Vieille de 150 ans, la vogue des marrons est l’une des plus anciennes fêtes foraines urbaine en France. Nous sommes allé à la rencontre des forains qui l’animent depuis des générations et des riverains, qui sont là depuis beaucoup moins longtemps. Entre hausse des prix (parkings, manèges, électricité, essence, etc), tensions et tradition, zoom sur les derniers nomades d’Europe.
Le jour d’installation des attractions, le 6 octobre, a été le théâtre de vives tensions entre policiers et forains. En cause ? Guy Fella, propriétaire de la grande roue, a souhaité installer son manège sans autorisation préalable sur l’esplanade du Gros Caillou. Les autorités ont décliné l’aménagement de ce manège jugé trop lourd pour la dalle qui surplombe le parking. Cet incident va-t-il compromettre la bonne ambiance de la fête foraine ? D’après Thierry Boulet, 36 ans, et porte-parole des forains de la Croix-Rousse, Guy Fella aurait été refusé pour de mauvaises raisons. « Ça fait une dizaine d’années que je fais la vogue et c’est la première fois qu’on a des problèmes à Lyon. Pour ma part, je pense que c’est dû aux plaintes des riverains », explique-t-il.
En ce qui concerne la vogue des marrons, les avis sont mitigés. Si Remy Burnichon, 51 ans, pense que « la vogue est une tradition et que si on l’élimine on élimine une partie du folklore de la Croix-Rousse », pour Caroline Andre, 41 ans, « il y a un ras de bol de la vogue. Ca gène pour les stationnements, il y a trop de bruit, et ça fait venir des gens de l’extérieur. » Mais selon Robert Luc, 71 ans, « les riverains sont venus après la vogue. Ce qui gêne les voisins, c’est les jeunes de banlieue, mais il n’a jamais fallu de visa pour entrer a la Croix-Rousse. »
Une tradition sur le qui-vive
Pour Thierry Boulet, les forains rencontrent actuellement diverses difficultés sur la Croix Rousse, « je pense qu’avant il y avait plus de dialogue entre les forains et les gens extérieurs. Aujourd’hui, plus personne ne se connait. C’est pas le vrai croix roussien qui n’aime pas la vogue des marrons, c’est les gens qui viennent de l’extérieur de Lyon et qui ont acheté ici. » D’après lui, le métier de forain devient de plus en plus difficile, et ce, dans chacune des communes qu’il traverse. « On n’est pas là pour casser les pieds aux gens, on est la pour gagner notre pain » poursuit-il. Est-ce que les plaintes des habitants ont rendu la vie plus dure aux forains ? Entre la réduction de places de parking, les nuisances sonores et la venue de personnes extérieures à la Croix Rousse, les riverains ne cessent de rouspéter contre cette tradition vieille de 150 ans. Pour autant, beaucoup de choses ont été faites pour eux comme la restriction des horaires d’ouverture. Ces mécontentements vont-ils parvenir à diminuer la vogue des marrons à moins de trois semaines et ainsi bouleverser la vie de plus de 600 personnes ?
« C’est beaucoup trop long, trois semaines suffiraient amplement. Je ne pense pas que ça amène plus de monde pour faire les courses et puis ça occupe beaucoup de place. Pourquoi pas faire une zone réservée à la fête foraine externe au centre-ville de Lyon ? » explique Jerome Deliberali, 43 ans, fromager sur la place de la Croix Rousse. Dans la même optique, la brasserie des écoles imagine une réduction de la fête. « Ça ne nous rapporte pas plus de clients, on ne fait pas un meilleur chiffre d’affaires grâce à la vogue puisqu’on perd pas mal de nos habitués à cause des places de parking et de la nuisance sonore. Les habitants pensent que la vogue est trop longue et moi même je suis pour un raccourcissement de celle-ci » rapporte Nicolas Guenot, 36 ans et barman. Pour Thierry Boulet, il est clair que si la vogue venait à être diminuée, « ce sera 700 personnes en révolution à la Croix-Rousse l’année prochaine. » Du côté de la mairie du 4ème, malgré nos relances répétées, personne n’a souhaité répondre à nos sollicitations. D’ailleurs, Thierry lance un appel aux politiques : « J’invite Mr le maire de Lyon et le maire de la Croix-Rousse à vivre une petite journée avec nous, pour voir les difficultés qu’on rencontre. Et ne pas seulement voir le forain qui dérange et qui fait du bruit. » L’appel est lancé.
