Djihad : « Tu pars en Syrie ?! Tu vas revenir entre quatre planches. » 1/2

Ce texte s’adresse à tous les jeunes qui pourraient croiser le chemin des va-t-en-guerre qui prônent la gloire du combat. Chacun doit savoir le vrai visage de ce qui attend ceux qui se destinent au combat. Ceux qui appellent de leurs vœux la guerre et son fracas sont toujours et irrémédiablement ceux qui ne l’ont jamais vue ni subie. Parce que ceux qui la vivent et la subissent la considèrent comme une calamité. Calamité dont seule la sortie importe. La première partie.

 

Sur ce chemin, rien de glorieux n’attend qui veut combattre l’arme au poing. Ne seront au rendez vous que la libération du cynisme, la trahison des convictions, la perte d’êtres chers et la brutalité sans limites de la vengeance furieuse, la prison et son impasse, la folie de vivre, la rage de mourir, le poids de la fatigue, l’horizon irréfléchi du désespoir, le flux et reflux de la maladie, l’acidité de la sueur, les larmes implacables, la rigidité des flammes, la torture subie ou exercée, la complicité dans l’irréparable, la perte de tout humanisme, la tension permanente, la dépression et ses hésitations, la perte de repères, la sclérose de la pensée, la négation de la vie, l’apologie du vice, la jeunesse qui s’échappe, la terre maculée de pourpre et son chant de sirène, le pourrissement anonyme dans un trou ou dans un champs, les invocations sans réponse à la mort, le droit de vie et de mort spolié au divin.

Voilà le prix qu’il faut être prêt à payer, dans l’absence absolue de gloire. C’est celui-là, le vrai visage de la guerre.

Il est rarissime, quel que soit le conflit, que des soldats se comportent avec humanité envers leurs ennemis. Les djihadistes ne font pas exception. Le contraire serait même la règle les concernant. La méthode de recrutement, qui est toujours la même, y participe largement. Seul le média a changé. Il y a vingt ans, des cassettes vidéos circulaient sous le manteau. Aujourd’hui, la toile a étendu le revers du même manteau sur tous les écrans connectés du monde. On recrute avec un flot d’images terribles qui ne poussent pas à la clémence de qui les reçoit. Il est évidemment mis en avant que les victimes ne le sont que parce qu’elles sont musulmanes, alors que les raisons d’une guerre sont toujours très complexes, et ne peuvent se résumer à cela.

Le futur candidat est toujours abreuvé d’images de victimes civiles démembrées, éventrées, éviscérées, pour jouer sur le sentiment d’injustice. Puis, après les images sur les civils pris pour cible, il y a celles où l’on voit la riposte, comme une réponse apportée. Là encore, on se passe de montrer les exactions commises sur des non combattants. On montre des opérations toujours menées contre des soldats, à forte dose d’explosif. La réponse est éminemment simpliste. La carte de l’émotionnel est usée jusqu’à l’extrême. Celui alors qui décide d’aller combattre n’y va pas pour des raisons politiques, philosophiques ou d’humanisme, mais uniquement sur un élan enthousiaste, au sens étymologique du terme. Le futur combattant se sent porté par une mission divine de rétablissement de la justice qui n’a plus rien de rationnel. D’autant que le discours lénifiant qui en fait le commentaire oublie de dire qu’il en est ainsi dans chaque guerre, pour laisser s’installer l’idée que seuls des animaux peuvent se livrer à de tels actes.

Il y a toujours un couplet sur la culpabilisation de celui qui regarde ces images. La « voix off » demande systématiquement combien de temps le spectateur va rester assis à regarder cela. Est-il vraiment croyant s’il ne vient pas en aide ? Quelle excuse invoquera-t-il le jour du jugement devant Dieu pour son attentisme ? Comment peut-il être appesanti à ce point sur ce bas monde par l’oubli de la souffrance de ces frères et sœurs ? À quelle meilleure action peut-il prétendre que le combat dans le chemin de Dieu ? Le tout est largement agrémenté par des versets du coran, entre deux couplets de chants de combattants, que ne viennent interrompre que des sanglots sanglants sur des images toujours plus « hard core ». Tout est construit sur de l’émotion, sans aucune critique rationnelle du conflit concerné.

