Révolution tunisienne: Et demain?

Les évènements de Tunisie se sont rapidement enchaînés. Après l’instantanéité des analyses qui se faisaient jour après jour. Les pronostics sont nombreux.

Pour certains, le plus dur a été fait, à savoir chasser le dictateur et le clan au pouvoir. Pour d’autres, rien n’est finit, il faut encore constituer un gouvernement et poursuivre le processus démocratique, purger l’administration et l’économie. Nombreuses donc sont les questions. Mais sans doute faut-il du temps pour qu’une révolution, spontanée qui plus est, puisse arriver à son terme En claire, il faut du temps au temps. La démocratie est un processus propre à l’histoire de chaque pays, évoluant par tâtonnements.

Pour ma part, je voulais en savoir plus sur ce qui s’est passé mais surtout sur ce qui pourrait se passer. Le vent de révolte qui souffle dans le Monde arabe tend à éclipser ce qui se déroule en Tunisie.

Lundi soir à Lyon 3 une conférence était organisée sur le thème « La Tunisie aujourd’hui, et demain ». L’intervenant est un invité de marque, Cherif Ferdjani, professeur de Science politique à Lyon 2 et opposant au régime de Bne Ali, qui a connu les geôles de la dictature. Lorsque j’entre dans l’amphi Malraux, situé à la Manufacture des Tabacs, je constate que je ne suis pas la seule à être en quête de réponses. La salle est comble, des étudiants pour la majorité. Certains sont assis sur les marches. Les organisateurs sont obligés de refuser l’entrée aux retardataires, pour des raisons de sécurité.

Loin des cours classiques et théoriques, Cherif Ferdjani raconte parfois avec humour, le glissement du régime de Bourghiba vers le despotisme de Ben Ali, n’hésitant pas à tourner en dérision les paradoxes de la dictature. « Le mouvement qui s’est déclenché en Tunisie réclamait du travail, de la liberté, de la dignité ».

Entre les mains d’un clan agissant comme une mafia au pouvoir, près de 40% de l’économie tunisienne était possédée par les familles Ben Ali mais surtout Trabelsi, avec à la tête de ce système de corruption, l’épouse du président : « Pourquoi tout le monde a cru Ben Ali ? Parce qu’on nous vendait Ben Ali comme étant une barrière contre l’islamisme. Il a commencé à vendre cette idée aux Tunisiens eux-mêmes. Je me souviens, on était en prison quand il est arrivé à la tête de la Sûreté de l’Etat. C’était en 1977, la Tunisie connaissait les premières grèves générales depuis l’Indépendance. Il était complètement inconnu à l’époque ».

Les intrigues et l’ascension des arcanes du pouvoir, à la manière d’un Staline, lui ont permis de se retrouver en premier plan et de déposer le président Bourguiba, à travers un « coup d’Etat médicale » en 1987. Dès lors, l’emprise devient totale. Toute contestation devient impossible, le parti-Etat, le RCD, est présent dans toutes les sphères sociales : « Même dans les villages les plus reculés, vous trouverez toujours ces trois institutions : l’école primaire, le planning familiale et la cellule du RCD » indique Cherif Ferdjani.

Le début de la contestation, l’immolation par le feu d’un jeune chômeur diplômé obligé de vendre des fruits à la sauvette pour survivre :

« Il y a deux ans, il s’est passé exactement la même chose. L’emprise de la maffia au pouvoir sur la vente à la sauvette avait provoqué le suicide d’un jeune vendeur. La contestation avait durée plusieurs mois. Cette fois-ci, la cherté de la vie qui n’était pas aussi forte il y a deux ans, a fait que la contestation s’est étendue dans le pays en moins de deux semaines. Internet et les réseaux sociaux ont permis de diffuser l’information. Les premières réactions du régime furent la répression et un discours qui condamnait « une minorité de terroristes ». Cela a engendré une politisation du drame. Ensuite Ben Ali est devenu la revendication principale».

 

« Ben Ali dégage » : c’est ce que les Tunisiens descendus dans l’avenue Bourguiba (les champs Elysées de Tunis),  après le discours de renoncement du pouvoir prononcé beaucoup trop tard, selon le Pr Ferdjani : « Il y a avait déjà eu des morts. S’il avait dit cela avant, la contestation se serait arrêtée. Le deuxième discours devait calmer la situation avec la mise en place d’une commission d’enquête sur la corruption et sur la mort de manifestants ». La rage avait dépassé la peur.

Se pose un ultimatum du Général Amar : « Vous avez jusqu’à 15h pour partir, après cela, je boucle l’espace aérien. L’armée a joué un rôle salutaire en refusant de tirer sur les manifestants, puis pour déloger à Carthage les snipers de la Garde nationale et a appelé la population à s’organiser pour assurer la sécurité ».

Aujourd’hui la situation n’est toujours pas stabilisée. Ce mouvement démocratique est menacé par plusieurs tendances. Tout d’abord, « la dépolitisation du discours qui est tiré par le bas par des revendications corporatistes. Que faire de tous les policiers de la Garde de Ben Ali ? ».

Ensuite, l’ancien parti-Etat, qui a encore des soutiens dans l’intérieur de la police, « résident des policiers véreux qui poursuivent des pratiques de tortures, énervent la population  et créent de l’agitation. Un  commando de policiers a récemment pénétré dans le bureau du ministre de l’Intérieur qui avouera lui-même qu’il n’a pas le contrôle de la situation. Le directeur de la Sûreté a été remplacé par un général. Le gouvernement n’est pas homogène, il y a des membres de la société civile, différents partis politiques dont des membres du RCD, l’ancien parti au pouvoir ».

Enfin, les islamistes incarnés entre autres par Rachid Ghannouchi . « Les imams ayant collaborés avec Ben Ali  ont été remplacés par des islamistes. Certains imams ont été chassés. Les islamistes annoncent qu’ils ne sont pas candidats aux présidentielles, ni même aux législatives. Ils préfèrent œuvrer dans les mosquées et se constituer en réseau ». L’islam politique n’était pas un modèle unique, proche du radicalisme politique d’Al Quaïda. Par exemple peut-on comparer   l’Ennahda de Ghannouchi à l’AKP au pouvoir en Turquie qui se revendique d’un islam politique dans un Etat laïque. Il existe donc des variantes propres à chaque société.

Quant à l’avenir politique de ses mouvements : « Avec un régime à la proportionnelle, tout le monde est obligé de composer avec tout le monde » conclue Cherif Ferdjani.

 

Rafika Bendermel

La rédaction

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