Safyr Sfer : « Ma musique est un lien social »

Rencontre avec Safyr Sfer, rappeuse de la région lyonnaise qui a commencé le RAP à 14 ans pour un morceau avec « Ana Dess » sur la compil « Faits et Méfaits ».  Pour la sortie de son EP Le bec et la plume, elle revient pour le LBB sur son parcours, son engagement dans l’éducation populaire et pleins d’autres choses. Découvrez une rappeuse engagée qui n’a pas besoin de le crier sur tous les toits. Rafraichissant.

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Tu disais que tu allais beaucoup à Paris et à Genève, mais pas Lyon ?

Non je venais pour des concerts, notamment Casus Belli. Je suis une grande amatrice de concerts, tout ce qui est boîtes de nuit ou clubs, je déteste. Mais je suis très festivals et concerts ça ne me dérange pas de devoir payer pour aller voir un artiste. Tout se passait à Lyon donc je me suis pas mal déplacée. (Tandems, Sinik, Casus Belli et beaucoup d’autres).

« Tout le monde te dit le rap et l’écriture c’est un exutoire. Non, c’est faux c’est pas un exutoire au bout de 10 titres tu ressasses ta peine »

Parle-nous de ton EP…

Concernant mon EP, c’est ma carte de visite/d’identité. Je voulais avoir quelque chose de travaillé à présenter, quelque chose de qualité, qu’on aime ou qu’on aime pas c’est propre à chacun, mais je voulais quelque chose avec un travail fourni et de la qualité, un mastering et un mixage présents. C’est pour ça que j’ai fait « Le Bec et La Plume ». J’étais une artiste très torturée, ma jeunesse n’était pas compliquée, j’ai jamais fumé ni bu d’alcool. J’étais un peu garçon manqué. L’écriture c’était mon délire, en cours j’étais derrière à écrire mes textes. Je faisais de la poésie, le rap c’est venu par hasard. J’avais une voix de bonhomme. On me taillait trop et ça me soulait, j’étais looké caillera et tout ça. Un jour on m’a dit : « Essaye de rapper à capella » et c’est bien sorti. La musique c’est comme un sport ça se travaille. Les chanteuses entretiennent leur voix. Si elles ne chantent pas pendant un an, elles perdent des octaves. On a tous un petit don de musicalité ou de groove dans la voix et je l’ai exploité. J’ai vu que je l’avais. Si ça avait merdé, je sais pas ce que j’aurais fait, mais ça a marché et je l’ai exploité en musique. J’étais très branché rap français, donc j’ai une culture rap US peu élargit. Moi, mon gars sûr c’est Tupac (rires). J’ai traduit tous ses textes malgré la langue. Mais j’étais plus rap français, j’ai eu ma période puriste, je le suis toujours, mais c’est différent. J’ai un œil artistique maintenant, je vois ça différemment. Je vais pas cracher sur les radios s’il faut passer par là. Avant, je n’aimais que le rap indépendant, donc j’ai évolué sur ça. Quand c’était la mode du Dirty quelques années en arrière, j’étais encore dans les instrus style acoustiques, style IAM. J’avais toujours un « train de retard ».

Maintenant que j’ai sorti mon projet, que j’ai fait des choses comme la première partie de Zaho, de Youssoupha, de Sefyu. Sans vouloir me la péter, ça reste quelque chose de conséquent sur le CV d’une rappeuse. Aujourd’hui j’ai envie de passer à autre chose. Comme je l’ai dit j’étais torturée sans jamais bédave, ni boire d’alcool, donc ma peine n’était pas masquée. Et tout le monde te dit le rap et l’écriture c’est un exutoire. Non, c’est faux c’est pas un exutoire au bout de 10 titres tu ressasses ta peine, c’est tout. C’est pas chanter le morceau qui va la faire partir. Huit ans en arrière je t’aurais dit je fais du rap, car ça me soulage. Ça me soulage pas. J’ai parlé de toutes mes souffrances, de tortures et d’écorchures dans le Bec et la Plume. Ça m’a peut-être fait du bien, mais aujourd’hui le rap, c’est pas tout le temps de la peine. Avant je disais « Si un jour j’ai plus d’inspi c’est qu’un homme m’aura comprise ». Je pensais que si tout allait bien, je n’aurais plus d’inspi. J’ai connu la vie de couple, le mariage, le divorce… Je ne suis plus malheureuse, mais j’ai toujours des choses à dire. Au lieu de parler de moi, je parle des autres maintenant.

