Depuis bien longtemps est véhiculée l’idée que les « peuples arabes » ne peuvent être gouvernés que par des dictatures. La démocratie, idéal à atteindre, est de plus en plus proche à en croire certains responsables politiques. Réda nous propose d’ouvrir les yeux le temps d’un article.
Là aussi, entre l’Egypte qui joue le rôle d’arbitre régional et qui reconnaît officiellement à Israël le droit de se défendre des «attaques» palestiniennes et l’Algérie qui, pour reprendre les propos de feu Houari Boumediene est : «pour les Palestiniens qu’ils aient tort ou raison» le point commun n’existe pas. Pas plus qu’il n’existe entre la Tunisie, relativement neutre et le Royaume du Maroc qui a une position pour le moins modérée à ce sujet.
La dictature, reste la seule réponse plausible si l’on s’en tient à la communauté des révolutionnaires du «2.0», aux analyses des journalistes et autres politologues. Sur ce point également, au risque de réfuter 90% de la communauté de Facebook, les situations ne sont pas les mêmes. Le champ audiovisuel est plus libre au Maroc sous réserve que l’on ne porte atteinte au Roi Mohammed 6. Alors oui, ce n’est pas la France mais ce n’est pas non plus la Tunisie! Il y a des syndicats et des associations très présentes et ce, beaucoup plus qu’en Algérie ou dans la Tunisie de Ben Ali.
Aucun pays arabe et même la Tunisie de l’après Ben Ali ne possède une presse aussi libre et virulente qu’en Algérie. Il y est fait état régulièrement d’affaires de corruption impliquant de hauts responsables. Les journalistes algériens enquêtent et dénoncent des scandales tels que celui de l’autoroute Est-Ouest mettant en cause le ministre des Transports M. Ghoul ou encore celui de Sonatrach avec l’implication de M. Khellil, l’ex –puissant ministre de l’Energie et des Mines. De même, qui n’a pas débattu librement dans un café de ses opinions sur la politique menée par Abdelaziz Bouteflika. Pour ou contre, là n’est pas le sujet. On peut le faire sans risque d’être arrêté ou emprisonné pour 10 ans. L’Algérie n’est donc pas la Tunisie ou l’Egypte. N’en déplaise à ceux qui souhaitent absolument faire des rapprochements et appeler à la révolution.
Certes, les progrès à faire sont énormes pour que ces pays se dotent d’institutions fortes, d’une justice impartiale et d’une société civile responsable. La place des femmes n’est pas encore à la hauteur de ce qu’elles peuvent apporter à leur peuple. La corruption est là, insupportable et présente de l’Atlantique à l’Euphrate. Les injustices, les inégalités, les clans existent et personne ne peut le nier. Tout le monde souhaite la démocratie dans ces pays mais il convient néanmoins de ne pas tirer de conclusions manichéennes ni d’établir des analyses farfelues. Laissons le peuple décider de son avenir car la malhonnêteté intellectuelle est en soi, une forme de corruption de l’esprit.
Il est tout aussi tentant de se servir de ces formidables réseaux sociaux informatiques pour appeler à la révolution ou crier sa soif de liberté. Tout le monde se donne le rôle d’Emiliano Zapata ou de Che Guevara. Seulement, il y a quelques années, voire quelques mois, personne n’évoquait la terrible dictature policière du régime de Ben Ali qui existe depuis 23ans. Les faits étaient connus mais chacun préférait passer d’agréables vacances à Hammamet. Personne n’évoque non plus la situation en Egypte qui est certainement pire que celle qui existait sous Ben Ali. Les plages de Sharm el-Sheikh sont sans doute plus douces et dégagent une odeur que les rues crasseuses du Caire ne sauraient offrir.
Il est toujours plus courageux de dénoncer ce que tout le monde sait en se cachant derrière son écran, au chaud, dans le confort de Montréal, Lyon ou Paris. Le reste se passe sur le terrain. Le reste, c’est Bouazizi, lui, le simple marchand de fruits et légumes, le noble tunisien qui n’a pas attendu les «révolutionnaires du net» ou les médias pour s’immoler. Ainsi, à l’inverse de ce que relaient la plupart des médias, Facebook ne crée pas la révolution, elle la met en lumière et l’amplifie.
Ces mêmes médias ont-ils d’ailleurs osé informer l’opinion publique sur ce qui se passait en Tunisie lors de la visite du président de la République française Nicolas Sarkozy en 2008? Les médias du monde entier ont-ils évoqué, lors de la visite d’Obama, chantre de la démocratie, le terrible autoritarisme des Pharaons Moubarak? Jamais. Les Tunisiens le savent, les Egyptiens aussi.
L’hypocrisie est donc aussi de mise chez les responsables politiques. Nicolas Sarkozy, toujours lui, évoquait en 2008 : « les espaces de liberté avancent en Tunisie» et Dominique Strauss-Kahn en sa qualité de président du FMI félicitait Ben Ali pour la pertinence de sa politique économique : «La politique économique qui est conduite est saine et je pense que c’est un bon exemple à suivre pour beaucoup de pays émergents». L’éminent docteur en économie n’a pu ou voulu analyser objectivement la situation. Ce que le jeune chômeur Bouazizi, armé de son bon sens, a brillamment fait.
En définitive, c’est le peuple qui décide et non les donneurs de leçons d’où qu’ils viennent. La rue arabe est maîtresse de son destin et le point commun est peut-être là, ici, dans ce que les commentateurs sont incapables de dire. Dans ce que les opinions publiques ne peuvent mettre en lumière sauf après-coup. De l’hypocrisie des responsables politiques et économiques, naîtra toujours la voix assourdissante d’un opprimé, d’un malheureux porté par un idéal pour son peuple. L’écho de la voix du pauvre qui crie son désespoir aux pseudo-intellectuels sera toujours, in fine, entendu. C’est lui, l’analyste, c’est lui, le commentateur, c’est lui, le révolutionnaire.
Auteur : Réda Kaboura