Si les riverains se plaignent de l’organisation de la fête foraine urbaine, qui est l’une des dernières en France, ils trouvent également que le prix des attractions a fortement augmenté comme Caroline Andre, 41 ans. Ceux-ci ne comprennent pas pourquoi et cela a tendance à faire diminuer le nombre de visiteurs chaque année, ce qui rend encore plus précaire la vie de forain. Pourquoi donc le prix des manèges augmente ? D’après Thierry Boulet, propriétaire du stand pousse-pièce, « les prix ont augmenté, car l’électricité a augmenté, l’emplacement a augmenté, les manèges ont augmenté à cause de l’inflation. Si le pain augmente, tout augmente. On suit l’inflation de la vie, on ne peut pas rester en dessous. Vous avez tout un tas de raisons qui font que le prix des attractions a augmenté, et encore on reste les moins chers d’Europe. »
John Forever, magicien d’Incroyable Talent, vit dans le quartier de la Croix-Rousse depuis quelques années déjà. « Les forains me font travailler toute l’année. Tout le monde se plaint, mais quand il n’y a pas de vogue, il n’y a pas d’animation dans le coin. Les forains sont des amuseurs publics et malheureusement ils ne sont pas assez aidés. Mais bon, tout ça c’est politique. Pourquoi on leur met sans cesse des bâtons dans les roues ? » demande-t-il. En effet, les forains, qui sont leur propre patron, doivent se battre pour survivre. Un forain gagnerait le SMIC d’après Thierry Boulet. Selon Madame Solange, 85 ans, « avant il existait une certaine entente entre les riverains et les vogueurs mais il faut que chacun vive ».
« La famille, ça n’a pas de prix »
D’ailleurs, comment les forains vivent-ils ? N’est-ce pas compliqué que de se déplacer sans cesse et de voyager de ville en ville ? Pour Thierry Boulet, chargé de la communication et de la publicité, forain est le plus beau métier du monde. « Je dis quoi, je dis quand, je dis comment. Moi, j’arrive chez moi, je quitte mes chaussures, j’ai mes deux enfants, j’ai ma femme, ma mère en face de moi, j’ouvre la porte, j’ai mon beau frère, ma sœur, mes beaux parents, c’est une vie de famille. Et ça, la famille, je pense que ça n’a pas de prix. » Pourtant, si Thierry, forain de père en fils depuis plusieurs générations, parait vendre du rêve en prononçant ces propos, il admet tout de même que la vie de forain n’est pas toujours une partie de plaisir pour ceux qui débutent.
Un autre problème se pose, l’éducation. Comment les enfants sont-ils instruits ? Il faut savoir que Thierry est titulaire d’un baccalauréat et ne présente pas de difficultés de communication comme c’est le cas, par exemple, de certains forains. Les enfants de Thierry, quant à eux, sont en CP et en CM2. L’un veut être archéologue et le second souhaiterait poursuivre dans la lignée familiale. Ses deux fils changent d’école deux fois dans l’année et les directrices des deux institutions sont en contact. Ainsi, leurs dossiers les suivent d’année en année.
Ce n’est pas le cas de tous les enfants de forain. Certains sillonnent les villes, accompagnés de leurs parents, et ne peuvent pas suivre une éducation scolaire comme les enfants de Thierry ou leurs petits camarades sédentaires. D’ailleurs Thierry ne dit pas autre chose : « Je ne pense pas que ce soit la bonne solution d’envoyer ses enfants d’école en école. »