La porte ouverte aux vols

Tribunal de Grande Instance de Lyon, comparution immédiate, le 19 mai 2017

Voilà donc une affaire de vol de biens dans une voiture. Jusque-là, cela ressemble à une affaire plutôt « banale ». Sauf que la voiture en question était restée ouverte, volontairement.

Pour une salle de tribunal, il est plutôt inhabituel qu’elle soit bruyante, ne serait-ce qu’un petit peu. Et aujourd’hui, c’est le cas. En effet, un groupe de jeunes s’est assis au fond de la salle, discute fort entre eux, glousse, et certains font beaucoup d’aller-retour entre la salle et l’extérieur,  provoquant un chaos sans nom au niveau de la lourde porte bien bruyante. Au cours de l’après-midi, ils se sont fait reprendre par un avocat au regard sévère. Mais s’ils sont là, ce n’est pas juste pour faire du bruit. Ils sont venus voir des amis à eux, jugés pour vols.

Deux jeunes personnes entrent dans le box des prévenus, Lebon* et Letruand*. Ce sont eux pour qui le groupe de jeunes s’est déplacé. Habillés de simples survêtements un peu fluo, c’est l’air fatigué qu’ils entrent. Double de prévenus, double de policiers, et se sont deux hommes des forces de l’ordre qui se placent derrière eux. Deux avocates sont aussi présentes. Mireille*, dans la soixantaine, se tient à la place de la victime.

L’histoire autour de Lebon et de Letruand est simple. Avec un troisième partenaire, mais lui actuellement au tribunal des mineurs, la fine équipe a eu l’idée d’essayer d’ouvrir des voitures pour en récupérer le contenu. Sous une forte influence de l’alcool, évidemment.  Et là, ô surprise, une petite voiture s’ouvre. Letruand se tient un peu plus loin, à l’écart, pendant que Lebon s’introduit dans le véhicule et se sert. Quant au troisième compère, on ne sait pas trop ce qu’il fait. Une fois leur méfait accompli, les gredins repartent. Mais ce n’est pas sans compter sur un témoin, qui depuis sa fenêtre a repéré les trois jeunes quand ils commençaient à tester les portes de véhicules dans la rue, et qui a prévenu la police. Les malfrats se font arrêter une centaine de mètres plus loin. Au pied de Lebon, on retrouve un couteau Laguiole, dont il s’était débarrassé avant de se faire saisir. Sur Letruand, on retrouve une paire de lunettes RayBan.

Au début de la séance, les deux compères ont du mal à avouer les faits, le président ne leur fait pas de cadeaux. Penaud, Lebon avoue s’être introduit dans la voiture et avoir pris le couteau. Quant à Letruand, il nie en bloc : il est innocent et n’a rien à faire là, il ne comprend d’ailleurs pas sa présence ici. Mais le président y tient. D’après le témoin de la scène, effectivement il ne s’est pas introduit dans la voiture, mais il a fait le guet. Il est donc tout aussi coupable. Surtout que ce n’est pas sa première fois au tribunal. Mais il continue à nier.

Lebon est un tout jeune mineur. Bien qu’il se soit fait remarquer en décembre dernier, c’est là sa première vraie infraction à la loi. Vivant chez un ami depuis très peu car « c’est difficile à la maison », il est sans emploi. Il n’a pas non plus fini ses études supérieures. Letruand lui, n’est pas vraiment dans le même cas. Un peu plus vieux que son complice, il a dans son casier judiciaire douze mentions. Il en a obtenu la moitié quand il était mineur. Lui aussi  est sans emploi et n’a pas non plus fait de longues études.

C’est à Mireille de prendre la parole. Elle explique pourquoi elle laisse toujours sa voiture ouverte « c’est un véhicule de peu de valeur, avec rien d’important dedans ». Et pourtant. Elle signale la disparition d’un boitier censé ouvrir son garage, ainsi qu’un sac de fruit qui était dans le coffre, et qui n’ont pas été retrouvés. Elle tient à faire remarquer la valeur de son bip de garage. Quand Lebon lui demande, elle lui répond 80 euros, et ce dernier baisse les yeux. La vieille dame sort un papier de son sac. C’est le calcul des dédommagements, le prix de ce qui a été volé : elle demande 150 euros aux trois jeunes. Le président intervient alors, lui précisant qu’elle peut demander plus. Ce à quoi elle répond : « Bon et bien je vais arrondir. Je vais demander 500 euros ». Dans la salle, c’est un fou rire général mais contrôlé qui se déclenche. Personne n’en revient de l’arrondissement de la victime, et beaucoup trouvent cela très exagéré.

C’est au tour des avocats maintenant. La première est une jeune avocate, qui participe à sa première affaire de cette envergure. Elle défend Lebon. Très vite, l’avocate s’emporte, trouvant une telle affaire déplorable. Son client, Lebon, est un tout jeune mineur. La comparution immédiate est osée dit-elle « Pourquoi pas la cellule anti-terrorisme tant qu’on y est ? ». Avec fureur et passion elle défend Lebon « il mérite une deuxième chance. Là, il lui faut un avertissement, lui faire comprendre qu’il ne doit jamais recommencer. Voulez-vous qu’il rate sa vie, aille en prison à tout juste 18 ans ? Il faut lui faire comprendre que la prochaine fois, oui il sera puni et sévèrement. » . Elle fait remarquer que si cela est arrivé, c’est parce que « Madame » ne daigne pas fermer sa voiture. La seconde avocate, défendant Letruand, est beaucoup plus calme. Elle insiste sur sa jeunesse difficile, tout comme sa vie actuelle. Elle ne le pardonne pas forcément, mais interroge l’assemblée sur la véracité des propos de Letruand. Est-il vraiment coupable, ce dont il se défend ?

C’est donc avec des peines différentes qu’ils repartent. L’appel de l’avocate de Lebon a été entendu, et celui-ci est tout de même sanctionné. A la sortie de la salle, des jeunes, amis de Lebon et de Letruand, propose d’attendre la « grand-mère » à la sortie pour la « mollarder ». Charmant.

Affaire suivante.

*Prénoms modifiés

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