Quand on vous parle du rap français, qu’est ce qui défile dans votre tête ? Pour beaucoup, ce sont les classiques des années 90’S, ceux dont Super Freak (Frank Haderer), a déjà tenté de rassembler exhaustivement sur Grünt. Certains les comparent aux « nouveaux poètes du 21e siècle ». Parmi les multiples descendants du hip-hop, certains on choisit d’être porteurs de projets, producteurs et écrivains : c’est le Wolf Crew Record (WCR). Le LBB est allé à sa rencontre sur les quais de la Guillotière, le 28 novembre dernier.
L’un est grand, rasé à blanc sous sa casquette, il s’appelle Nico. Le second, plus petit avec une mèche, en sweatshirt noir imprimé d’un profil WCR, c’est OD. Loin du duo Laurel et Hardy, leur 3ème comparse, Kejtil , manque à l’appel du journaliste, mais jamais à celui de sa meute. Ces trois jeunes hommes, respectivement en école d’infirmier, assureur et en école de communication, mettent sur pied une association de production musicale gratuite.
Lyon Bondy Blog : C’est quoi le but du WCR (Wolf Crew Record) ?
Nico : C’est de donner la parole à ceux qui n’y on pas accès, qui ne peuvent pas se payer une séance d’enregistrement au studio. C’est de proposer la production de projets musicaux gratuitement. Ensemble, en mettant en lien plein de connexions, y compris celles qu’on a construites via des associations internes d’artistes comme Unis-Vers 3.0.
Le but premier est de faire un réseau pour l’instant ?
Nico : Oui voilà. C’est vraiment pour créer des réseaux et des connexions. Rassembler un grand groupe de personnes qui puissent partager leurs compétences et construire des projets ensemble, dans les mêmes milieux musicaux. La gratuité de notre démarche amène le principe du partage. On a investi dans le matériel petit à petit. Au fur et à mesure, on a constaté que ce qu’il manque à beaucoup de gens, c’est un rendu. Nombreux sont ceux qui n’ont pas les moyens d’investir dans du matériel, ce qui leur permet d’avancer aussi ! C’est important dans ce sens-là de pouvoir partager, savoir écouter, avoir un retour. Avancer ensemble, c’est important. C’est pour ça qu’on ouvre ça à tout le monde.
Comment est née votre association ?
OD : Un gros joint de cannabis (rires). C’est né un peu au pif. J’ai rencontre Nico et Kejtil il y a cinq, six ans. On a grandi dans les mêmes quartiers, près de Grenoble. Kejtil et Nico ont pris l’association en main en commençant à faire du son et j’ai rappé avec eux petit à petit. De fil en aiguille, de pote en pote, ça a pris de l’ampleur. Un jour ils m’ont dit : « mec, l’association prend son envol, on commence à faire des connexions, du bruit, tu veux participer ? » Ils m’ont filé des libertés, mais ce sont eux qui ont tout géré. Moi j’ai rien à dire là-dessus, alors je venais juste pour passer du bon temps, faire des Freestyles, pendant des après-midi ou des soirées.
Qu’est-ce que vous diriez à un⋅e petit⋅e jeune qui commence à écrire ?
OD : Fais voir !
Nico : Si tu aimes ça, il faut que tu le vives et il ne faut pas tout de suite penser à la rentabilité. Il faut vraiment le faire par passion. Faut s’ouvrir pour avoir les retours. Qu’il passe par le Wolf Crew s’il a besoin d’une rampe de lancement on sera là. Si il ou elle est majeur⋅e et sérieu⋅x/se surtout ! (Rires)
Et là, vous avez déjà une interface, un site ?
Nico : On à la page Facebook du Wolf Crew Record, c’est vraiment ce média social qui marche bien pour l’instant. On est en conception d’un site internet.
OD : Puis on va se diversifier au fur et à mesure pour tout ce qui est du staff, une fois qu’on aura une petite équipe, on pourra se permettre d’actualiser.
Nico : Ça représente pas mal de travail, donc pour l’instant on fait pas à pas, mais on a déjà une vidéo de présentation qui marche bien. On s’est mis face caméra et on à essayé de présenter nos activités en une matinée et ça a bien marché. Ça a intéressé des gens qui sont venus travailler avec nous, comme Hugo Solomando et Univers 3.0. On a aussi ouvert un concept qu’on aime bien qui s’appelle « les incrustes » : ce sont les personnes qui viennent enregistrer des projets au studio. On fait une petite vidéo et eux font un petit Freestyle, et ça donne un rendu de ce qu’on a fait pendant l’enregistrement. Sinon on fait des petits articles : j’en ai fait un sur Univers 3.0, on va interviewer des producteurs, des artistes, des fans tout simplement. Voilà on essaye de se diversifier le plus possible. On a fait de très belles rencontres.
Production musicales, écriture, communication, vous êtes des touche-à-tout ?
Nico : Touche-à-tout, vraiment.
Pourquoi s’être lancé dans l’écriture ?
OD : C’est marrant, parce que l’écriture c’est très personnel. C’est un outil qui permet d’exprimer beaucoup de choses : ce que tu pense, ce que tu ressens et ce dont tu as envie. Si j’écris quelque chose, c’est que je sais que ça va être entendu et j’ai besoin quelque part de savoir que ce que je dis soit reçu, traverse les auditeurs. J’ai le souhait qu’en écoutant mon son les gens se disent « lui, il a du plomb dans la tête », « il ne fait pas de l’auto-tune, ni de refrain commercial ». « Ça tire en bas de chez moi, on roule tous en Ferrari », tu vois ça n’as rien à voir ! Je n’ai pas non plus envie de faire du rap conscient, ce n’est pas « conscient ». Je n’aime pas ce mot, le rap « conscient ».
Qu’est ce qui ne va pas avec ce mot ?
OD : C’est une catégorie qui ne me va pas. Je suis inconscient mais je suis conscient, c’est ça qui est marrant. Quand j’écris, je ne te mens pas, je suis dans des états lamentables ! Bon, je sais me tenir mais j’ai bu un coup et je suis défoncé. Je prends un cahier, je prends un stylo, parfois mon portable, et je peux écrire de minuit à 6 heures du matin.
Juste avec deux whiskeys ?
OD : Deux whiskeys jusqu’à 6 heures du matin. L’instru (« instrumentale », ndlr), je la passe en boucle, je lis et relis ce que j’ai écrit et ça sort tout seul. Puis il arrive un moment ou tu te dis « ben il est peut-être temps de le partager ». J’ai commencé à écrire il y a 4 ans avec mon meilleur ami. On a écrit pendant une petite année et je l’ai perdu dans un accident. J’ai fait une pause pendant deux ans. Pendant ce temps-là, j’ai vécu pas mal de choses pas faciles, que les gens vivent au jour le jour : un divorce, un décès, mais qui ébranle pas mal. Ce sont des moments qui te font voir le vrai visage des gens. C’est la période entre tes 16 et 20 ans où tout le monde éclos, prend ses marque. Tu te rends compte qu’avec certains, on a beau commencer sur le même chemin, celui qu’on prend à l’instant « T » n’est plus le même. Tout ça m’a poussé à écrire de nouveau. Toutes ces épreuves, je les mets en commun sous ma plume, et un truc personnel comme un texte devient une nouvelle connexion.
L’écriture serait la seule chose qui ne te trahit pas ?
OD : ça ne trahit pas et les écrits restent. Si je dois mourir demain, au moins j’aurais enregistré des trucs. On se dira « c’est lui qui l’a écrit, c’est lui qui l’a fait ». J’ai souvent un feutre sur moi et partout où je passe, je pose ma signature. Pour mes 18 ans, je suis allée à New-York, sur le pont de Brooklyn et j’ai signé. Peut-être que tout le monde regarde et personne sait ce que c’est, mais moi je sais ce que c’est. Si quelqu’un de mon entourage passe, il sait aussi ce que c’est. Je fais ça tout le temps, laisser des traces. Regarde autour de toi, regarde les graffitis, dans des endroits où ce n’est pas remis à neuf, ça peut rester là 30 ans, 40 ans, voire bien plus.
Quel est le genre de trace que tu veux laisser si jamais tes écrits ne tournent pas ?
OD : Moi je suis sûre que ça va marcher déjà. Si je pars en me disant « ça marchera pas », ça ne sert à rien. J’ai un objectif, je ne dis pas que demain j’ai envie de percer et de me retrouver sur YouTube avec des millions de vues, j’en ai rien à faire de ça. J’ai envie d’être en vacances dans le sud et qu’un pote dans le nord me dise « mec, ton son, il est lourd ». S’il me dit ça, c’est qu’il a passé mon son en soirée et demandé à des gens ce qu’ils en pensaient. C’est une des traces que je veux laisser mais ce n’est pas la seule ! J’ai envie d’avoir une famille, un patrimoine, des appartements, rentabiliser, avoir des revenus : je ne suis pas con non plus ! (Rires) Je ne peux pas compter que sur le rap, c’est impossible ! Mais franchement si je peux me faire un kiff pendant une année, ça serait ouf.
Vous avez déjà des recrues en tête ?
Nico : On reçoit de messages de personnes qui nous envoient des sons tout les jours. On essaye de faire des réunions, des événements, comme avec Selma de Unis-Vers 3.0. De toute façon, si on ne travaille pas sur un projet, c’est qu’il y a un problème. On est obligé de faire quelque chose tellement il y a matière à travailler. On n’a pas des studios de fou mais on assure une prestation gratuite. Tu viens, t’enregistres, on travaille dessus comme on l’a appris et après ça te fait ta première maquette. On travaille pour les gars qui cherchent à se faire connaître, pas encore pour les gros bonnets. On se considère plus comme une rampe de lancement pour les débutants sérieux, pour qu’ils aient un bagage en main dès qu’ils parlent de leur projet. Quand ils se présentent quelque part et disent « je rappe », ils auront un truc à sortir quand un producteur lui dis « fais écouter, fais voir ». Là on met de l’audio et de la vidéo, ça permet une meilleur qualité.
OD : Plus il y aura de groupes, plus on fera de connexions, et ainsi de suite.
Nico : Ce qui est génial c’est qu’on on les rassemble, lors des incrustes, et c’est effervescent. C’est aussi important d’organiser des moments comme ça, hyper conviviaux, où des gens qui partagent la même passion peuvent se rencontrer.
Propos recueillis par Eve Sauzeau
Depuis cette interview en novembre dernier, le WRC a organisé trois open mic, au Graine de Star Comedy Club, 197 Rue Francis de Pressensé, à Villeurbanne. Un quatrième est en préparation pour le 21 mars 2019, au même endroit à 19 heures, pour encourager la découverte de nouveaux talents musicaux.
Si vous désirez les découvrir plus rapidement, un évènement est prévu le 28 février au Blogg : https://www.blogg-cafe.com/events/jeudi-so-good-soiree-wolf-crew-record
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