[Liban Trip] Au pays de la lumière… commerciale

Partie pour une année d’étude au Liban, Marie Grillot a accepté de nous raconter régulièrement des tranches de vie locales. Voici la première partie de son «Libantrip».


À mon arrivée au Liban, le 14 septembre aux alentours de 22h, le sourire aux lèvres, j’observais attentivement tout ce que la pénombre donnait à voir, prête à m’imprégner d’une première impression du pays. Dehors, il faisait nuit, l’air était lourd et humide, la pollution n’était pas retombée. Mon futur colocataire et moi sommes montés dans le taxi qui nous attendait, un vieux Mercedes au compteur bloqué. Le chauffeur nous traduisit deux ou trois mots en arabe – mots qui nous semblaient imprononçables et avec lesquels nous avons fini par nous familiariser – et nous parla de l’armée, qu’un de ses proches avait combattu pendant la guerre civile, il n’y a pas si longtemps…

La première chose que j’ai remarquée aura été les lumières dans la ville. C’était la nuit, et je m’attendais naïvement à voir Beyrouth sans grande clarté. Oui, j’avoue que, dans mes pensées de française cartésienne, le Liban faisait partie des pays en voie de développement. Sur la route, plus loin, je me suis rapidement rendue compte qu’elles n’étaient pas le reflet d’un ordre retrouvé après la guerre, mais simplement le résultat d’un urbanisme inexistant et des enseignes lumineuses qui bordaient le littoral. Postée anarchiquement, la lumière des magasins le long de la côte apportait plus de clarté que les lampadaires et, une fois encore, avec mes préjugés d’Occidentale, je me demandais comment autant de magasins pouvaient fonctionner. Le niveau de vie des habitants permettait-il à ce point d’en assurer la pérennité ? À en voir les devantures luxueuses et design, il ne s’agissait pas de prestations ou de produits à bas prix !

Du néolibéral à la sauce anarchique

Toutefois, la zone dans laquelle je circule (Beirut-Jounieh) est la plus riche du pays. Après deux-trois allées-retours à l’intérieur du Liban, on ne voit rien de semblable dans les routes qui montent dans les montagnes ou qui rejoignent la Bequaa. Bien au contraire, la différence de développement est flagrante. Mais la rentabilité des magasins interroge. Il est vrai qu’il est très facile de construire et d’entreprendre ici, du fait de la faiblesse des pouvoirs publics et de la législation. Néanmoins, les prix sont quasi les mêmes qu’en France, pour un salaire minimum passé à 600.000 livres libanaises (LL) (soit 300€) (en France, le salaire minimum brut est de 1.393,82€). Dans cette autoroute bordée de magasins, seuls les buildings viennent perturber la continuité lumineuse et, plus rarement, la vue sur le littoral. Du néolibéral à la sauce anarchique en quelque sorte.
Peu de temps après, nous arrivâmes à l’auberge de jeunesse avant notre arrivée à l’appartement loué le lendemain. À peine sommes-nous installés, que la propriétaire des lieux nous prévient des fameuses coupures de courant journalières. Je m’y attendais, mais je ne pensais pas qu’elles seraient si fréquentes. Elle nous donna le mode d’emploi, que l’on peut résumer comme suit : si le courant saute, le générateur prend le relai. Notre générateur étant de 5 ampères (compter 100$ le mois pour les intéressés), le lave-linge et le frigo suffisent à faire sauter les plombs. Là, on tire à la courte paille – ou on se dévoue gentiment – pour remettre le générateur en route placé en bas de l’immeuble. C’est un joyeux bordel en bref ! Mais aussi, la conscience d’un confort privilégié, là-bas, en France (non, non, je vous épargne le discours moralisateur et culpabilisant d’être né au bon endroit et au bon moment, qui n’a jamais fait changer les choses).

Cette incapacité à produire de l’électricité en continue soulève pour moi un vrai paradoxe : le pays semble être un paradis pour les consommateurs (il accueille d’ailleurs toutes les chaines de fast-food possibles et imaginables, de MacDo à KFC en passant par Crêpe Away et Roadster, mais aussi celles de vêtements), mais le gouvernement n’arrive pas à en assurer l’approvisionnement en électricité. Bien sûr, les carences viennent de la guerre de 1975 et de la destruction d’infrastructures, mais aussi de l’arrêt du passage du pétrole en Syrie que le Liban importait d’Irak, et qui servait à faire fonctionner des centrales thermiques. Mais aujourd’hui, rien ne semble bouger et ce, essentiellement du fait de querelles politiques. La production d’électricité par l’entreprise gouvernementale «Electricité du Liban» (EDL) reste assez aléatoire et est, en ce moment, ponctuée de grèves, tandis que les propriétaires de générateurs privées vivent aisément. Encore hier, alors que j’allais en mini-bus à Beirut, les décorations de Noël illuminées bordaient la route. Comment produisent-ils l’électricité pour ça, et surtout, combien cela coûte-t-il ? Est-ce l’État qui paye ?

Quoiqu’il en soit, nous nous sommes accoutumés. Les habitudes ont commencé à prendre leurs places et nous réussissons maintenant à jongler entre électricité du gouvernement, et celle du générateur : nous branchons le chauffe-eau et la machine-à-laver avant d’aller nous coucher ; nous éteignons tout le matin en nous levant. Nous avons renoncé à l’utilisation du micro-ondes. Et nous ne vivons pas plus mal qu’avant.

Le premier mois fut donc un mois de découvertes, de prises de repères dans la ville, à la fac et de prolongation de grandes vacances. Farniente, plage, soleil, douches froides… et coupures d’électricités !

Marie Grillot

La rédaction

Crée en 2008, la rédaction du Lyon Bondy Blog s'applique à proposer une information locale différente et complémentaire des médias traditionnels.

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