Chronique judiciaire : « Il est impossible de plaider la légitime défense »

Si un domaine ne prend jamais de vacances c’est bien la justice. Ce vendredi 19 août, plusieurs procédures en comparution immédiate ont été jugées au tribunal judicaire de Lyon. La rédaction du Lyon Bondy Blog était présente et a sélectionné différentes affaires qui ont retenu son attention.

Un homme poignardant son semblable, aveuglé par la fureur. Ce ressort hautement dramatique constituait la trame d’une comparution immédiate au Tribunal correctionnel de Lyon ce vendredi 19 août. Une simple entreprise de livraison vaudaise en était le théâtre : le mardi 12 juillet dernier, un employé pourtant décrit comme « poli » voire « exemplaire » par ses collègues a porté sept coups de couteaux à son patron. Comment comprendre cette explosion de colère l’ayant mené à commettre l’irréparable ? Évacuant la thèse de l’acteur sociopathe, son avocat a soutenu qu’« il ne portait pas de masque en se rendant chaque jour au travail ».

« C’était une folie pure de ma part. En aucune manière je n’ai voulu le tuer, j’ai perdu le contrôle de moi-même »

C’est un homme menotté, l’échine légèrement courbée, qui s’avance dans le box des accusés. Mathieu*, 36 ans, originaire de Rillieux-La-Pape, aurait poignardé à sept reprises dans le dos et sur les flancs son responsable avec un couteau de travail. Ce dernier souffre de larges plaies qui lui ont valu 15 jours d’interdiction totale de travail (ITT). Le prévenu reconnaît les faits. Il avance que son supérieur, tandis qu’ils se trouvaient à l’arrière d’un camion de livraison, l’aurait saisi à la nuque puis assené un coup de poing à l’arcade. Alors que son employeur mesure 2m12 et pèse 104kg, il se serait senti « dépassé ». « Je ne savais pas comment m’en sortir », a-t-il déclaré. « C’était une folie pure de ma part. En aucune manière je n’ai voulu le tuer, j’ai perdu le contrôle de moi-même ».

Pour expliquer son geste, il évoque des paroles insultantes proférées à son égard et des remarques à répétition non justifiées : « Cela faisait un an qu’il m’appelait « branlette ». Le matin même, il m’avait chauffé, il m’a demandé de me bouger et il m’a dit « tu vas pas commencer à me casser les couilles ». L’avocat du responsable logistique certifie que les accusations d’harcèlement portées à son encontre ne s’appuient sur aucune pièce tangible du dossier. Son client nie d’ailleurs avoir frappé Mathieu dans le camion. Les témoins, alertés par les cris, ont seulement vu l’employé poursuivant son supérieur dans la cour de l’entreprise, couteau à la main.

« Quand il bascule dans un tel état de fureur, rien ne l’arrête. Pourtant, sa compréhension est entière »

La procureure de la République s’est beaucoup appuyée sur les antécédents et l’expertise psychologique de l’accusé pour requérir la peine sévère de 5 ans de prison, dont un sursis probatoire de 2 ans. Elle souhaite son maintien en détention. « Sa mère évoque des crises de colère. Il est en incapacité de faire voir ses émotions et n’est pas en mesure de s’opposer, jusqu’à la fureur. C’est pour cela qu’on le qualifie de « faux calme ». Quand il bascule dans un tel état, rien ne l’arrête. Pourtant, il ne souffre pas d’un manque de discernement, sa compréhension est entière. Il essaie de se convaincre que quelque chose justifie son comportement, mais même lui voit que c’est disproportionné. Il est impossible de plaider la légitime défense ».

Elle a rappelé que l’employé a fait preuve d’une récidive légale puisqu’il avait déjà été condamné en 2020 à 500 euros d’amende pour avoir agressé physiquement un collègue de travail.

« C’est une utopie de croire qu’en prison, on se soigne »

« Je regrette, j’ai fait du mal à énormément de monde, je vais me soigner pour plus que ça arrive », a sangloté Mathieu. C’est sur ce point qu’insiste son avocat pour réduire la peine de prison encourue, qu’il juge « trop lourde » et « injuste » : « Il ne présente pas un état dangereux. Il est réadaptable, il a un sentiment de culpabilité vis-à-vis des faits, il est mûr pour les soins. C’est une utopie de croire qu’en détention, on se soigne. ».

L’une des lignes importantes de sa plaidoirie consistait à contenir le jugement aux faits établis : « Nous n’avons pas une boule de cristal. Vous transformez le procès en tentative de meurtre, or, la question a déjà été tranchée en l’envoyant en comparution immédiate. Il est seulement responsable du résultat et pas de l’intention. Le pronostic vital de son responsable n’a jamais été engagé. Non, il n’a pas cru mourir ». Cependant, l’avocat n’est pas parvenu à ôter une question cruciale de la tête des juges : que ce serait-il passé si Mathieu n’avait pas été arrêté par la voix de ses collègues alors qu’il poursuivait la victime, couteau à la main ? Peut-être un procès aux assises… La relativisation des faits reste alors partielle et la peine prononcée sera certainement lourde.

