D’une pierre deux coups (au moins), voilà un billet urbain en forme de poupée russe. Premier volet d’une mini-série consacrée à l’évolution d’un atelier vidéo depuis et autour du quartier Gerland. Entrée en matière matinale, curieuse et sur le terrain.
En ce samedi matin, le quartier lyonnais au nom le plus fameux à travers l’hexagone, voire au-delà , a laissé au vestiaire sa tenue d’ébullition et son odeur de foule. Pas de bousculade à la sortie du métro, ni de marée humaine à affronter pour trouver, puis rejoindre sa sortie. La fourmilière se tait à l’orée de ce premier week-end de mars.
L’horizon dégagé des cascades d’escaliers vides résonne d’un silence de cathédrale, amplifié par les mensurations de l’architecture. Un étrange et fascinant rapport de démesure s’installe entre ce lieu et ma présence, comme si le métro m’avait porté à peine au-delà du terminus, jusque dans une cavité temporelle intermédiaire et engourdie. Mais rien de cela ici, seulement les premiers indices d’une enquête sur le point de commencer, raison de ma présence ici.
En effet, depuis la première semaine du mois de février, se tient au centre social de Gerland un atelier vidéo proposé avec l’association lyonnaise « Les Inattendus » . Cette première collaboration entre ces deux structures, témoigne d’un désir commun de réalisation audiovisuelle autour d’un quartier pluriel, en mutation. D’autre part, elle marque l’établissement ou la concrétisation d’une intimité forte, nouvelle peut-être, entre un territoire et des habitants, une Histoire et des histoires.
Articulé en trois grands moments de février à juin, les ateliers offrent l’opportunité de la conception d’un objet filmique, depuis l’initiation technique jusqu’au montage, en passant par les phases d’écriture et de réalisation.
Cette volonté de proposer, d’accompagner et d’aider autrui à donner vie à des êtres d’images et de sons, libres, uniques et vivants, et toujours en étroite connivence avec le territoire couvert, s’ inscrit depuis plusieurs années dans l’identité des « Inattendus ». En effet, depuis l’effervescence de la Guillotière ou elle a élu résidence, elle s’attache à insuffler un courant mêlant pratique participative à une logique de « diffusion d’un cinéma (très) indépendant ».
Ainsi, d’âges et d’horizons diverses, une douzaine de participants ont répondu présent, joignant ce projet ouvert à tous, gratuit, sans exigence d’expérience.
Après une première session partagée entre rencontre et prise en main avec les outils audiovisuels, et discussions visant à partager et approfondir expériences et connaissances autour de ce lieu d’investigation commun, participants et encadrants se retrouvent pour une balade urbaine du quartier dans le sillage de Stéphane Badey.
Employé par le musée Gadagne, porteur et passeur de l’histoire lyonnaise, coutumier animateur des explorations citadines, mais également adhérent aux « Robins des Villes », association qui comme son nom l’indique, s’applique à tisser un réseau et une relation nouvelle entre les différents acteurs de la ville, notre guide aux multiples casquettes tricote un solide fil rouge fait d’érudition, d’humour et de passion. Esquissée en amont, autour de lignes directrices émergées lors d’échanges, l’itinéraire porte nos pas entre contextualisation géographique, genèse industrielle, développement de l’urbanisation et questions sociales.
Rapidement, nous parlons avec les jambes et marchons avec la bouche. Le convoi s’élance, attentif et tranquille, le sourire aux lèvres sous un soleil blanc. Slalom entre passé et présent, d’un nom à un autre, de « la Mouche » à Gerland, oscillant d’une face à l’autre de ce territoire patchwork dont on perçoit les différentes et surprenantes couleurs, beaucoup moins les coutures. Entouré de Sébastien et Julia des « Inattendus », captant scrupuleusement images et sons sous les fenêtres ouvertes de la cité Jardin, à la rencontre des habitants dans les jardins de l’atelier des friches. Ce matin, l’heure à beau être à la semée, la discussion se fait immédiatement, chaleureusement avec ces touristes occasionnels.
