Maire de Vénissieux de 1985 à 2009, André Gerin est conseillé municipal lors du lancement de la Marche aux Minguettes, quartier populaire où vivent des personnes issues de l’immigration nord africaine. 30 ans après, le député-maire revient sur les circonstances de la Marche et analyse l’échec de sa commune et de la France à gérer ses quartiers populaires. Rencontre avec ce politicien atypique et résolument sincère, qui regrette de n’avoir pas tiré la sonnette d’alarme dès le début des années 80.
Quelle était l’atmosphère économique et sociale aux Minguettes dans les années 70 ?
André Gerin : J’habite déjà à cette époque sur le plateau des Minguettes. En 1976, nous sommes au début de la désindustrialisation. En 1974, l’usine Berliet, de Vénissieux, compte 12 500 salariés. Aujourd’hui elle en compte moins de 2 000. C’est donc le début d’un déclin progressif, mais réel. Après la guerre, nous avons construit des habitations qui visaient à sortir des taudis. Mais ce sont des habitations uniformes, qui ne correspondent pas aux exigences qui se forment à cette époque d’un habitat individuel. Quelques petites tensions commencent à apparaître. En 1976, la ville prend l’initiative d’un conseil municipal exceptionnel. Il porte sur des petites incivilités, des problèmes de voisinage, des pares-brise cassés… Rien d’exceptionnel.
« Dès cette époque il y a un grand décalage entre la politique nationale et les besoins sur le terrain. On minimisait le problème. »
Était-il possible de prévenir la situation, qui va s’empirer au fil des ans ?
Ce conseil municipal était une tentative de réponse. La ville a construit plus de groupes scolaires, a développé des associations de locataires… mais dès cette époque il y a un grand décalage entre la politique nationale et les besoins sur le terrain. On minimisait le problème.
Il n’y a donc pas de prise de conscience directe du phénomène ?
Non. Personnellement, il m’a fallu 10 ans pour en prendre conscience.
Pourtant c’est à cette époque que les classes moyennes quittent les Minguettes…
Oui, en 1984 on se retrouve avec 2300 logements vides…
Comment a été perçue la Marche par l’équipe municipale de 1983 ? Quelles ont été vos relations avec les marcheurs ?
A l’époque, la municipalité a pris cela avec des pincettes. Le Parti Communiste Français a pris les choses en cours de route. Il a vraiment pris position 5 jours avant l’arrivée des marcheurs à Paris ! Au comité central, on voyait tout ça de très loin…
« On ne comprenait pas cette explosion qui vient des enfants français de l’immigration. »
Et vous, en tant qu’élu de terrain, comment expliquez-vous le fait de n’avoir pas vu venir les choses ?
Je vais être très honnête avec vous : je respectais totalement la discipline du parti. A cette époque, l’élite du parti est en déphasage, mais pas seulement. Les militants aussi sont partagés. On ne comprend pas cette explosion qui vient des enfants français de l’immigration. On ne comprend pas qu’il y a un mouvement de fond. En gros et pour caricaturer, on se dit: « Mais pourquoi viennent-ils nous faire chier ?! » Peut-être qu’on a fermé les yeux, mais on était totalement déstabilisés.
Dans votre livre Les ghettos de la République, vous déplorez un certain manque de moyen pour les maires de France…
C’est de pire en pire. Les événements des Minguettes ont joué un rôle positif dans l’agglomération. On a moins de retard que certains secteurs de France. La médiatisation des événements de Vénissieux a fait que Pierre Mauroy [NDLR : premier ministre de 1981 à 1984] a pris les choses au sérieux. Il a mis en place les ZEP (Zone d’éducation Prioritaire), avec cette idée qu’il faut donner plus à ceux qui ont moins.
Comment expliquez-vous la ghettoïsation de ces quartiers ?
11% du logement social est concentré sur Vénissieux. Aujourd’hui rien n’a changé: le maire de Lyon, Gérard Collomb, a fait récemment réhabiliter le quartier de la Duchère [NDLR : 9ème arrondissement de Lyon]. Il a détruit 30% de logements sociaux, qui seront transférés là où il y en a déjà beaucoup : à Vénissieux, St Fons, Saint Priest… On continue à concentrer des gens en situation de difficulté, ce qui fait un repoussoir à la mixité.
Pensez-vous que la mixité sociale soit la clé de l’intégration ?
Non, la clé c’est d’abord le boulot. Il y a 40, voir 50% de chômage dans certains quartiers !
N’est-ce pas aussi dû à un certain racisme latent dans la société française ?
Pas seulement : si j’habite à Vénissieux, je suis stigmatisé. Si j’habite sur le plateau des Minguettes, je le suis une seconde fois. Si je travaille comme ouvrier, je le suis une troisième fois. Et enfin, si je suis d’origine maghrébine je suis stigmatisé une quatrième fois. Les trafiquants ainsi que les fondamentalistes exploitent cette France à plusieurs vitesses.
Propos recueillis par Sylvain Ortega et Maxime Hanssen