, il repart, non sans avoir essayé d’écraser Juliette dont l’interposition de Marie lui doit de ne pas être le nouvel ornement de capot de Roméo. Il part au volant de sa voiture, laissant Marie secourir Juliette. Il lui promet de la retrouver par la suite.

Bilan du médecin, une interruption temporaire de travail de trois jours. Des photos de la victime avec coups et blessures prisent par cette dernière appuient la plainte, en plus du témoignage de Marie.« Si je suis violent, pourquoi venir me voir ? » rétorque Roméo.
Le prévenu ne tiens pas en place, la mine tendue et fatiguée. Tantôt vers la foule, tantôt vers les jurés, son regard balaye la salle d’audience. La juge le rappel à l’ordre « ça vous intéresse ce que je vous dit, Monsieur Roméo ? ». Il n’attire aucune sympathie des jurés.
Juliette et sa famille sont sur le second rang de la salle. La demoiselle est demandée à la barre et elle témoigne. Ce n’est pas la première fois qu’il la frappe et c’était une des raisons de leur séparation. La situation pouvait dégénérer jusqu’à ce que les familles s’en mêlent. Cela fait plusieurs fois qu’ils se croisent depuis leur séparation et ce ne sont jamais des rencontres apaisées. Elle demande une mesure d’éloignement et 1000 euros de dommages et intérêts. Un sourire narquois s’inscrit en travers du visage de Roméo. Il nie en gesticulant sa tête de gauche à droite.
Le prévenu résiste en bloc au témoignage de Juliette. Il dit l’avoir insulté et s’en excuse mais « c’est pas ma faute si elle se tape elle même ». Murmure désapprobateur dans la salle. La mère de la victime est retenue par ses proches de se lever de son siège pour protester. « J’allais pas lui foncer dessus, je vais pas abîmer la voiture d’un ami ! » Et oui, grande surprise, ce n’était pas non plus son véhicule. Et en effectuant une marche arrière pour se dégager de la mortelle trajectoire destinée à Juliette, il aurait enfoncé le par-choc arrière. Dommage.
Le procureur demande une mise en examen rapide du caractère de Roméo. 5 000 euros de dettes d’excès de vitesse et d’amendes impayés en plus d’une condamnation et interdiction de repasser le permis en 2015. À cela s’ajoutent 105 heures de travaux d’intérêts généraux suivit de 4 mois de prison car Roméo ne résistait pas à l’appel de la route et a été pris en train de conduire sans permis en mars 2017. Le représentant de la justice républicaine est scandalisé par le fait que le prévenu nie avoir tenté d’écraser sa victime parce qu’il ne voulait pas abîmer une voiture et non pas qu’il ne voulait pas attenter aux jours de Juliette. Le procureur demande à son encontre une mesure d’éloignement, la rémunération de la victime, un stage de sensibilisation aux violences conjugales et 16 mois d’emprisonnement.
La partie civile tiens à faire passer la victime comme demoiselle en détresse qui demande la paix, mais la défense n’en est pas à son coup d’essai.
L’enquête dévoile que Marie, le témoin, n’est âgée que de 15 ans et est présentée comme la meilleure amie de Juliette. Aurait-elle été sous influence ? Et le bilan du médecin révèle des douleurs mais pas d’hématomes. Donc tout repose sur la version de Marie . Cette même version ne corrobore pas celle de Juliette, hélas, c’est là qu’est l’os ! En effet, Marie dit avoir poussée Juliette lorsque Roméo aurait tenté de l’écraser avec son véhicule; mais Juliette affirme que son amie se serait interposée entre elle et la voiture. Ce problème au niveau des témoignages ne va-t-il pas perturber l’affaire?
Cependant l’affaire ne reposerait pas que sur le témoignage de cette amie : d’après la partie civile, le prévenu allait révéler les noms de deux autres témoins, qui auraient pu contredire les faits, ce qu’elle déplore ironiquement car Roméo garde les dents serrés. La défense argumente que dans certaines zones de Givors, il n’est pas bon de fréquenter de près ou de loin la police. Ce qui explique le mutisme de Roméo, par respect de la volonté des dits témoins. Ou essayerait-il de gagner du temps ?
D’autre part la défense invoque la conjugopathie, une souffrance due aux mauvaises relations dans le couple. Certes, mais voilà sept mois qu’ils ne sont plus ensemble. La cohésion dans le même quartier semble impossible.
Roméo demande à ce que Juliette déménage. La juge s’offusque. Si quelqu’un doit déménager, c’est lui, pas elle !« Je vous prouverait quand je sortirais d’ici que c’est elle qui a un problème », le prévenu est debout, fulminant, ce seront ses derniers mots avant de quitter le box des accusés. Décidément, la remise en question n’est pas au chapitre du jour. 

Au suivant .

* les noms ont étés modifiés

Eve Sauzeau

La rédaction

Crée en 2008, la rédaction du Lyon Bondy Blog s'applique à proposer une information locale différente et complémentaire des médias traditionnels.

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