Porté par les appétissantes odeurs de midi, nous franchissons un invisible fossé, quittant la rive résidentielle populaire pour se diriger vers un ancien haut-lieu industriel, jadis réputé pour d’autres odeurs, bien moins alléchantes. Celles là même, qui firent de cette zone excentrée l’emplacement idéal pour les industries polluantes, alors tenue à bonne distance du coeur de la ville. En suivant l’avenue Tony Garnier, figure inévitable lorsque l’on songe à l’architecture et à l’urbanisation du quartier, nous arrivons à la hauteur des terrains d’entrainement de l’OL jouxtant de quelques mètres les jardins ouvriers de la section du livre. L’image est probante et symbolique du contraste et de l’hétérogénéité de l’endroit. Ni la première, ni la dernière de la journée.
Aux abords du biopole, regroupement d’entreprises de pointe dans le domaine médical et pharmaceutique, à quelques encablures spatiales et temporelles des cabanes de bois et des logements insalubres des ouvriers du début du 20ème siècle, une voie de garage abrite un alignement de camping-cars endormis, foyer de prostitution à la nuit tombée. Délirante organisation d’un espace révélant une contiguité d’activités en apparence si antinomiques, sur un périmètre si restreint. Le jeu des associations symboliques les plus improbables se poursuit à l’approche de la monumentale halle Tony Garnier, monument classé, vestige des abattoirs et du marché à bestiaux désormais reconfigurée en parc d’élevage culturel massif et haut lieu pour les foires et meetings de tous poils.
Il suffit de franchir la grande arche et de s’engager dans l’allée d’Italie, artère vitale de ce que certains nomment le quartier de la viande, pour accéder à un autre temple, des élites cette fois avec la décentralisation en terre lyonnaise de L’École Normale Supérieure. Profitant de l’aménagement d’importantes parcelles de terrains, typiques du quartier et de son importante exploitation industrielle passée, l’illustre établissement public façonne l’excellence et entretient l’interdisciplinarité sur deux pôles. Ici, sur les bordures de l’allée dans une sorte de navire de verre, quelques centaines de mètres plus loin, sur le parvis Descartes, dans un cadre moderne et verdoyant, mais derrière un enclos de béton et de barreaux étanches.
A l’angle de la rue André Bollier et de l’Allée de Fontenay , se hissant avec peine au delà d’ un rideau de logements sociaux flambant neuf, le clocher de l’église s’apprête à sonner quatorze heures lorsque nous contemplons l’ apparition de la ZAC du bon lait, nouvelle pièce de ce grand puzzle dont l’osmose et l’unité ne sont que géographiques.
Si la balade continue, aujourd’hui, nos routes se séparent ici.
Je rebrousse chemin direction le métro Debourg, abasourdi par un tel entrelacs de dissonances, fasciné par le réinvestissement des activités d’antan et les rimes qui en découlent. La fatigue et la faim aidant, l’ironie se fait mordante. J’ai du mal à résister au plaisir de pincer de concert certaines cordes constituant cette vaste toile, et ainsi, à force de combinaisons, essayé d’en extraire une mélodie qui en tracerait les contours. Gerland, je pense à toi. Les mots en quête de résonance, rebondissent d’un trottoir à l’autre de l’avenue Jaurès. Montre-moi ton visage, toi qui en a tant. Fais entendre ta voix, toi qui en a tant. Accorde moi une danse, si tu tiens debout. D’un bloc. D’un élan.
Rendez-vous à la prochaine étape…
* Centre Social Gerland http://csgerland.com/
*Les Inattendus http://www.inattendus.com/
*Musée Gadagne http://www.gadagne.musees.lyon.fr/
*Les Robins des Villes http://www.robinsdesvilles.org/spip.php?rubrique1
*Les Ateliers des Friches http://www.latelierdesfriches.fr/contact.htm
Jean-Romain Mora