« Prisonption » d’innocence

Au stade de la détention, il y a bien souvent une décision judiciaire effective concernant une partie de la population carcérale. Il n’est reste pas moins qu’en moyenne, près du tiers des détenus ne sont pas encore jugés.

prisonption d'innocenceL’une des particularités du système judiciaire français est d’être de type inquisitoire. Il s’agit d ‘un système où l’aveu prévaut sur toute autre considération. A défaut d’aveu, l’établissement de la preuve est à la charge de l’accusation, et le doute doit par conséquent, profiter à la défense. Pour autant, l’article 144 du code de procédure pénale décline 7 cas où la mise en détention provisoire est possible. On peut donc se retrouver dans une procédure, où la mise sous écrous est immédiate, sans pour autant être considéré coupable. Un non-sens quand on imagine la difficulté à se défendre depuis une cellule. Cette situation reste un obstacle majeur s’agissant du droit à la défense.

Dans une procédure en correctionnelle, lorsque la peine encourue excède trois années, le délai de l’instruction peut aller jusqu’à deux années. Le délai maximum pour une procédure de mise en examen aux assises est la même. Des mandats de dépôts, provisoires, de quatre mois sont renouvelables jusque cinq fois en correctionnelle. Aux assises les mandats sont d’une année, renouvelables deux fois. Il est donc possible de rester deux ans en prison, sans avoir de date de jugement.

Petite incision du monde carcéral dans le débat, et l’on apprend qu’il est interdit de posséder le code de procédure pénale en cellule. Celui-ci n’est alors consultable que lors de l’accès à la bibliothèque, à raison d’une heure, une semaine sur deux, selon les établissements. On a beau être inspiré par le sens de la justice du roi Salomon, encore faut-il avoir une mémoire photographique. Convenons que la lecture du Vidal ne s’improvise pas, mais tout de même.

Bien sûr, le droit garantie l’accès des deux parties aux pièces versées au dossier. Les éléments de l’enquête sont bien disponibles au palais de justice, mais seul un avocat peut y accéder, et pour peu que l’on ait un défenseur oublieux de son abonnement aux transports en communs…

La confidentialité des courriers entre un mis en examen et son avocat est également de mise, légalement. Il n’est pas rare cependant, pour peu que l’enveloppe soit trop conséquente, que le courrier soit ouvert par le personnel pénitentiaire. A qui aller se plaindre, dans ce cas puisque ceux-la même à qui l’on se plaindrait serait ceux qui auraient ouvert le courrier. C’est le roi Ubu en prison…

Demande de mise en liberté provisoire : une procédure à rebond qui peut s’éterniser

L’accusé peut toujours interjeter appel de sa mise en détention préventive. Il peut faire une demande de mise en liberté auprès du juge d’instruction, (Art 138 CPP). A celui, donc qui a fait la demande de mise en détention auprès du juge des libertés et de la détention. En cas de refus du juge d’instruction, c’est le procureur qui statut sur la demande de liberté. Rappelons que le procureur est le premier à demander la détention au tout début de la procédure en décidant de poursuivre contre le mis en examen. En cas de refus de liberté du procureur, c’est au juge aux libertés et de la détention de se saisir de la demande. Soulignons qu’il est celui qui a mis, légalement, le détenu en prison. En cas de refus à nouveau, la demande passe devant la chambre de l’instruction. Concrètement, cela peut prendre d’abord six jours, et encore vingt jours ouvrables. Kafkaïen, non ?Toujours prompt à faciliter la tâche de l’innocent, l’administration pénitentiaire participe de la demande du prisonnier. Il s’organise alors une extraction judiciaire, depuis la prison jusqu’au palais, à chaque demande de mise en liberté. Cela signifie, une fouille à corps au départ, une fouille à corps à l’arrivée, et ce, à l’aller comme au retour. Soit un total de quatre fouilles à corps à minima par extraction. Même un esprit coquin peut finir par s’en lasser.

A la discrétion du juge

Il en est de même lors des audiences en jugement. Si le procès dure trois jours, le mis en examens aura droit à douze fouilles à corps. Il est à noter que dans une procédure aux assises, on ne peut se présenter librement, l’accusé doit donc se constituer prisonnier à minima, la veille du premier jour d’audience.

Nous n’aborderons pas la condition du transport, ni celles de l’état des cellules de la plupart des palais de justice français.