« Je n’ai pas vu que c’était une femme {…} Je n’ai pas vu que c’était une vieille »

Une dame d’une quarantaine d’années plutôt petite, marquée par la vie, rentre dans la salle d’audience. Calme au premier abord, elle semble perdue dans le box des accusés. Les faits qui lui sont reprochés sont graves : multiples agressions sur personnes vulnérables et refus de se soumettre à différentes analyses d’authentification.

Tout commence le 19 juin dernier quand deux femmes, une personne âgée et une plus jeune, sont agressées physiquement par l’accusée, qui, en pleine gare Part-Dieu, leur assène plusieurs gifles et griffures sans raison apparente. Trois jours plus tard, le 21 juin, la prévenue va s’en prendre à une femme de 81 ans, cours Vitton. La séniore sera poussée dans le dos, manquant de tomber violemment au sol. Elle sera rattrapée in extremis par un passant. Quelques minutes plus tard, la quarantenaire sera interpellée par un équipage de la police municipale. Enfin, le 22 juin, elle refusera de se soumettre à un prélèvement biologique ainsi que à la prise de ses empreintes digitales, bien que ces informations étaient nécessaires à son identification sur d’autres faits. Situation aggravante, l’incriminée était sous l’effet de l’alcool au moment des multiples agressions.

En détention provisoire depuis le 22 juin dernier, la mère de cinq enfants reconnait les accusations, mais dément avoir pu griffer les victimes, « je n’ai pas pu les griffer, je n’ai pas d’ongles ». Elle poursuit, « je n’ai pas vu que c’était des femmes {…} Je n’ai même pas vu que c’était une vieille {…} Je ne m’en prends pas aux vieux », après ces explications, la juge la reprend à plusieurs reprises sur son langage, lui reprochant l’utilisation du terme « vieille » qui « n’est pas respectueux ». Interrogée sur ses actes, la prévenue affirme avoir agit sous l’effet de l’alcool et n’aurait pas voulu commettre ces crimes. Amenée à s’expliquer, par la présidente, sur son rapport à l’alcool, l’accusée explique boire quotidiennement pour « occuper ses journées ». Une consommation excessive couplée à plusieurs problèmes psychologiques comme le soulignent deux expertises qui concluent à une altération du discernement et des troubles du comportement. Ces deux rapports médicaux soulignent également l’importance d’un suivi médical, voire d’un internement forcé.

Pour conclure, la prévenue sanglote et exprime ses regrets ainsi que ses excuses envers les victimes. De belles paroles qui n’ont pas su convaincre la procureure qui estime que son empathie ne serait pas « véritable ». La magistrate requiert 18 mois d’emprisonnement dont 6 avec sursis, à cela s’ajoute les demandes de la partie civile qui estime les frais de dédommagement à hauteur de 2916e. Une peine trop forte pour la défense, qui joue sur la santé mentale et psychologique de sa cliente. Son avocat estime qu’un suivi psychologique serait plus adéquat. Le verdict sera rendu prochainement.  

Nuit de noce et contrôle judiciaire : un mix compliqué

Salim* est né en 1998 à Vaulx-en-Velin, si aujourd’hui il se présente devant la cour, ce n’est pas pour être jugé, mais pour demander une révision de son contrôle judiciaire. En 2021, il avait été condamné aux côtés de plusieurs autres prévenus pour des faits de détention, transport et vente de stupéfiant. Un contrôle judiciaire avait alors été mis en place, l’obligeant à rester chez lui entre 21h et 6h et à se présenter une fois par semaine au commissariat de Meyzieu. Si le prévenu souhaite adapter sa peine, c’est pour pouvoir partir en voyage de noce avec sa compagne qu’il a épousé au début de l’été. Une demande particulière, mais totalement possible. En effet, l’accusé a déjà bénéficié d’un aménagement pour se rendre à Dubaï avec des amis. Un élément souligné par son avocate qui rappelle que la confiance lui a déjà été donnée par le passé, alors pourquoi ne pas réitérer, interroge la défense.

Exprimant sa réticence vis-à-vis de cet aménagement, la procureure rappelle que le « laxisme de la justice » revient régulièrement dans le débat public. Pour la procureure, le prévenu pourrait profiter de son voyage pour prendre la fuite. Une peur insensée pour Salim, « Je ne compte pas fuir. J’ai toute ma famille en France, toute ma vie, je ne vais pas fuir… De plus, la Grèce c’est en Europe… ».

*Les prénoms ont été modifiés

Aurore Ployer / Léo Ballery

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