La barbarie, même perpétrée contre un barbare, reste de la barbarie

Lorsque l’on traduit « l’exégèse » des images, l’ennemi est décrit comme appartenant à un bestiaire démoniaque, et que sa destination ne peut être que la géhenne. Il n’y a donc pas de gène à lui faire connaître l’enfer ici bas, puisque c’est son destin de toute façon. Pour peu que le spectateur devienne acteur, il y a fort à parier qu’il voudra faire subir à des soldats ce qu’il aura vu appliqué à des civils. Une fois passé le stade de l’ultra violence envers des combattants, le curseur de celle-ci peut d’autant plus facilement se détourner sur les civils locaux qui ne collaboreraient pas. Ce faisant, le volontaire ne vaudra pas mieux que ceux qu’il combat. La barbarie, même perpétrée contre un barbare, reste de la barbarie.

Tous ceux qui se laisseraient tenter par le désir de venir en aide, de façon armée, doivent savoir aussi ce que cela signifie pour ceux qu’ils sont censés venir soutenir. Il est impératif de réaliser qu’il existe une « sociologie » de la guerre. Chaque conflit possède ses spécificités inhérentes à la mentalité des habitants du pays. Il y a une distorsion entre la volonté d’aider, et le sentiment perçu par ceux que l’on veut aider justement.

Pour commencer, les combattants locaux des insurrections armées sont tiraillés par deux objectifs, aux antipodes l’un de l’autre. La première nécessité consiste à ne pas se faire tuer tout en étant « efficaces » au combat. En même temps, ils doivent avoir le souci permanent de protéger et de ravitailler leurs familles. Bien souvent, ce sont des combattants provenant de la société civile. Et le conflit leur a été « imposé » en dehors de toute autre solution politique. En outre, les pénuries alimentaires deviennent un standard très rapidement. C’est alors un paradoxe quotidien d’une tension extrême que de vivre et faire vivre. Il faut se battre et rester en vie pour continuer à prendre soin des siens. C’est ainsi que l’on peut voir des alliances de circonstance, entre des camps ennemis, avec des logiques propres et des objectifs que seuls les locaux comprennent.

Celui qui vient d’un autre pays aura moins de scrupules à tirer sur des immeubles pleins de civils

Le volontaire au « djihad », lui, n’a pas du tout cette optique en tête. Son but est soit de mourir martyr, soit d’édifier un état islamique. État, qui quoiqu’il s’en fasse l’idée, n’est pas celui auquel pense le local, quand c’est éventuellement son projet.

Mais surtout, il n’y a personne de la famille à protéger, pour celui qui vient d’un autre pays. Peu lui importe, par exemple de provoquer une riposte lourde et aveugle d’artillerie, sur les immeubles pleins de civils, en tirant depuis ceux-ci. Quant aux accords avec l’ennemi, pour les djihadistes, ils se font sur des bases idéologiques, et très rarement pragmatiques, du moins, très rarement en faveur des civils.

Autre cas de figure du grand écart entre les combattants locaux et les volontaires étrangers. En Bosnie par exemple, lors de la guerre de l’ex-Yougoslavie. Les combattants autochtones pensaient toujours à ceux d’entre eux entre les mains de leurs adversaires. Aussi, lorsque les Bosniaques faisaient des prisonniers, il y avait systématiquement l’ouverture de négociations pour des échanges entre belligérants. Un soldat, ou un milicien serbe ou croate était toujours certain de vivre pour se voir libérer contre des combattants ou des civils bosniaques détenus par leur camp. En revanche, lorsque ceux-ci tombaient entre les mains des volontaires au djihad, leur exécution devenait un incontournable. Il est d’autant plus facile d’avoir cette posture que l’on n’a pas de famille à sauver. Il y a même eu des scènes où les combattants bosniaques se voyaient sommés, par la menace des armes, de remettre les prisonniers qu’ils avaient aux unités étrangères pour que ceux-ci soient exécutés. Se faisant, ceux qui prétendaient soutenir la cause des Bosniaques ne faisaient que la rendre encore plus insupportable. Non seulement, il n’y avait pas d’échanges, mais ceux de Bosnie aux mains des Serbes ou des Croates payaient souvent de leur vie une vengeance exercée sur eux.

En parallèle à la situation de terrain, les mouvements islamistes de soutien armé obéissent toujours à un commandement distinct du pays où se déroule le conflit. Daech, ou peu importe son nom, ne répond à aucune logique locale, et se veut un mouvement supra national. Même s’il y a parfois des adaptations aux terrains. Il est inéluctable que les logiques locales entrent en conflit avec celles des extérieurs. En outre, les djihadistes veulent rapidement prendre l’ascendant sur ceux du coin, et leur donnant des leçons d’un islam wahhabite et fondamentaliste. Un islam bien loin de ce que peuvent être les pratiques locales, toujours calquées sur les traditions et les coutumes héritées.

