Se saisissant pleinement de l’actualité ukrainienne, le meeting en plein air de Jean-Luc Mélenchon à Croix-Rousse était consacré à la paix et plus largement aux questions géopolitiques. L’occasion pour le candidat de tester sa crédibilité en tant qu’hypothétique chef des relations internationales.
Ses adversaires lui reprochaient de faire preuve de complaisance envers les décisions de Vladimir Poutine, voire de légitimer l’invasion de l’Ukraine : Jean-Luc Mélenchon a profité de son meeting à Croix-Rousse ce dimanche pour clarifier une bonne fois pour toute sa position aux yeux du grand public. « Je ne veux pas de la guerre de Monsieur Poutine ni de son ordre mondial (…) comprendre n’est pas excuser (…), ceux qui ont déclenché cette guerre ne peuvent recevoir de notre part que mépris et mobilisation acharnée pour les faire échouer », scande-t-il.Le candidat affirme bel et bien que Poutine est le seul responsable et rappelle son soutien à la résistance russe par la lecture d’une lettre d’universitaires russes exhortant leur peuple à se mobiliser pour la paix.
Crédité d’au moins 10% des intentions de vote dans les sondages, le leader de l’Union Populaire, qui souhaite s’imposer comme le vote utile à gauche, a pris le parti d’exposer plus brièvement ses thèmes de prédilection comme la redistribution des richesses. Il a préféré compléter son panel en explicitant ses projets en termes de politique internationale, tant diplomatique qu’économique, afin de renforcer sa crédibilité de potentiel chef d’État. Au programme, une diplomatie française indépendante et altermondialiste.
Une rétrospective historique convenue de l’importance de la paix
Avant le début officiel du meeting à 15h, une vidéo qui rassemble les interventions d’acteurs divers à propos de l’attitude à adopter face à la politique agressive de la Russie est projetée. Les voix de Bernie Sanders, Nicolas Sarkozy, Alexei Sakhnin (opposant russe au régime de Vladimir Poutine), de Mélenchon lui-même et bien d’autres se succèdent. L’assistance est attentive. C’est Aurélie Trouvé, enseignante chercheuse en économie et présidente du parlement de l’Union Populaire, qui ouvre finalement le meeting. Elle qualifie le programme de « rupture économique, sociale et écologique » et souligne l’importance de la souveraineté des peuples, de la paix et de la solidarité internationale. Les partisans scandent déjà des « On va ga-gner ! ».
Cependant, le premier quart d’heure du meeting contribue à refroidir le public avec plus d’ardeur que la bise. Ils sont pourtant plus de 15 000, d’après les chiffres de l’équipe de campagne, à être rassemblés Place du Gros Cailloux. La rencontre se transforme en une succession de lectures de textes sur la paix, d’Érasme à Simone Veil, notamment par Albert Lévy, ancien magistrat lyonnais et l’actrice Sophie de La Rochefoucauld. Les applaudissements sont plutôt timides. Le rapeur camerounais Valsero, dont les morceaux ont encadré la lecture des discours, peine à réchauffer l’ambiance. Il incarne néanmoins la volonté de Mélenchon de réviser les relations entre la France et l’Afrique, libérées des restes de colonialisme : « Si j’étais Français, je voterais Mélenchon pour que les français se sentent africains », clame-t-il.
Une sortie de l’OTAN au profit d’alliances altermondialistes
Le candidat à la présidentielle se saisit pleinement des failles révélées par la crise ukrainienne afin d’exposer quelles seraient ses prises de décision en tant que chef des armées, un thème sur lequel on l’attendait peu. Il dramatise l’enjeu de ces élections au vu de l’actualité internationale : « Votre bulletin de vote aura une signification au sens mondial et européen ». Une des lignes de force de sa politique étrangère réside dans le non-alignement, qui diffère, rappelle-t-il, de la neutralité. Il veut quitter l’OTAN, qui ne provoque que de l’« agitation » et des « tensions ». Il appelle de ses vœux des alliances altermondialistes partant du bien commun et garantes d’avancées écologiques.
Les risques nucléaires qui planent sur la guerre en Ukraine sont l’opportunité pour Mélanchon de justifier son désir d’abandonner cette énergie, un sujet qui fait débat avec ses opposants à droite comme à gauche. Globalement, il soutient que « la manière d’organiser la défense doit être repensée », notamment par la sortie du nucléaire. Il souhaite convoquer une conférence extraordinaire de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) afin de discuter de la question des frontières, disputées d’après lui par un quart des pays d’Europe. Devra être convenu lors de cet évènement la suppression des missiles nucléaires pouvant atteindre la France. Dans un refus global de l’escalade militaire et diplomatique, il imagine plus largement une discussion avec les pays-non alignés sur la dissuasion nucléaire, notamment pour l’organisation d’un désarmement.
Une nouvelle redistribution des richesses pour réduire les inégalités
Le deuxième temps du meeting est consacré aux sujets nationaux, notamment à son attendue dénonciation des inégalités : « nous allons cesser le pillage du pays par une poignée de gens », « faites cessez la fête des riches et commencez celle du peuple », « nous allons renverser une nouvelle fois une société de privilèges » a-t-il déclaré. L’opposition à l’extrême droite est plutôt mise de côté pour se concentrer sur la dénonciation du quinquennat Macron en matière de politique sociale : « il a provoqué un ruissèlement vers le haut, ce qui s’appelle en fait un aspirateur ». Il clame sous les huées complices du public : « 5 milliardaires possèdent autant que 27 millions de français ». Il insiste sur la « honte » pour la France que représente les citoyens qui se pressent à l’aide alimentaire parmi les 9 millions de pauvres.
Les clameurs les plus fortes se font entendre quand il expose ses propositions souvent qualifiées de démagogiques : « Plus personne ne pourra hériter de plus de 12 millions d’euros, tout le reste sera reversé aux étudiants ». Il souhaite également rétablir l’Impôt Sur la Fortune (ISF) sous forme d’un impôt progressif, exprime sa volonté de mettre en place un décret d’urgence sociale afin de bloquer les prix de l’énergie, des loyers et passer le SMIC à 1400 euros nets. Sur la question sensible des retraites, il tentera de passer l’âge de la retraite à 60 ans pour 40 annuités.
Une planification économique et écologique
Il évoque l’un des éléments les plus controversé de son programme : la planification économique. Il faut selon lui « gouverner par les besoins », notamment pour faire face à l’urgence climatique. Il s’agit alors de « lutter contre le système capitaliste de notre époque » en « organisant la production et la consommation » afin de « composer avec les cycles de la nature elle-même ». S’il est élu président, « tout le monde va se retrousser les manches » pour sortir du nucléaire et parvenir à 100% d’énergies renouvelables, par exemple en construisant des éoliennes offshores. La planification écologique permettra selon lui de « reconquérir le temps long ». Il clôt sa performance par la lecture d’un texte d’Albert Camus sur la paix, qui, en évoquant les catastrophes d’Hiroshima et Nagasaki, rappelle la nécessité de bâtir une véritable société internationale en sortant du nucléaire.
Avec plusieurs milliers de participants, ce meeting en plein-air de Jean-Luc Mélenchon est une démonstration de force dans le quartier déjà conquis à gauche de Croix-Rousse, où Christiane Taubira s’était rendue elle aussi en janvier dernier. Il souhaite être « le premier président qui tiendra parole à la tête de l’État », et a lancé sur le ton du défi « Craignez-moi, puissants ! »… affaire à suivre lors de son prochain meeting le 20 mars à Paris.