 

« Je suis une militante de l’éducation populaire »

L’écriture n’est pas un exutoire, mais c’est quand même un cheminement. Ça doit aider quand même ?

Ça aide à se réaliser. J’ai aussi un œil extérieur, je suis animatrice de quartier, de proximité. J’ai fait un choix par militantisme, je ne travaille qu’en zones classées, ZUP, etc., car le travail n’est pas le même, bien plus enrichissant de manière personnelle. Car je suis une militante de l’éducation populaire. J’ai mon « BPJEPS » (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et du Sport). J’aimais pas l’école, mais en BPJEPS, j’ai approfondi les questions d’éducation populaire et de lien social. C’est quelque chose que je relie à ma musique. Ma musique c’est du lien social. Et j’ai compris avec mes jeunes ados (14 -18 ans) que chacun se réalise par quelque chose (danse, sport, etc). Moi je me suis réalisée à travers le rap, et c’est surement ça qui fait qu’aujourd’hui je vais mieux. J’assume tout. Je suis bien et c’est majoritairement grâce à l’élaboration de mon CD.

Justement, ton EP représente combien de temps de travail ?10743517_10152801659527184_331510148_n

C’est allé vite. J’ai l’écriture facile. Avant je me focalisais sur la feuille blanche, mais j’ai compris que la feuille blanche, tu ne l’avais pas si tu savais explorer tous les aspects de la vie. Pas besoin d’être déprimé pour écrire ou dénoncer des choses. C’est pas quelque chose que je faisais quand je l’étais. Je dénonçais pas des choses, je pensais qu’à moi, qu’à ma peine d’une manière égoïste en quelque sorte. Alors j’ai fait mes sons, y’a surtout à force d’effort que j’ai retravaillé pour l’EP. J’ai commencé à bosser dans le pays de Gex avec un gars à moi qui s’appelle Baptiste, ingé son qui a ouvert un label et qui est aussi rappeur, avec un groupe qui s ’appelle « Zaede ». Un jour il m’a dit : « C’est l’heure, j’ai un studio, je vais te faire réaliser ton CD ». De par la suite, mon beatmaker qui s’appelle Sir Ghost, aka Raphael, m’a produit toutes mes instrus sauf deux qui ont été produites par « Knaidmingu ».

Donc l’élaboration du CD s’est faite comment ?

Je trouvais ma « prod », j’écrivais dessus et je peaufinais. Je savais que mon beatmaker/rappeur portait un bon regard extérieur. J’ai besoin d’être coachée. Je suis quelqu’un de ponctuel, mais je sais que je peux vite déborder. J’ai besoin d’être guidée. Un son que je commence à deux heures du mat, je vais pas me coucher tant que les refrains et couplets sont pas posés et calés sur les mesures. Même si le lendemain ça risque de pas me plaire et que je dois recommencer. Mais au final c’est allé vite. Le morceau « La Prose des Sables » je l’ai buté en une nuit en One shot, et c’est mon morceau préféré. Je savais dès le début que le projet s’appellerait « Le Bec et La Plume », c’est le destin qui a fait les choses bien. Parfois, j’aime bien trouver des titres à mes sons avant d’écrire les sons. Par exemple j’ai un morceau qui s’appelle « Matriarche », je savais le nom et j’ai écrit en fonction. J’ai écrit Le bec et la plumed’une manière technique, à un moment je rappe doucement, je chante et je rappe vite. J’ai voulu mélanger les styles.

Sur tous les morceaux que tu écris, tu n’utilises pas toujours le même procédé ?

Non, mais j’écris toujours avec une instru.

« J’ai les mêmes amis depuis le bac à sable »

Tu pars sur des thèmes que tu veux vraiment aborder ou ça vient comme ça ?

Le bec et la plume, c’était un ramassis de souffrances mises sur CD, Guerrière c’est guerrière. Avec « La prose des sables », je savais pas trop ou je voulais en venir. Je me sentais comme une marginale et c’est de là que c’est parti en rapport avec la rose des sables, dans le désert qui est quelque chose de rare et seule.

Tu parlais de la production de cet EP, combien de personnes y ont participé ?

Baptiste, Raphael, Canaille, Romain aussi qui était avec Batpiste, Sylvain. J’ai eu un guitariste aussi, toutes les phases à la guitare dans mes instrus ont été faites à coté en acoustique. On va dire 8 personnes. Mais y’a aussi du montage au pressage. Il y a aussi les gens du mastering à Paris, Crystal Studio. Ca fait 10 en tout.

Sur les prochains que tu sortiras, tu souhaites fonctionner comment ? Auto-prod ou la même équipe ?

J’ai les mêmes amis depuis le bac à sable. Je suis pas une femme à conflits. Ne me fais pas de coups de travers, car moi je t’en ferais jamais. Je travaillerai avec les mêmes. Baptiste à sa carrière aussi, donc j’ai mes collègues à Lyon avec qui je travaille, et j’ai déjà une idée de ceux avec qui je voudrais travailler. A l’heure actuelle j’aimerais signer, pour avoir un financement. Ça me faciliterait beaucoup de choses. Je suis prête à travailler mon image, du moment qu’on fait pas de moi une p***.

Ce dont j’ai besoin c’est d’être entourée, avec un coaching des idées nouvelles. J’aime partager, c’est comme mon métier. Même si y’a pas de billets, je m’en fiche. Signer pour moi c’est intégrer une équipe.

Sur le rap à Lyon quelles sont tes influences ? Ceux avec qui tu voudrais bosser ?

Pour moi l’artiste le plus réalisé et qui me plait le plus c’est Sang-Pleur, qui vient de sortir son album « Cauchemar Africain », selon moi c’est du travail d’orfèvre. C’est le plus visible en terme de projet, tu veux le suivre tu peux tout de suite, tu sais ou il va. Je le trouve bon et doué, en plus de cela il apporte beaucoup de choses.

Tu disais que tu étais animatrice en zones classées, comment à ton avis cela peut-il être complémentaire avec ta musique ?

10752010_10152801659537184_215056568_nC’est tout simple, quatre ans en arrière je suis arrivée dans mon centre, je n’y travaille plus actuellement suite à une rupture conventionnelle du contrat pour des raisons de militantisme. J’ai pris mes jeunes, pour qui j’ai beaucoup d’amour et d’affection, je faisais le soutien scolaire en 35h, les mercredi et samedi. Pour l’anecdote j’aurais dû être éducatrice de prévention, mais par conscience politique, j’ai décidé de ne pas l’être pour ne pas bosser avec la police, les préfets, etc. Je ne veux pas avoir de comptes à rendre à la justice. Hors de question. Je suis pas ce genre d’éducateur prêt à balancer des mères de famille qui risquent de se faire retirer la garde de leurs enfants. Je ne veux pas être responsable de ça. Je faisais le soutien scolaire le mardi et le jeudi, des dictées, etc. Parfois je leur dictais des sons de rap, du genre Demain c’est loin d’IAM. C’est difficile dans l’animation et le social de mixer ça avec l’éducation nationale. Ils veulent pas de nous, ou sauf le vendredi à 15 h 30 pour éviter qu’ils se mettent des coups de couteau ou pour que j’aille faire le guet devant le collège. J’ai refusé.

 

