Depuis des années, je passe devant cette stèle de pierre à Fleurieu-sur-Saône. Elle est posée en bord de route, modeste, presque discrète. Elle porte cette simple inscription :
« Ici ont été fusillés six Nord-Africains. »
Pas de noms. Rien d’autre qu’un anonymat figé dans le granit.
Et chaque fois que je la regarde, une même question me hante : pourquoi sont-ils encore anonymes ?
Ces hommes ont combattu, résisté, et sont morts pour la France le 24 juin 1940. Ils méritent plus qu’un simple groupe sans visage.
Pourtant, leurs identités sont connues. Elles figurent dans la base officielle du ministère des Armées,
« Mémoire des hommes »
Ces six fusillés étaient tous des soldats nord-africains, engagés dans la lutte contre le nazisme.
Des soldats, tout comme les résistants effacés de l’Histoire.
À l’école, je n’ai jamais entendu parler de ces hommes. Ni d’eux, ni des centaines de milliers de soldats venus des colonies pour défendre la France. Ce silence n’est pas un oubli. C’est une omission. Un choix.
C’est en assistant à des conférences de l’historien Kamel Mouellef que j’ai commencé à combler ce vide. Il rappelait l’ancienneté de l’engagement des soldats indigènes :

1842 : Création du premier régiment de tirailleurs algériens
1854 : Guerre de Crimée
1859 : Campagne d’Italie
1862-1867 : Expédition au Mexique
Je me rappelle d’une autre conférence organisée par l’association TRACES, à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, m’a profondément marquée. Le thème : « l’immigration en Rhône-Alpes »
À la fin, j’ai posé une question :
« Pourquoi ne nous a-t-on jamais enseigné tout cela ? »
Un historien m’a répondu sans détour :
« Les historiens ont fait leur travail, puisque vous le savez. Mais l’Éducation nationale, elle, ne l’a pas fait. Il y a eu une volonté politique d’effacer la mémoire coloniale. Même dans les mines du Nord, on continue de penser que les mineurs n’étaient que polonais ou italiens. En réalité, beaucoup de fois aussi d’Afrique. »
La stèle, l’oubli et le refus
En début d’année 2025, deux amis, Hamid et Mohamed, m’interrogent sur les fusillés de Fleurieu-sur-Saône. Je leur transmets les noms retrouvés, et décide de passer à l’action. Une demande est adressée à la mairie pour faire graver les noms sur la stèle ou obtenir l’autorisation de le faire.
La première réponse municipale, polie mais lointaine, ne nous convainc pas :
« Il n’y a pas de cérémonie le 24 juin car cette date correspond aussi à l’armistice et Vichy de 1940. Pour un hommage personnalisé, nous conseillons plutôt de se rendre sur les tombes des soldats à Chasselay. ». Et plus longe :
« La stèle de Fleurieu est un complément du monument aux morts de la mairie, pour toutes les guerres. »
Et pourtant partout ailleurs en France, les lieux d’exécution affichent les noms des fusillés. Jamais je n’ai vu écrit :
« Ici ont été fusillés six Européens »
Sans nom, sans visage et sans mémoire. Pourquoi ce traitement différencié pour ces résistants nord-africains ?
Ce silence est une injustice. Il est temps d’y mettre fin.
Une collecte de fonds pour graver leur mémoire
À l’approche du 85eme anniversaire de leur exécution, le 24 juin 2025, nous lançons une collecte citoyenne. Objectif : financer la gravure des noms sur la stèle. D’après les premiers devis, il faut compter environ 10 € par lettre. Entre les noms, prénoms, dates et lieux de naissance, plus de 200 lettres sont à graver.
Si la collecte dépasse les besoins, le surplus permettra de rémunérer un ou une jeune journaliste. Sa mission : retrouver les familles de ces hommes, pour leur rendre enfin la mémoire confisquée.
Voici les noms des fusillés de Fleurieu-sur-Saône :
- Mohand IGUEDJTAL, alias Ali – né le 8 août 1913 à Tossafit (Algérie) – 26 ans
- DJILELLI BEN MATTI – né en 1920 à Douar Kmancha, région de Marrakech (Maroc) – 20 ans
- Arezki Ben Ali IHAMMAOUCHER, alias Khammouchene – né le 27 juin 1909 à Dra Larba (Algérie) – 30 ans
- Abdellah Ben Messaoud CHEHBOUD – né le 19 mars 1911 à Douar Mausouriah, commune de Oued Marsa (Algérie) – 29 ans
- (Deux autres noms sont inconnus)

Ces hommes ont donné leur vie pour la liberté.
Ils méritent mieux que l’oubli.
Ils méritent leurs noms, dans la pierre et dans les cœurs.