Rencontre avec Toumi Djaidja, fondateur de la marche pour l’égalité et contre le racisme

Originaire des Minguettes, à Vénissieux, Toumi a 20 ans lorsqu’il décide de dire stop à la vague de violence et de racisme que connaît la France. Interview.

Débuts des années 1980, genèse des émeutes de banlieues. Des « rodéos des Minguettes », des voitures qui brûlent, cris de détresse d’une génération laissée pour compte. Les jeunes des quartiers subissent, les premiers, les effets de la crise économique. Victimes de racisme car ils sont « Maghrébins », on les appelle les « immigrés de la deuxième génération », bien qu’ils soient nés en France.

A cette époque, un certain Toumi Djaidja, originaire de la cité des Minguettes à Vénissieux, décide de briser ce cercle de la violence, et d’utiliser la non-violence pour être entendu. Il a vingt ans lorsque se déroulent les évènements qui bouleverseront sa vie. Le 21 mars 1983, il décide de faire une grève de la faim, avec une dizaine de compagnons, pour dénoncer la violence et les meurtres racistes qui se multiplient. Du jamais vu auparavant.

Le 20 juin 1983, lors d’une descente de police, un policier lâche son chien sur un jeune « Maghrébin » de 16 ans ; Toumi s’interpose. Le policier lui tire dessus. A son réveil à l’hôpital, il décide d’organiser une marche pacifique, comme Martin Luther King aux Etats-Unis ou de Gandhi en Inde, car il sait que la violence engendre la violence. De là nait la Marche pour l’égalité contre le racisme, partie de Marseille pour rejoindre Paris, en passant par Lyon, Strasbourg et Lille, du 15 octobre au 3 décembre 1983. A Paris, plus de cent mille personnes se déplacent pour accueillir les marcheurs.

Retour sur cette marche contre le racisme en compagnie de Toumi Djaida. 26 ans ont passé mais son idéal est toujours intact. Interview

Toumi Djaidja : « Je n’ai pas trahi mon idéal. Je garde toujours la dimension humaine de la Marche. Malgré sa récupération politique. On a ouvert la voie pour atteindre notre objectif qui à la fin est tronqué ».

Le mouvement initié par la Marche, c’est-à-dire, l’enjeu que représentait le monopole de l’antiracisme, détenu à l’époque par les membres de la Marche, à savoir de jeunes « Maghrébins », a été récupéré. Par les médias tout d’abord, qui ont rebaptisé la Marche pour l’égalité et contre le racisme, la « Marche des beurs ».

Toumi Djaidja : « Elle n’était pas celle des Beurs mais celle qui dénonce le racisme sous toutes ses formes, celle qui montre qu’il est possible de vivre avec nos différences. Car nous sommes condamnés à vivre ensemble. Nous sommes tous Français ».

Je lui demande la part de responsabilité que des médias ont eu en ce qui concerne la stigmatisation des quartiers ainsi que de leurs habitants et plus généralement des Français issus de l’immigration nord-africaine.

Toumi Djaidja : « Les médias racontaient des choses fausses et ignobles. On voulait nous faire croire que la France était raciste et que nous étions des sauvages. Que les Français ne nous aimaient pas, pour qu’en retour on devienne raciste et qu’on se montre violent. Mais ils se sont trompés. On a tendu la main à la France à travers cette marche. On a établi un dialogue. »

La récupération politique de la Marche pour l’égalité  est souvent dénoncée.

Toumi Djaidja : « A l’époque, on n’avait pas la maturité au niveau politique. On était des agneaux face à des loups. Tout le monde a essayé de nous récupérer. On ne voulait pas politiser le message de la Marche. Malheureusement, la dimension humaine n’est plus au centre de notre société. Les politiques sont mues par des intérêts. Mais aujourd’hui la relève est là. J’ai choisi de m’effacer pour les laisser monter. »

Certaines périodes de l’Histoire restent sombres, muettes, comme la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Cette initiative est une référence historique dans la lutte antiraciste, dont il faut restituer la place qu’elle mérite. Une génération s’est mobilisée pour dénoncer pacifiquement la violence  Elle a mis la France face à ses propres contradictions : tous les citoyens naissent égaux mais ne bénéficient  pas tous d’un traitement égal. Le racisme est une réalité dans notre pays mais la France n’est pas raciste, comme l’a découvert Toumi Djaidja.

« La France est comme une mobylette, pour qu’elle avance il lui faut du mélange » était l’un des messages arborés lors de la Marche.

 

Rafika Bendermel

La rédaction

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