À la tête du club de football Lyon-La Duchere depuis 2021, Jean-Christophe Vincent revient sur une saison 2024-2025 contrastée, entre résultats prometteurs chez les jeunes et frustrations chez les seniors. Alors que son mandat touche à sa fin, le président du club dresse pour le Lyon Bondy Blog un bilan lucide, mêlant ambitions sportives, projet social et contraintes économiques.
C’est au début des années 1960, dans un contexte de profondes mutations urbaines et sociales au lendemain de la guerre d’Algérie, que naissent conjointement le quartier de la Duchère et son club de football. Alors que de grandes barres d’immeubles sortent de terre, le ballon rond s’impose rapidement comme un levier de lien social, d’émancipation et d’éducation pour la jeunesse duchéroise. 61 ans ont passé depuis la création du club rouge et jaune le 14 mai 1964, mais son fil conducteur reste intact : au delà du jeu, agir pour un impact social positif. Héritier de cette tradition, Jean-Christophe Vincent en reprend les rênes en mai 2021, succédant à Mohammed Tria, président de ces treize dernières années. Depuis le début de son mandat, le Directeur adjoint de 6ème Sens Immobilier entend renforcer l’ancrage territorial du club, notamment à travers un projet associatif structuré autour de plus de 80 actions sociales menées chaque année. C’est au stade de Balmont, perché au sommet de la colline emblématique du 9e arrondissement de Lyon, que Jean-Christophe Vincent nous a reçus. Sur le site historique du fort de la Duchère, dont le club intègre certains vestiges, le président de Lyon-La Duchère revient avec nous sur l’identité, les ambitions et les défis actuels du club.
Retranscription de l’interview
LBB : Bonjour Jean-Christophe Vincent, merci de nous recevoir ici, au stade de Balmont. Vous êtes à la tête du club depuis maintenant quatre ans. Si vous deviez dresser un premier bilan global – que ce soit sur le plan sportif, financier, ou humain – comment évalueriez-vous cette période ?
J.C.V : Sur le volet social, l’équipe directionnelle a réussi son pari. Nous avons multiplié les projets à destination des jeunes les plus vulnérables. Il faut rappeler que la Duchère reste l’un des quartiers les plus pauvres de Lyon. Sur le plan sportif, la saison des jeunes est une vraie réussite, puisqu’on est un lieu de formation exigeant. Nos équipes progressent, à l’image des U17 nationaux qui ont terminé deuxièmes au niveau national, derrière Saint-Etienne, mais devant des clubs professionnels comme l’OM. En revanche, je suis plus critique sur le football semi-professionnel. Le manque de redistribution financière de la part du football professionnel limite notre développement. Les petits clubs de notre taille sont condamnés à faire des allers-retours dans les niveaux nationaux sans avoir de perspective réelle.
LBB : Cette saison 2024-2025 s’est terminée récemment, avec une 2e place en National 3. Les objectifs définis en début de saison ont-ils été atteints, ou il y a-t-il un goût d’inachevé ?
J.C.V : Sportivement, c’est extrêmement décevant. Comme l’an dernier, nous terminons deuxième alors que notre objectif était clair : la montée. Pour moi, le deuxième, c’est le premier des perdants. Mais d’un point de vue économique et étant donné la difficulté à trouver des partenaires, c’est beaucoup plus raisonnable. Aller en National 2 aurait exigé des ressources financières que nous n’avons pas aujourd’hui.
LBB : Quels ont été, selon vous, les moments forts de cette saison ?
J.C.V : La performance des U17 nationaux est exceptionnelle : terminer derrière Saint-Étienne et devant l’OL, c’est un exploit pour un club de notre taille. L’équipe féminine continue également de progresser. Le niveau de l’équipe fanion augmente, et nous attendons les résultats des derniers matchs pour évaluer son évolution.

LBB : Justement, au niveau de l’équipe féminine, où en est-elle comparativement à l’équipe masculine ? Joue-t-elle ici aussi, au stade de Balmont ?
J.C.V : Aujourd’hui, les filles représentent environ 20 % de nos licenciés, ce qui est bien au-dessus de la moyenne nationale. Et avec la transformation prochaine du terrain en pelouse synthétique, nous pourrons accueillir davantage de licenciées. Jusqu’à présent, seul le groupe professionnel jouait au stade de Balmont pour ses matchs, en raison de la limite d’utilisation de 80 heures par an imposée par le gazon naturel. La mairie de Lyon a accepté notre demande de passage au synthétique, ce qui permettra un usage quotidien, bien plus adapté pour un équipement public.