L’avocat du mis en examen peut, de son coté, déposer des demandes d’actes, en vue de vérifications, de compléments d’instruction ou d’expertises, sans pouvoir les imposer. En clair, toutes les demandes du défenseur relèvent du bon vouloir, ou non, du juge instructeur.

Si la conviction du juge d’instruction, principalement, tend vers l’accusation du prévenu, l’avocat n’est plus présent qu’afin de veiller à ce que la procédure ne souffre pas d’irrégularités, sur la forme. D’ailleurs la présence du défenseur en audition dans le bureau du magistrat instructeur date de 1900, afin essentiellement de s’assurer que les réponses de son client sont bien celles dictées au greffe par le juge.

Enfin, cela ne marque pas les esprits en faveur du présumé innocent, lorsque celui-ci arrive au palais, menotté, et escorté d’agents de la force publique. En vertu de l’adage qu’il n’y a pas de fumée sans feu, il ne peut y avoir d’innocent en prison. En somme, un doute initial, chez les policiers ou les gendarmes, puis un soupçon dans le bureau du juge d’instruction, une suspicion auprès du juge aux libertés et de la détention et un brin de conviction du procureur peuvent finir en intime conviction au jugement.

Coup de bambou à la barre

Par ailleurs, il n’est pas inconcevable, après des mois de détention, que même un innocent n’ait plus la fougue à se défendre que l’on pourrait attendre. L’usage de camisole chimique, à grand renfort de « prosac » et de « subutex » est très répandu en prison. Ajouté à un quotidien lénifiant, fait de 22 heures de présence dans 9 m², cela n’aide pas. Il n’est pas rare, non plus, que quelques semaines de prisons suffisent à perdre son emploi, et soit source d’un divorce ou d’une séparation. Pour peu que le mis en examen dispose du QI d’un enfant, qu’il n’ait ni famille ni ami, et qu’il soit doué de l’éloquence d’un joueur de football, et sa remise en liberté peut être remise sine die. Qui plus est, il vaut mieux être reconnu innocent en audience, car la justice n’a admis s’être trompée de jugement que huit fois depuis 1945, dans des procès en révision.

Il faut tout de même savoir que prêt de 10% des mises en examens, avec privation de liberté ou pas, aboutissent à des ordonnances de non-lieu. Le non-lieu n’est pas que le délit n’ait été commis, mais qu’il n’y a pas lieu de poursuivre, et encore moins de condamner. La relaxe, ainsi que l’acquittement sont énoncés lors de la reconnaissance de l’innocence, respectivement en correctionnelle et aux assises. En 2004, environ 600 personnes sont sorties de prison après avoir bénéficié soit d’un non-lieu, soit d’une relaxe soit d’un acquittement. En 2003, sur 47370 mises en examen 3902 se sont soldées par un non-lieu.

Sans l’ombre d’un doute, la privation de liberté reste la limite de tout système judiciaire, quand ce n’est pas la peine de mort. Dans modèle inquisitoire français, il est extrêmement compliqué de se défendre lorsque l’on est innocent, mais incarcéré. Mieux vaut alors, pour sa défense être un coupable en liberté, que d’être un innocent en prison.

David Vallat

J’ai déjà été manutentionnaire, préparateur de commande, soudeur, métallier, dépanneur, serrurier, éboueur, administrateur des ventes export, déménageur, négociateur immobilier, métreur dans le bâtiment, fleuriste, kébabiste, démineur, agent d’entretien, figurant pour des courts métrage, carrossier peintre, mécanicien auto, consultant en explosif pour le cinéma, chasseur alpin au 159 de Briançon, peintre en bâtiment, formateur sur armes légères et fusils d’assauts, pointeur mortier lourd, poseur de charpentes métalliques, restaurateur, conseiller juridique, gréviste de la faim, arbitre d’épreuve pour le brevet de moniteur de ski, comptable dans une association de malfaiteur, traducteur anglais arabe, écrivain public, élagueur pour l’office national des forets, négociant en matériel de toutes sortes, chef de chantier, conducteur de travaux. (Liste non exhaustive). Au Lyon Bondy Blog depuis mars 2012. Ma devise serait : « Mieux vaut passer pour un ignorant, mais ne pas le rester, plutôt que de le cacher, et continuer à l’être. »

Voir tous les articles de David Vallat →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *