Quand le gouvernement marche sur la tête…

La croissance du PIB de la France pour 2013 reste un sujet de dissensions entre le gouvernement et les économistes. Le premier maintien, officiellement, sa prévision d’une croissance faible mais positive de 0,8%. Il a fondé le calcul de son budget sur cette prévision. Officieusement, un certain nombre d’officiels admettent, en privé et sous réserve de ne pas être cités, que l’on sera « quelque part » entre 0,5% et 0,3%. Ceci est cohérent avec les calculs réalisés par diverses institutions.

sur la teteLa croissance du PIB de la France pour 2013 reste un sujet de dissensions entre le gouvernement et les économistes. Le premier maintien, officiellement, sa prévision d’une croissance faible mais positive de 0,8%. Il a fondé le calcul de son budget sur cette prévision. Officieusement, un certain nombre d’officiels admettent, en privé et sous réserve de ne pas être cités, que l’on sera « quelque part » entre 0,5% et 0,3%. Ceci est cohérent avec les calculs réalisés par diverses institutions.

 


Prévisions pour  2013

FMI (oct 2012)1 0,4 %
OCDE (mai 2012) 1,2 %
Gouvernement (sept 2012) 0,8 %
Consensus (oct 2012) 0,3 %

On peut déjà noter qu’un réajustement a eu lieu entre les prévisions de l’OCDE ou de la Commission Européenne, qui datent de ce printemps, et celles du FMI (publiées en octobre mais faites fin août et début septembre) et enfin du « consensus des économistes », réalisées au début du mois d’octobre. En réalité, on constate que plus tardive est la prévision, plus mauvais en est le résultat. Cela n’a rien d’étonnant, la France étant clairement sur une pente d’entrée en récession. Les derniers résultats impliqueraient que, sans mesures fiscales supplémentaires, mesures qui sont pour l’instant exclues par le Premier ministre, nous ne pourrions tenir l’objectif des 3% de déficit budgétaire pour 2013. Des personnes de premier plan, comme le Président de l’Assemblée Nationale, M. Claude Bartolonne2, ont déjà lancé des ballons d’essais sur ce point. Mais, la réalité risque de s’avérer en vérité bien plus sérieuse qu’un écart de 0,5% entre les prévisions et le résultat définitif.

Facteurs positifs et négatifs

Commençons par faire l’inventaire des facteurs qui vont peser sur la croissance.

  • (a) L’ajustement budgétaire et fiscal. Ce dernier doit porter sur 30 milliards d’Euros, soit 1,5% du PIB. L’impact sur la croissance dépendra bien évidemment du « multiplicateur des dépenses publiques »3. On sait que ce dernier oscille de 0,7 dans les modèles utilisés en prévision à des valeurs constatées (et non prévues…) de 1,7 à 2,2 pour le cas de l’Espagne et de l’Italie. Si la valeur effective du multiplicateur n’est que de 1,2, cela signifie qu’une conjonction de hausse des impôts et de baisses des dépenses de 1,5% du PIB devrait entraîner une contraction de 1,8% de ce dernier. Si la valeur du « multiplicateur » atteint 2 (intermédiaire entre la valeur observée sur l’Espagne et sur l’Italie), c’est à une baisse de 3% de la croissance qu’il faut s’attendre. Ces projections, appliquées à la prévision réalisée en mai 2012 par l’OCDE impliquent une contraction de l’activité en 2013 comprise entre -0,6% et -1,8%.
  • (b) L’impact des politiques d’austérité menées dans les autres pays. Les pays dans le voisinage immédiat de la France (Espagne, Italie, Grande-Bretagne) conduisent aussi des politiques violentes d’austérité. Ceci devrait avoir un effet très négatif sur les exportations françaises en 2013.
  • (c) La contraction de la demande intérieure. Par ailleurs, la contraction de la demande intérieure risque d’être plus élevée que prévue car, avec la détérioration rapide de la situation de l’emploi, il faut s’attendre à ce que l’épargne de précaution des ménages (variable qui est traitée de manière très discutable dans les modèles de prévision) augmente. Dès lors, outre les prélèvements sur les revenus des ménages et des entreprises, une partie supplémentaire du revenu des ménages restant ne sera pas dépensée en consommation mais sera épargnée. Ceci va entraîner une baisse plus profonde que prévue de la consommation, et donc de la demande pour les entreprises.
  • (d) Les anticipations des entrepreneurs. C’est aujourd’hui un cliché de dire que ces anticipations sont assez négatives. Les entreprises, escomptant une baisse de la demande, vont elles-mêmes réduire leur volume de production, quitte si elle ont sous-estimé la demande à accroître leurs prix. La baisse de l’investissement qui en résultera va contribuer d’autant plus à la baisse de la demande globale.

Face à ces perspectives peu engageantes, de quoi dispose le gouvernement pour relancer l’activité ?

  • (a) De la Banque Publique d’Investissement, qui doit procurer aux petites et moyennes entreprises des financements de l’ordre de 10% de leurs besoins (20 milliards d’Euros par rapports à 200 milliards de besoins exprimés). Ce n’est pas négligeable, mais ne saurait en aucun cas être suffisant pour relancer l’investissement.
  • (b) D’une petite partie des 40 milliards annuels d’investissements que le gouvernement a arrachés à l’Allemagne en contrepartie à son engagement à faire voter le TSCG.

