Impliquée depuis la fin des années 1980 au Parti socialiste, Sylvie Guillaume est élue au Parlement européen depuis 2009 et en est devenu vice-présidente en 2014. Avant cela, elle a notamment été adjointe au maire de Lyon de 2001 à 2014 et membre du conseil régional de Rhône-Alpes de 1998 à 2009. Nous l’avons rencontré pour aborder les questions de politique européenne.
Lyon Bondy Blog : Quels sont les types de sujets sur lesquels l’action politique au niveau européen apporte une réelle plus-value ?
Sylvie Guillaume : Si on regarde les questions économiques, de migrations et de mobilités des jeunes, vous avez trois sujets visibles et qui parlent beaucoup au quotidien des gens. Mais on peut parler aussi de consommation, de santé, d’agriculture ou de politique de cohésion, c’est-à-dire ce qu’on met en œuvre pour que les différences entre les différents États et les différentes régions s’aplanissent. Voir les choses au plan européen apporte une plus-value, car cela permet de forger une culture commune et de trouver des solutions en commun.
Il est utile de préciser que certaines choses sont de compétence exclusivement européenne et d’autres de compétence des États membres. Par exemple, on pourrait citer les questions d’éducation : même si c’est une compétence nationale, la plus-value de l’Union européenne (UE) est de faire partager des pratiques, comme en permettant aux jeunes de se déplacer dans le cadre de la mobilité Erasmus. La politique européenne est donc un mélange assez subtil entre la propre compétence de l’UE et la mise en lumière des pratiques nationales, que l’on peut faire partager pour faire évoluer les mentalités et les politiques nationales.
LBB : Pouvez-vous présenter un projet important sur lequel vous avez travaillé au niveau européen ?
SG : Chaque parlementaire européen est membre de deux commissions de travail sur lesquelles il se spécialise. Depuis que je suis élue en 2009, j’ai cherché à me spécialiser sur certains sujets qui sont du ressort de la commission libertés civiles, justice, affaires intérieures [commission LIBE, ndlr]. Cette commission traite des questions de migration, d’asile, de droits de l’Homme, de libertés numériques, etc. Ce sont des sujets que je trouve emblématiques et importants. Dans ce cadre, j’ai été amenée à porter plusieurs directives [en droit européen, une directive donne des objectifs à atteindre par les pays membres, avec un délai, ndlr] sur la question du droit d’asile. Par exemple, je me suis occupée de la directive pour l’harmonisation des règles de la procédure d’asile dans les 27, puis 28 pays de l’Union.
LBB : Pourquoi les citoyens semblent si peu intéressés ou courant de la vie politique européenne, et comment y remédier ?
SG : Je pense qu’il y a effectivement plusieurs choses qui rentrent en ligne de compte pour expliquer le fossé qui s’est créé entre les politiques européennes et leur message auprès des citoyens. Il y a un vrai défaut d’information. On a un peu le sentiment que tout le monde s’intéresse à la vie européenne au moment des élections, ce qui donne l’effet d’un catharsis collectif, mais on est encore assez défaillant en terme de lumière jetée par la presse et dans les réseaux sociaux sur le sujet européen. À l’avenir, il faudra que l’on continue de travailler à cette visibilité au travers des médias.
Pour donner un exemple, tandis que les États membres alimentent le budget européen avec des fonds nationaux, il y a 95 % de ce budget qui retourne dans les États membres, sur le terrain. Ce soutien de l’UE à l’égard d’un certain nombre de programmes n’est pas assez visible. On pense beaucoup aux gens qui partent avec Erasmus, mais on pense beaucoup moins à l’appui des fonds européens quand il s’agit de soutenir la formation des chômeurs, les tâches concernant les jeunes et les apprentis ou la garantie jeunesse qui vient soutenir les jeunes quand ils sont au chômage ou en inactivité. Cette question de la visibilité est donc quelque chose de très important et qu’il faut réformer.
De plus, je pense qu’il y a cette distance parce que l’UE telle qu’on la voit ne répond pas correctement aux besoins des citoyens. Moi, je ne me satisfais pas de l’UE telle qu’elle est maintenant. Je suis une fervente partisane de l’UE et je me bats pour qu’elle reste cohérente et qu’on ne la quitte pas, mais j’en mesure aussi les limites. Notamment, sur des sujets comme les questions de migration ou de respect de l’État de droit dans des États membres, comme en Hongrie ou en Pologne, on voit bien qu’il y a une absence de solidarité, le chacun pour soi finit par primer dans les gouvernements nationaux. Il faut qu’on soit beaucoup plus cohérents pour faire en sorte que la construction commune suive son cours et qu’on n’abandonne pas les valeurs et les principes de l’UE, parce que c’est ça qui répond aux besoins des citoyens.
LBB : Pour certains, l’Union européenne représente un outil de mise en compétition entre les peuples européens. Peut-elle au contraire servir à renforcer les solidarités ?
SG : Tout à fait ! Je comprends qu’elle puisse être perçue comme un territoire où la compétition s’exprime. Mais souvent, ceux qui expriment cette idée de compétition sont les mêmes qui considèrent qu’il faudrait retourner aux frontières nationales. Ils ont une idée de la protection des personnes qui est très archaïque : c’est la fermeture des frontières, c’est de faire en sorte que le commerce soit traité de façon complètement souverainiste. Ce sont les mêmes qui font de la simplification et qui sont les plus critiques.
Sans être béate sur les politiques européennes, je pense qu’il faut qu’on fasse savoir ce qui fonctionne bien mais surtout que l’on fasse mesurer tout ce qui permet de continuer le parcours de la construction européenne, sans oublier tous les progrès qu’elle a encore à construire. Ce que je veux dire par là, c’est que les risques de séparation, on l’a vu avec le Brexit, ils existent. Je pense qu’il faut qu’on acte en valeurs les réponses que l’UE est capable de formuler. J’ai cité les questions de solidarité comme la garantie jeunesse et les questions d’État de droit. Je voudrais que l’on mette cela en valeur.