17 octobre 1961 : « Si vous descendez, vous ne reviendrez pas ! »

Dimanche 17 octobre 2010 a été l’occasion de se souvenir d’un évènement sombre de l’histoire de France. En effet, en 1961, cette même journée du 17 octobre avait été le théâtre de ce que l’on peut qualifier, sans se tromper sur la teneur du terme employé, de véritable massacre. A Lyon, on se souvient et on rend hommage.

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           Le 17 octobre 1961 alors que la guerre d’Algérie touche à sa fin, le FLN appelle à une manifestation pacifique dans les rues de Paris pour dénoncer le couvre-feu raciste imposé quelques jours plus tôt aux Algériens et par extension à tous les Maghrébins. Cette manifestation rassemble environ 30.000 personnes. Le préfet de police de Paris, Maurice Papon, organise une répression sanglante. Certains furent purement et simplement jetés dans la Seine pendant que d’autres subissaient la torture dans des centres de détention…

          A Lyon, ce dimanche glacial a été l’occasion de remédier à une sorte d’amnésie générale qui semble toucher certains passages délicats  de l’histoire de France. En effet, plusieurs manifestations ont eu lieu dans la ville et ses agglomérations grâce à la mobilisation du collectif lyonnais du 17 octobre 1961. Le point commun de toutes ces manifestations résonne étrangement dans le nom des places et lieux choisis à cette occasion…

 

Par exemple, à la Guillotière, c’est une centaine de personnes qui a pu se rassembler sur les berges du Rhône pour rendre hommage aux Algériens assassinés en 1961. On a pu y noter la présence de Stéphane Gomez, de la Ligue des Droits de l’Homme. C’est autour de chants kabyles et de témoignages, dont celui de M. Bechnour, selon le Progrès,  qu’ont été évoqué la négation d’un crime d’état et l’éventuelle possibilité d’ériger une stèle en mémoire de ce triste évènement. Des fleurs ont été symboliquement jetées dans le Rhône.

A Vaulx-en-Velin, sont organisées de véritables journées d’informations et de mémoire jusqu’à mercredi (voir agenda de le semaine) . La première étape de ce rappel historique s’est effectué dimanche par la dépose d’une gerbe Place de la Nation, au Monument des Droits de l’Homme. Etaient présents entre autres, M. Mahieddine MESSAOUI  (Consul Général Adjoint de la République Algérienne), Mustafa BOUDINA (sénateur algérien) ou encore Roger WINTERHALTER (membre français du FLN). Ont également été évoqués la volonté de commémorer chaque année ce massacre en mémoire des victimes  ainsi que le fait qu’une rue ou qu’un lieu de la ville porte le nom de « 17 octobre 1961 ».
Enfin, c’est à Vénissieux que le Collectif du 17 octobre a organisé un rassemblement Place de la Paix. Quatre associations (Association sociale et culturelle algérienne, Association de la Communauté Algérienne de l’Est Lyonnais, Association des Algériens de l’Est Lyonnais et Rive Sud) sont à l’origine de cette commémoration sur la commune de Vénissieux et c’est ce qui fait sa particularité. Les élus de la ville étaient présents, suite à l’appel de ces associations. Parmi eux,  Lotfi BEN KHELIFA (Adjoint au maire PS) et Idir BOUMERTIT (Conseiller municipal Parti Radical de Gauche) qui incarnent une diversité issue de la banlieue et du milieu sportif soucieuse du devoir de mémoire. Plusieurs interventions ont eu lieu comme celle de Mokrane KESSI et le touchant  témoignage de Mahmoud HAMDIKEN en présence de sa fille Sonia HAMDIKEN, conseillère municipale de la COURLY et également membre du Collectif du 17 Octobre.

 

 

Mahmoud HAMDIKEN est né en 1927 et vit en France depuis 1947. Militant politique, il finit par être arrêté en 1958 et effectue trois années d’incarcération à Saint-Paul. Suite à cela, il est carrément interdit de séjour dans le Rhône et se voit contraint d’abandonner femme et enfants pour rejoindre des proches dans la région parisienne. Mahmoud HAMDIKEN s’est donc retrouvé de manière « fortuite » à Paris au moment des faits. Véritable mémoire vivante de ce crime d’état, il introduit son récit  à la manière d’un César qui est venu, qui a vu et qui a vaincu : «Maurice Papon ne nous a pas tué ! ». C’est tout en prenant appui sur sa canne que cet homme a pu distiller ses souvenirs à une assistance attentive malgré le vent et le froid. C’était en sa qualité de simple militant qu’il était parti manifester pacifiquement contre le couvre-feu s’appliquant aux Nord-Africains institué par Maurice Papon. « Les contrôles de police se multipliaient…La situation était insupportable ».
Après que la manifestation ait été décidée, un choix leur avait été proposé par les leaders : manifester sans armes ou avec des armes… « Connaissant le comportement de la police, il a été décidé que nous serions armés mais deux jours après, on nous a annoncé que nous ne prendrions aucune arme, pas même un couteau ou une fourchette ( !) ».

Selon Monsieur HAMDIKEN, les deux nuits qui on suivi cette décision ont été des nuits blanches de discussions entre les manifestants qui réalisaient peu à peu qu’ils ne reviendraient peut-être pas vivants de ce cortège de protestation : « Le matin du 17 octobre, les manifestants se sont réveillés très tôt pour faire leur prière du matin, peut-être la dernière de leur vie ». M. HAMDIKEN a su capter son auditoire en usant d’anecdotes empreintes d’humour comme celle où il raconte comment deux policiers l’arrêtent lui et ses compagnons pour savoir où ils se rendaient ainsi et qu’il répond « Nous allons nous promener à Paris ». Ces deux policiers leur avaient dit, avant de leur accorder finalement l’accès au métro,  « si vous descendez, vous ne reviendrez pas », preuve que les autorités étaient au courant de cette manifestation et que le massacre était organisé en réalité…

Suite à ce témoignage, s’en est suivi le discours de Michèle PICARD, maire de Vénissieux ainsi que la dépose symbolique de gerbes place de la Paix. Une partie des personnes présentes s’est ensuite rendue à Saint-Fons afin de jeter également des fleurs dans le Rhône en hommage aux victimes.

De toutes ces commémorations, les mêmes questions reviennent : pourquoi un tel silence autour de ce massacre alors que toute une partie de la population réclame sa reconnaissance ? Il est évident que sans l’effort des associations et de certains historiens qui ont à cœur d’établir la vérité,  personne ne parlerait de ces évènements aujourd’hui. D’autre part, la récupération politique de ce devoir de mémoire semble rester au centre de certaines préoccupations. Il reste étonnant que le PCF ait profité d’un tel moment pour diffuser ses tracts à Vénissieux alors que la situation ne s’y prêtait pas du tout…

Néanmoins, les choses semblent bouger petit à petit. Les élus sont fortement attendus au tournant. 2011 sera l’année du  cinquantième anniversaire de ce massacre…Verrons-nous une rue porter le nom de ce triste jour ou une stèle sera-t-elle élevée en hommage aux victimes assassinées et torturées ?

Mbarka Ben Haj Mohamed

La rédaction

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