N’en déplaise à ses détracteurs, la constitution de la cinquième république ne prévoit pas de disposition d’annulation de scrutin en cas d’abstention massive à l’élection du président de la république.
Il ne serait donc pas insensé de penser que si moins de la moitié des citoyens votait, l’autre moitié en serait quit de son exercice de la démocratie. La « demi-cratie » l’emporterait…
Pour autant, peut-on obliger, en démocratie, à se rendre à l’isoloir ? Le débat se situe sur un plan philosophique, puisque l’injonction « soit libre » peut se révéler, en elle-même, comme une forme de tyrannie.
Cependant, les cassandres des statistiques présagent, dans les entrailles des bulletins de sondages, et à l’instar des devins de l’antiquité avant une bataille, que l’abstention serait de 32%. Si l’avenir sera ce qu’il sera, que nous dit le passé sur la question ?
Le plus fort taux d’abstention à l’élection présidentielle, se situe dès la seconde fois que les Français votent pour un président par suffrage direct, soit à hauteur de 31,1 % lors du second tour en 1969. On aurait pu penser que cela ne se produirait pas aussi vite. A contrario, la plus forte participation ne se déroule pas lors du face à face Chirac-Le Pen, comme on pourrait le croire, mais a lieu en 1974 au 2eme tour, avec seulement 12,7 %.
Il serait possible aux spécialistes de la politique française de donner une explication sur les deux cas ci-dessus. Mais tout analyste serait bien en peine de faire des prévisions d’abstention sur base d’observation du passé.
Considérons cependant, que le parti des sans voix reste potentiellement le plus important de notre pays. En revanche, ce serait parfaitement hasardeux de le considérer comme un groupe homogène. Entre les extrêmes de tous bords, qui mettent l’index tous les « brises mou », les modérés qui appellent de leurs vœux un œcuménisme béat d’idées, les déçus qui pensent que cela ne sert plus à grand-chose de voter, et tous les autres, ne serions nous pas dans l’expression d’un paradoxe français ?
En effet, il n’est pas à exclure que la menace d’abstention soit l’une des plus fortes motivations des candidats. Souvenons-nous que l’écart est souvent très tenu entre le vainqueur et le vaincu au deuxième tour, hormis en 2003. La victoire peut donc se jouer sur la frange des indécis parmi les abstentionnistes. Ce vivier d’électeurs à séduire, demande plus d’efforts de persuasion, que cela n’est le cas lors de meeting où l’on prêche des convertis. Convaincre des indécis requière que l’on innove. Cet exercice est certainement l’un des plus périlleux pour un présidentiable. Risquer un acquis pour un probable est sans doute le calcul le plus risqué qui soit dans la course à l’Elysée.
A ce titre, on peut envisager l’hypothèse, que l’abstention, toute proportion gardée, serait une garantie de démocratie, puisque le silence participe aussi du droit d’expression. C’est là que se situerait le paradoxe français, car le consensus ne fait pas vraiment parti de notre culture. Des lors, nous serions bien en peine de trancher sur la question de l’abstention, en termes de liberté de ne pas aller voter, si ce n’était peut être par un referendum…
Rappelons simplement que le droit de vote est un droit acquis de haute lutte, et que si le silence est d’or, la démocratie n’a pas de prix.