Les locaux et les autres sont dans des unités séparées

C’est ainsi que très vite, les locaux et les autres se retrouvent dans des unités séparées. Dans un premier temps, cette situation ne fait qu’ajouter au désordre ambiant. Pour l’insurrection, ce qui était une aide au départ devient un facteur supplémentaire à maîtriser, au niveau stratégique, à minima. Les rebelles se retrouvent donc à gérer un surcroît de complexité, pour garder la maîtrise de l’objectif. L’arme la plus puissante dans une guerre, c’est le renseignement. Le trouble causé par la présence des étrangers, dont on ne sait pas ce qu’ils vont faire, ne fait qu’affaiblir les locaux finalement. Le volontaire au « djihad » doit comprendre alors, qu’il va plus gêner que rendre service.

La méthode et les objectifs continuent à diverger au point que ceux-ci, les groupes des deux entités, locales et internationales, finissent par entrer en conflit. Au milieu de tout cela, il y a les civils, les femmes, les enfants et les vieillards, qui se voient pris en tenaille par une violence accrue. Les volontaires islamistes n’hésitent pas longtemps à s’en prendre aux civils par l’intimidation et la terreur pour rallier les autres groupes de combattants. C’est d’autant plus facile que leurs propres familles ne sont pas sur place. Il n’exclut alors pas d’avoir recours à bombe humaine, qui se fera d’autant mieux éclater qu’il ne risque pas de tuer des parents. Et voilà, notre volontaire au grand cœur à qui on demande de rejoindre le paradis par voix de TNT. Malheur à lui s’il hésite ou refuse. Au passage, il tuera ceux qu’il était venu aider, s’il cède.

Dernière distorsion, entre le projet et la réalité, et c’est la plus importante, la distorsion des intentions et des objectifs. Si le volontaire étranger part avec la volonté de voir l’avènement d’un état islamique, lorsque ce n’est pas pour mourir martyr, qu’il réalise que les raisons des guerres dans les pays musulmans, ne sont jamais des raisons religieuses sur le fond. Elles peuvent en prendre la forme et la saveur, mais c’est toujours la misère, l’injustice et les dictatures en places qui sont les vraies raisons. Les gens ne se battent pas pour changer un totalitarisme pour un autre. Pas un des pays ayant connu une insurrection depuis le « printemps arabe » de 2012, n’a vu naître celle-ci sur des slogans islamistes. Les manifestants en Tunisie, en Égypte, en Libye, au Yémen, au Bahrayn ou en Syrie ne se sont pas soulevés pour établir un état islamiste. Ce n’est pas parce que quelqu’un crie « Allahou Akbar » pendant qu’il manifeste ou avant de se battre, qu’il le fait pour établir un état islamique. Il faut bien comprendre qu’il s’agit d’un cri de ralliement consistant à se donner du courage. Ceux qui le poussent ne le font certainement pas dans l’optique de mettre en place un Etat où les mutilations physiques participent de l’application du code de procédure pénale auquel ils rêvent.

 

La deuxième partie du texte

David Vallat

J’ai déjà été manutentionnaire, préparateur de commande, soudeur, métallier, dépanneur, serrurier, éboueur, administrateur des ventes export, déménageur, négociateur immobilier, métreur dans le bâtiment, fleuriste, kébabiste, démineur, agent d’entretien, figurant pour des courts métrage, carrossier peintre, mécanicien auto, consultant en explosif pour le cinéma, chasseur alpin au 159 de Briançon, peintre en bâtiment, formateur sur armes légères et fusils d’assauts, pointeur mortier lourd, poseur de charpentes métalliques, restaurateur, conseiller juridique, gréviste de la faim, arbitre d’épreuve pour le brevet de moniteur de ski, comptable dans une association de malfaiteur, traducteur anglais arabe, écrivain public, élagueur pour l’office national des forets, négociant en matériel de toutes sortes, chef de chantier, conducteur de travaux. (Liste non exhaustive). Au Lyon Bondy Blog depuis mars 2012. Ma devise serait : « Mieux vaut passer pour un ignorant, mais ne pas le rester, plutôt que de le cacher, et continuer à l’être. »

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