Une étudiante lyonnaise emprisonnée, symbole de la répression touchant la société civile turque.

Ce dimanche, le comité de soutien de Sévil Sevimli, jeune détenue originaire de Belleville, organisait une marche – au départ de la place Jean Macé. Une action locale mais qui permet de mettre en lumière la politique autoritaire du gouvernement turc.

Sévil Sevimli manif1_0

« Tout ce que ma fille a fait est légal ! ». Une voix remplie d’émotion et des yeux inondés d’amour pour défendre ce qu’il estime être une injustice. Ces sentiments, Erdogan Sevimli les crient à l’aîné de ses trois enfants, Sevil Sevimli, emprisonnée depuis le 9 mai dernier. Cette jeune étudiante de l’université de Lyon 2 en Info-communication effectue sa troisième année d’étude en Turquie, au sein de l’université d’Eskişehir (300 km d’Istanbul), dans le cadre du programme d’échange universitaire « Erasmus ».

« Terrorisme »

La jeune étudiante franco-turque âgée de 19 ans est accusée d’appartenir à un mouvement terroriste armé, le DHKP-C (Parti-Front de libération du peuple révolutionnaire), un groupuscule d’extrême gauche interdit en Turquie.

Les motivations de son arrestation paraissent minimes à tous ceux vivant dans un réel Etat de droit. En effet, il est reproché à Sevil Sevimli d’avoir participé à plusieurs manifestations publiques pourtant toutes légales. Ainsi, l’estudiantine s’est rendue à un concert de Grup Yorum, un groupe musical d’extrême gauche rassemblant plusieurs milliers de personnes ; elle a assisté à la diffusion de Damında Sahan, un film sur Güler Zere, une opposante de gauche décédée d’un cancer non soigné à temps alors qu’elle était en prison ; d’avoir participé à un pique-nique collectif lors de la manifestation du 1er mai, jour de fête du travail ; enfin, il lui est reprochée d’avoir placardé une affiche demandant l’instauration d’une bourse permettant d’aider les jeunes turcs à étudier. Ce dernier acte s’inscrit dans une logique de solidarité : aussi, en tant qu’étudiante issus du programme Erasmus, Sevil Sevimli bénéficie d’une bourse d’étude. A ses yeux, chaque jeune doit avoir les moyens de s’instruire, d’où son acte « militant ». Une action défendue par le cortège de soutien, comme le démontre les nombreuses pancartes clamant « nous sommes tous Sevil ».

 

La peine encourue par la jeune femme est potentiellement lourde, risquant ainsi jusqu’à 12 ans de prison ferme dans les geôles turques. L’avocat de l’accusée ne possède que très peu d’informations quant au dossier. En effet, le chef d’inculpation portant sur une possible activité terroriste engendre le secret de l’instruction. Plus grave, les premières semaines de détention ont été très rudes, à l’image du traitement appliqué à l’ensemble des prisonniers turques : pas de visites, aucun effets personnels transmis à la captive.

Intervention du Quai d’Orsay

Face à cette situation, la France a timidement réagi. Sur injonction du Quai d’Orsay, l’ambassade local a contacté la prison d’Eskişehir où est détenue Sevil. Cette intervention a permis à l’étudiante de recevoir quelques affaires individuelles ainsi qu’un droit de visite hebdomadaire, uniquement au parloir. Malgré ces premiers signes encourageants, le comité de soutien a demandé, au terme de la marche de soutien et par l’intermédiaire de son porte-parole Silem « au président François Hollande et au ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius d’agir auprès des autorités turques pour garantir le respect des droits consulaires de Sevil ».

A la suite de l’assouplissement des conditions de détention, la maman de Sevil a fait le déplacement en Turquie – son pays natal – lui permettant ainsi de rendre visite à sa fille une fois par semaine. Cet imbroglio judiciaire a bouleversé l’équilibre familiale : les deux enfants de la fratrie vont rejoindre leur mère en Turquie, afin d’être au plus près de leur sœur dans le dessein de la soutenir. En dépit de cette délicate situation, la famille peut compter sur une forte mobilisation, aussi bien au niveau de l’université lyonnaise qu’au niveau de sa ville d’origine, Belleville. L’émotion suscitée par cette affaire a touchée la cité beaujolaise comme le confie Maryse Bernadet, une bellevilloise : « Nous en parlons tous les jours ; jeunes et anciens se mobilisent. C’est une famille connue dans la ville, notamment parce que l’oncle de Semil est patron du bar du commerce, lieu d’échange de la cité. »

Des réformes en trompe-l’œil.

L’arrestation de cette jeune étudiante traduit un climat hostile qui règne au sein de l’Etat turc sous couvert de la réforme institutionnelle adoptée en 2010 et qui a pour objectif de mettre le pays en conformité avec les exigences de l’Union européenne. Derrière cette modification accueillie positivement par 57,9% du peuple turc lors du référendum, se cache une véritable répression qui touche différentes franges de la société civile. Le dernier rapport de l’observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme intitulé « présumés coupables, la criminilisation des défenseurs des droits de l’Homme » peut en témoigner. L’ONG s’alarme de la violence à laquelle fait face les partisans de sujets sensibles comme ceux des droits des minorités ethnies ( notamment Kurde ) religieuses ou sexuelles. De fait, de nombreux avocats, syndicalistes, intellectuels et étudiants ont été interpellés par le biais d’un bras armé législatif incarné par le Code pénal ( Turkish Penal Code ) ainsi que par la loi Anti terrorisme (ATC), permettant de mettre facilement un suspect en détention préventive sans définir une date de procès. En somme, c’est de ce dernier acte législatif qu’a été victime Sevil, au même titre que d’autres étudiants. Selon le collectif étudiant, 600 étudiants sont en prison depuis 2010.  » Sauver Sevil, c’est sauver la liberté d’expression » pouvait-on lire sur les pancartes du cortège, place Jean Macé. Une incantation locale sublimée par un enjeu bien plus global.

Plus d’informations sur la société civile turque : http://www.susam-sokak.fr/ ,le blog d’Etienne Copeaux.

Maxime Hanssen

Ex Service civique au #LBB. Diplômé d'une maîtrise d'Histoire après un mémoire de recherche sur l'histoire politique de la Hongrie. Journaliste à Acteurs de l'économie - La Tribune. En formation professionnelle à l'ESJ Lille Pro. Contributeur éternel au LBB et citoyen européen.

Voir tous les articles de Maxime Hanssen →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *