Mafiosi et politiciens : chiens et chats ou larrons en foire ?

La mafia évoque immédiatement les règlements de comptes, les trafics et dépassements auxquels se livrent ses membres. Dans l’imaginaire collectif, le mafieux est un italien ou italo-américain, tiré à quatre épingles et gominé. Se prévalant d’un grand sens de la famille, il n’hésite pas à entrer en guerre pour défendre l’honneur ou les intérêts de son clan.

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La vie est précaire pour le mafioso piégé entre des rivaux souhaitant l’abattre et des autorités voulant le prendre. Ce «soldat» porte la mort. Il la délivre, il la reçoit. En magnifiant une dualité entre esthétisme et violence, la culture a largement contribué à construire la perception que nous avons de ce phénomène. L’aura romantique entourant les mafiosi est indéniable. Malgré les nécessités artistiques, le cinéma, la littérature ont tenu à présenter, parallèlement, le côté trivial, «crasseux» de la Mafia et ses interactions avec les sphères économiques et politiques.

Légaliser son activité.

 

La Mafia est une association secrète d’origine sicilienne apparue dès le début du XIXème siècle sous l’impulsion de grands propriétaires terriens souhaitant ordonner l’administration de leur fief. Elle a ensuite évolué en «organisation criminelle clandestine, usant de moyens illégaux, notamment la violence, pour pratiquer des activités illicites et défendre ses intérêts particuliers». Le trafic d’armes ou de drogue, les réseaux de prostitution, le racket (pizzo en Sicile), et les jeux constituent les revenus illégaux de ces groupes. Ces profits sont ensuite réinvestis vers des affaires légales. Nous pouvons par exemple penser à l’immobilier, au secteur du bâtiment, des travaux publics, et à l’acquisition de commerces ou d’entreprises. La quête permanente de légalité est capitale pour les parrains. L’organisation va donc tisser des liens avec différents acteurs de la société. Ces rapports ne reposent pas seulement sur la menace puisque certains milieux en tirent largement profit. Les relations avec le monde politique illustrent assez bien cette connivence.

Une organisation prospère

Dans une société développée, la violence est monopole étatique et tout différend se règle pacifiquement. Les autorités ne peuvent tolérer le développement des mafias et de leurs codes, perçus à juste titre comme des concurrentes. En effet, les clans ont leurs lois, leurs armées et leurs réseaux d’influences. Cette vision est particulièrement marquante dans les trois volets du « Parrain » de Francis Ford Coppola. Assisté de son «consigliere», Michael Corleone y fait davantage figure de prince de la Renaissance ou de chef de gens, que de truand. Nous apprenons d’ailleurs dans ce film que les fondateurs des familles italo-américaines ont calqué leur organisation sur celle des «légions romaines, avec leurs capos et leurs soldats». Le développement d’une famille l’amène inévitablement à traiter avec les membres les plus éminents de la société. Journalistes, policiers, sénateurs et juges deviennent les obligés du Don. La famille est un «Etat dans l’Etat». Mais le chemin est long…

Le chef d’œuvre de Puzo et Coppola relate l’ascension d’un jeune immigrant sicilien forcé de quitter son pays. Travailleur honnête, le jeune Vito est emporté dans une nouvelle vie pleine de promesses. L’homme n’est pas un mauvais bougre, bien au contraire. Il rend volontiers service aux membres de sa communauté. Seulement il lui faut prendre la vie de ses adversaires et punir les contrevenants à l’ordre qu’il a instauré … L’avènement du Don est irrésistible. L’homme sera passé tour à tour du statut d’aigrefin, de trafiquant, à celui notable. Ses successeurs devront être de grands juristes. Pour mieux contourner la loi, il faut la connaître. La fin justifie les moyens. Ce précepte machiavélien prévaut chez le «prince», homme d’Etat condamné à choisir le moindre mal. Cette maxime très «politique» s’applique également aux petits voyous.

Dans un registre différent, souvenons-nous de  »Scarface ». Le héros, Tony Montana est l’opposé de Michael Corleone. Il est colérique et fait dans l’ostentation. Pensé comme un antihéros absolu, le cubain servira de modèle à un certains nombres de petites frappes. Tony le sanguin peut être survolté mais en aucun cas bête. Montana a de l’instinct, il voit cette noirceur chez les puissants qui tout en commandant sa main font bonne figure en public. Loin des libertés scénaristiques hollywoodiennes, les ententes collusives entres ces différents milieux dépassent parfois ce que nous pouvions imaginer.