Ces éléments positifs sont, et on le regrette, très loin de compenser les éléments négatifs que l’on a cités. La croissance réelle en 2013 sera bien plus probablement comprise entre -0,5% et -0,8% que proche des +0,8% auxquels s’accroche avec l’énergie du désespoir le gouvernement.

En conséquences

On doit donc s’attendre à un écart compris entre -1,3% et -1,6% entre les prévisions du gouvernement et la réalité. Cet écart signifie deux choses.

  • (i) Le PIB sera inférieur aux prévisions de 26 à 32 milliards d’Euros en 2013. Cela signifie une baisse des recettes fiscales de 11,7 milliards à 14,4 milliards.
  • (ii) La hausse du chômage sera supérieure à ce qui est attendu aujourd’hui, comme nous l’avons déjà indiqué à de multiples reprises. Ceci devrait entraîner entre 3 et 5 milliards de dépenses supplémentaires.

On aboutit donc à un surcroît de déficit compris entre 15 milliards et 19,5 milliards. Autrement dit le déficit devrait se monter non à 3% du PIB mais entre 3,75% et 4% du PIB. Le gouvernement devra alors soit prélever entre 15 et 19,5 milliards d’impôts supplémentaires (ou réaliser de nouvelles compressions de dépenses publiques), avec des effets désastreux pour la croissance4, soit se décider à laisser filer le déficit budgétaire. Il est en fait probable qu’il choisisse la seconde solution. Néanmoins, nous ne pourrions toujours pas atteindre en 2014 l’objectif des 3% de déficit budgétaire, et ceci sans même supposer un choc externe majeur qui peut se produire en provenance d’Espagne ou d’Italie. La question qui doit maintenant être posée est de savoir pourquoi le gouvernement s’enferre-t-il dans une politique qui n’a aucune chance d’aboutir et qui, par-dessus le marché, nous mettra en contravention avec un traité que nous avons signé. Il n’y a là ni raison ni logique. Seule l’idéologie commune à une partie de la « gauche » et de la droite peut expliquer ce comportement. Ce qui est effrayant dans la situation actuelle est moins la réalité de l’économie, qui – on l’accorde – n’a rien qui puisse réjouir le cœur, que l’écart entre une représentation « officielle », appuyée par une partie de la presse et cette même réalité qui, inéluctablement, finira par s’imposer. Lénine faisait remarquer que « les faits sont têtus »5. Ces faits ne conduiront certes pas à l’insurrection (du moins pas encore) mais ils condamnent de manière irrémédiable la politique du gouvernement qui consiste à s’aligner sur le cours austéritaire dicté par Mme Merkel. De ce point de vue, il convient de dire que ce qui reste de l’UMP, quand on ne passe pas son temps à se déchirer ou dans combinaisons politiques aux accents ubuesques, ne propose pas autre chose. La politique économique du gouvernement appartient à une époque révolue. Contre la récession dans laquelle nous sommes déjà, et surtout contre la dépression qui menace de s’abattre sur la France avec son cortège d’un chômage augmentant de manière terrible et rapide, il faut d’urgence une autre politique.

 

Quand le gouvernement marche sur la tête…”, Jacques Sapir, billet publié sur le carnet Russeurope le 24/10/2012 ; Article également disponible sur Ragemag et sur forum de Lyon.

 

En savoir plus sur Jacques Sapir :

Diplômé de l’institut d’Études Politiques de Paris en 1976 (avec les félicitations du jury), j’ai soutenu un Doctorat de 3ème cycle sur l’organisation du travail en URSS entre 1920 et 1940 (EHESS, 1980) puis un Doctorat d’État en économie, consacré aux cycles d’investissements dans l’économie soviétique (Paris-X, 1986). J’ai enseigné la macroéconomie et l’économie financière à l’Université de Paris-X Nanterre de 1982 à 1990, et à l’ENSAE (1989-1996) avant d’entrer à l’ École des Hautes Études en Sciences Sociales en 1990. J’exerce la fonction de Directeur d’Études depuis 1996 et dirige le Centre d’Études des Modes d’Industrialisation (CEMI-EHESS). J’ai aussi enseigné en Russie au Haut Collège d’Économie (1993-2000) et j’enseigne actuellement à l’Ecole d’Économie de Moscou (qui fait partie de l’Université de Moscou). Mes travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Après plusieurs années de recherches sur l’économie soviétique je me suis orienté vers les problèmes de la transition. Je co-anime depuis 1991 avec le professeur Ivanter de l’Institut de Prévision de l’Économie Nationale (INP-RAN) le Séminaire Franco-Russe sur les problèmes monétaires et financiers de la transition en Russie, qui réunit deux fois par an des chercheurs et que des membres des administrations des deux pays. J’ai eu la responsabilité de recherches sur les aspects macroéconomiques et structurels de la transition, concernant en particulier les problèmes du développement régional en Russie et la politique industrielle. J’ai été responsable scientifique du séminaire intergouvernemental Franco-Russe sur l’efficacité énergétique (Moscou-2004). J’ai développé un programme de recherches sur les instabilités financières à partir de 1997 et est intervenu à plusieurs reprises auprès du gouvernement russe en 1998/1999 à la suite de la crise financière que le pays avait connue. J’ai poursuivi mes recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 je me suis très impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.

La rédaction

Crée en 2008, la rédaction du Lyon Bondy Blog s'applique à proposer une information locale différente et complémentaire des médias traditionnels.

Voir tous les articles de La rédaction →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *