C’était il y a un mois. Dans le lycée Ella Fitzgerald de Saint-Romain-en-Gal, près de Vienne, la gendarmerie a interrogé un élève mineur dans des conditions douteuses. Ce dernier distribuait des tracts pour appeler ses camarades à manifester le 22 mars. Chez les syndicats et dans le milieu militant, on dénonce une pression à l’encontre des jeunes cherchant à s’impliquer dans le mouvement social.
Le jeudi 15 mars aux alentours de 11 heures, au lycée Ella Fitzgerald de Saint-Romain-en-Gal, à côté de Vienne (38), un cours d’une classe de seconde a été interrompu par un membre de l’administration. Celui-ci a annoncé qu’un élève était convoqué par le proviseur. Sans autre précision, le jeune a dû quitter son cours. Sauf qu’il n’a pas été conduit dans le bureau du proviseur, mais dans une autre pièce de l’établissement, où l’attendaient… des gendarmes.
Pendant une quinzaine de minutes, le lycéen, mineur, a été laissé seul face à deux membres de la gendarmerie d’Ampuis (69), qui l’ont interrogé. « Aucun adulte n’est resté avec lui, c’est illégal », s’indigne Alexandre Majewski, secrétaire départemental Isère de la Fédération syndicale unitaire (FSU). La mère du jeune déclare n’avoir été prévenue qu’après coup. « Vers 11 heures 30, raconte-t-elle, j’ai reçu un coup de téléphone du proviseur, M. Cornut. Il m’a dit qu’il n’y avait rien de grave, mais que les gendarmes étaient venus parler à mon fils. J’ai été assez choquée ».
Les motifs bancals de l’interrogation
Le matin du 15 mars, avec quelques autres élèves, ils avaient distribué des tracts devant le lycée pour appeler à manifester la semaine suivante, accompagné·e·s de militant·e·s de la France Insoumise (FI). « La FSU était là pour veiller au bon déroulement, témoigne Alexandre Majewski. Le proviseur est sorti et il y a eu une discussion sereine, apaisée ». « Ces jeunes avaient déjà été repérés avant car ils avaient mis des affiches de la France Insoumise sur le nucléaire », explique Myriam Daval, militante FI à Vienne.
L’intervention de gendarmes à l’intérieur d’un lycée ne peut se dérouler sans l’accord du proviseur que si une enquête est en cours ou en cas d’insécurité. D’après M. Majewski, l’interrogation a eu lieu sous prétexte que les tracts distribués n’avaient pas de logo. Le lendemain de l’événement, le proviseur aurait affirmé aux syndicats qu’il ne s’agissait pas d’interroger l’élève mais de lui donner des informations sur l’organisation d’une manifestation.
Sollicitée par le Lyon Bondy Blog, la direction du lycée ne nous a pas répondu sur le sujet. Selon la mère, les gendarmes lui ont effectivement parlé, pendant l’entrevue, de la procédure de déclaration en préfecture d’une manifestation. Mais ils lui ont surtout fait part de « rumeurs » sur l’organisation d’une grève le 22 mars, à propos desquelles ils l’ont questionné. Ils ont également pris son numéro de téléphone portable et lui ont demandé « le nom de ses collègues ».
« Encourager ce genre d’engagement citoyen »
La famille a échangé avec le rectorat de Grenoble, qui aurait porté plainte contre la gendarmerie d’Ampuis. Contactés à plusieurs reprises, ni le rectorat ni la gendarmerie n’ont répondu aux questions du Lyon Bondy Blog. Selon Mme Daval, il y a eu « des remontrances du rectorat sur le proviseur ». La FSU, qui avait interpellé le rectorat et la sous-préfecture, suit l’évolution du dossier. Selon M. Majewski, le directeur aurait reconnu auprès des syndicats « qu’il avait fait une erreur ». Difficile pour l’instant d’avoir plus d’informations sur les suites. Le climat reste tendu : le 22 mars, alors que 6 à 8 élèves du lycée ont manifesté, une dizaine gendarmes était mobilisée. Face au mouvement social, dans les lycées mais aussi – et surtout – dans les universités, les autorités continuent de jouer la stratégie de la tension.
À Ella Fitzgerald, une pétition initiée par des enseignant·e·s a été signée par près de 130 professeur·e·s sur 170, d’après la famille. M. Majewski juge « honteuse » cette affaire d’ « intimidation ». « On devrait au contraire encourager ce genre d’engagement citoyen », déplore-t-il. La mère du jeune garçon affirme qu’il a été « beaucoup choqué, perturbé. Il a eu peur sur le coup. Mais heureusement, il est plutôt mature, tranquille ; ça va ». Si la volonté était effectivement de l’intimider, cela semble raté : le lycéen, loin d’être découragé, continue de s’engager pour ses convictions et s’est dit « remotivé ».