Ensuite je me suis mis dans un projet qui s’appelle le Printemps de la Jupe, j’ai bossé avec leur équipe. J’ai pris une équipe de femmes, car dans mon centre les femmes ne venaient plus. Je leur ai dit comment ça allait se passer, à savoir on va partir à Paris pendant 4 jours pour des découvertes culturelles. On va aller au musée Grevin vous allez voir Diam’s, on va se balader en bus touristique. Ca a créée un raz de marée dans le quartier tout le monde est venu en me disant « t’es folle nous on bouge jamais ! » Ce à quoi j’ai répondu « vous allez partir un jour, t’inquiètes ! ». Je suis allé manger avec les parents pour les convaincre. Nous sommes parties pour le Printemps de la Jupe. Je leur ai dit maintenant on va faire du rap. On a écrit. Chacune a fait son couplet, je leur ai dit de parler de leur vie pas des flics et politique, sans gros mots. Elles ont fait comme ci elles parlaient à leurs frères et on a enregistré le son avec Mister O, meilleur ingé son de la région de Lyon. Ce son-là a été présenté au Printemps de la Jupe et il est même devenu le refrain/slogan officiel du Printemps de la Jupe en France. On a présenté ça au CCO de Villeurbanne et tous les gars ont validé suite à cela. Tout s’est bien passé. Après j’ai pris les gars pour un atelier d’écriture pendant les vacances et eux par contre je leur ai fais faire un clip. Et c’est mon collègue qui a tourné les clips de la Razzia, qui est un grand militant. Il est animateur audiovisuel, et le clip qui s’appelle « Ego-Trip » Basse Barolles. Clipé pendant des vacances et présenté à l’Assemblée générale. Les gamins se sont impliqués et c’était le but. Il faut qu’ils arrêtent de penser qu’ils sont des cancres, car ils ont écrit des supers trucs et ils sont tous doués. Leur estime de soi a augmenté suite à cela. Du moins en français.

 

L’animation c’est quelque chose que tu mets en avant dans tes textes ?

Non. Mon engagement politique est dans ce que je vis. Je ne suis pas la gauche caviar. La politique m’a saoulé. On m’a proposé de devenir agent territorial et j’ai refusé, car cela implique de passer de l’autre côté de la barrière. On pourrait péter des câbles sur des trucs. J’ai vu les barres de la Duchère tomber, ils ont dit avoir relogé tout le monde, mais c’est faux. Des grands-mères arrivées depuis la guerre d’Algérie n’ont même pas été relogées. Je suis comme ça depuis l’enfance, en rébellion, je ne changerai jamais de métier. Si jamais c’est le cas ce sera pour bosser avec des SDF, dans des assos type resto du cœur, être sur le terrain. On m’a proposé des plans en Suisse, mais je ne bougerai pas de la France, car c’est la merde et je préfère m’occuper des petits qui sont là. Je me fous de l’argent. Et pourtant je galère. J’aimerais partir en Afrique, mais y’a des choses à faire ici actuellement.

On va poser la question rapidement, tu penses quoi du fait d’être une femme dans le rap ?

Je le dis souvent, sur une scène, si y’a dix personnes qui chantent et une meuf, tu vas pas te souvenir de tout le monde, mais tu vas retenir qu’il y avait une seule femme sur scène. Donc il faut qu’on travaille, pour être fortes, comme dans le sport. Je trouve pas que c’est un inconvénient, mais j’ai été stratège dans les maisons de disques. Je voulais qu’ils posent mon CD sur la table et qu’ils se disent que c’est pas du rap. Mais être une femme dans le rap c’est cool, les hommes galèrent autant que moi. L’avantage c’est qu’on se souvient de moi, quoi que je fasse, le bon comme le mauvais.

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C’est quoi la suite du coup ?

Continuer à promouvoir Le bec et la plume tant qu’il fait de l’effet, il est sorti début 2012. Il est disponible sur toutes les plateformes de téléchargement, 3,99 € sur iTunes, Deezer, fnac.com et sur mon site web www.safyrsfer.com. Je suis allé prendre des instrus de Casi Vitti, un bon beatmaker. Explorer des nouvelles choses, trouver une équipe se serait bien, mais je continuerai même si je ne trouve personne. Je vais pas dire que je pars tout de suite sur un album, mais là j’ai des morceaux, au moins cinq, qui vont arriver. Et je vais aussi faire des visuels et des clips. J’ai déjà clippé Le Bec et la Plume mais maintenant j’aimerais clipper chaque morceau même si c’est des street clips. Ça fera augmenter mes vues sur YouTube. Et ça se développe pas mal depuis quelques années. Et si les médias peuvent m’appeler pour interviews, participer à des projets, festivals, etc. pas de problèmes pour moi. J’ai un show ficellé de A à Z pour le Bec et la Plume, j’ai répété un an et demi pour la scène donc je peux le présenter sans soucis.

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