LBB : Le projet d’accueillir l’OL féminin au stade de Balmont est-il toujours d’actualité ?
J.C.V : Oui, ce n’est pas du tout abandonné. Cela reste un scénario possible pour l’OL. Vincent Ponsot m’a récemment confirmé que cela restait une hypothèse. Ce sera, je pense, un sujet de campagne électorale. Nous avons conçu et proposé à l’OL un projet de stade qui respecte l’architecture et l’histoire du site, tout en intégrant les équipements publics alentours. Il pourrait accueillir 25 000 personnes, voire 35 000 à terme.
LBB : Lyon-La Duchère se définit comme un club à impact social. Comment cela se traduit-il concrètement ?
J.C.V : Chaque année, nous menons 80 projets répartis en huit thématiques. En juin, par exemple, nous avons organisé une journée autour de la transition écologique place Gisèle Halimi, avec la participation de nombreuses associations. Nous portons aussi un forum pour l’emploi, « Ton métier c’est ton but », qui existe depuis douze ans et a permis la création de plusieurs centaines d’emplois, en collaboration avec France Travail, la Maison Métropolitaine de l’Insertion et de l’Emploi, et la Caisse d’Épargne. Le 25 juin prochain, nous organisons la Journée de la citoyenneté avec les forces de police, les pompiers et l’armée. Le même jour, il y aura également l’Université ouverte de la Duchère, où la journaliste Maria Malagardis présentera son reportage sur le génocide au Rwanda. Et pendant les vacances, nos stages allient sport, inclusion et éducation : séances avec des jeunes autistes, ateliers sur la nutrition, stages d’émancipation pour les jeunes filles, ou encore formations sur la protection de l’enfance.
LBB : Un jeune attaquant formé ici a signé à la Juventus en juillet 2024. Cela a-t-il généré des retombées pour le club ? D’autres départs vers des clubs pros sont-ils prévus ?
J.C.V : Nous étions censés toucher une somme importante liée à sa formation, mais n’ayant pas pu lui proposer de contrat de travail, nous n’avons rien perçu. Nous avons même dû payer près de 30 000 euros au Tribunal arbitral du sport pour nous défendre. Quel petit club peut proposer un contrat à un mineur qui va signer à la Juventus ? C’est un non-sens. En dehors de cela, comme chaque saison, d’autres jeunes rejoignent des centres professionnels grâce à leurs performances.
LBB : Côté recrutement, vous misez donc avant tout sur la formation interne ?
J.C.V : Absolument. Dans notre équipe U17 cette saison, 90 % des joueurs étaient issus de notre propre formation. C’était loin d’être le cas il y a quatre ans, il n’y avait personne du coin. L’idée est de privilégier les talents émergents du quartier, ou des alentours, plutôt que de recruter à tout va comme le font d’autres clubs. C’est un choix de cohérence territoriale, fidèle à l’histoire du club.
LBB : En dehors du terrain, le club a-t-il évolué en interne cette année ?
J.C.V : Nous avons engagé une importante restructuration. Le club avait été pensé pour évoluer en National voire en Ligue 2. Or, ce ne sera pas le cas dans les années à venir. Là, on revient en arrière avec un certain nombre de départs de l’équipe administrative.
LBB : Le club de Lyon-La Duchère a connu d’importantes difficultés financières récemment. Comment avez-vous réussi à maintenir une dynamique positive ?
J.C.V : Cela tient en grande partie à l’engagement de mécènes privés. En particulier 6e Sens Immobilier et son dirigeant Nicolas Gagneux, qui a accepté de payer pour les erreurs du passé dont il n’était pas responsable. On a eu cette chance d’avoir un généreux mécène. Cette année, notre budget reposait à 80% sur du financement privé. Parmi les partenaires publics, le plus important est la ville de Nantes, qui nous soutient fortement, de manière presque inédite.
LBB : Quels seront vos objectifs pour le club en 2025-2026 ?
J.C.V : L’objectif est de le restructurer pour pouvoir le transmettre. J’arrive à ma cinquième année à la présidence, et j’avais annoncé que je resterai 5 ans. Nous devons continuer d’assainir les finances, en particulier après des difficultés comme celles avec l’Urssaf. Au niveau sportif, l’enjeu reste la formation : continuer d’être un club tremplin pour les jeunes du territoire. Concernant l’équipe fanion, il n’y aura pas de projet particulier cette année. On est même partis pour avoir un budget minimaliste sur l’équipe première.

Interview signée Alice MORIN.