De la fiction à la réalité.

Les accointances entre la Démocratie chrétienne et la Mafia sont révélées par des repentis dans le cadre de l’opération « Mani Pulite » ou « Mains propres ». L’Italie souffre d’instabilité parlementaire endémique et sort à peine des «années de plombs». Le scandale sera à la hauteur des personnalités impliquées. Parmi elles Giulio Andreotti, sept fois Président du conseil, ministre des affaires étrangères et élu sénateur à vie. Accusé d’avoir commandité l’assassinat du journaliste Carmine Pecorelli, le «Pape noir» devra répondre à l’accusation d’association mafieuse portée par le tribunal de Palerme. Afin de contrer le puissant parti communiste italien, la Démocratie chrétienne aurait sollicité le soutien électoral de Cosa nostra. Cette dernière profitera en retour des réseaux du pouvoir en place qui se gardera bien de lutter efficacement contre elle. «La pieuvre» est bien entendu chargée d’exécuter les «hautes œuvres». La politique est gangrénée par la violence. Vous ne verrez sans doute jamais un individu se balader sur le forum avec la tête dégoulinante d’un proscrit, cependant, l’élimination physique d’un gêneur n’est pas un obstacle. Cet épisode de l’histoire contemporaine italienne est retranscrite dans le fascinant « Il divo » de Paulo Sorrentino. Quittons le Palais Chigi, les secrets du « Transatlantico » pour le Sud de l’Italie et Naples, fief de la Camora.

Au quotidien.

Nous aurions tendance à oublier le côté sordide de la Mafia, les souffrances qu’elle engendre chez des populations vulnérables. « Gomorra » est un film de Matteo Garone tiré du livre de Roberto Saviano. L’œuvre décrit fidèlement le règne de parrains locaux et les ravages de la criminalité sur une partie de la jeunesse insouciante et captivée par le prestige et l’argent facile. Les autorités locales corrompues vont même porter atteinte à l’environnement et à la santé de leurs administrés en accordant à l’organisation la gestion de déchets toxiques. La Camora est impitoyable. Tous les protagonistes l’apprendrons à leurs dépends et de façon plus ou moins dramatique. Certains survivent et prennent conscience du caractère tout relatif de leur liberté. D’autres, croyant leur rite initiatique accomplis et leur place dans l’organisation acquise tombent sous les balles de leurs «capi». Pollution, night clubs glauques, drogue et violence au quotidien, tel est l’univers mafieux exposé par Saviano. Dans cette réalité cauchemardesque, les protagonistes ne sont pas des gangsters classieux ou des bandits d’honneurs. Ils peuvent avoir la bonhomie de ces méditerranéens d’âge mûr, ou l’air exaspéré qu’affichent en permanence tous les adolescents du monde. Cette tranquillité apparente est terrifiante.

Les mafias refusent l’idée d’égalité entre les individus. En cela elles s’opposent à la société organisée, civilisée, qui établit la loi comme caution pour tous. En ne reconnaissant pas d’autorité au dessus de la leur, les parrains rompent le pacte social et déclenchent «la guerre de chacun contre chacun». Cela n’est pas acceptable, ou du moins dans une certaine mesure…
Le pouvoir politique protège jalousement ses prérogatives. Les hommes cornaquant le «monstre froid» qu’est l’Etat sont aussi de grands pourvoyeurs de cadavres, et dans des proportions cataclysmiques.

Pour finir, je laisse la parole au truand Barabbas (Antony Quinn) répondant au juge romain qui énumérait ses méfaits :
« Que nous soyons avec ou contre la loi nous sommes tous les mêmes. Toi et les tiens, moi et les miens, nous vivons tous de la même façon. Ce que nous n’avons pas, nous le prenons ! […] Quand quelqu’un est contre nous, quand il nous gêne, nous le supprimons. Mon couteau a peut être tranché quelques gorges, mais que dire de vos armes, elles massacrent les gens par milliers […] ».

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