Demandeurs d’asile ou mineurs non-reconnus, la plupart des habitants de l’ex-collège Maurice Scève ont été relogés provisoirement suite à l’évacuation de ses bâtiments fin octobre.
6 heures du matin, le mardi 26 octobre. Alors que s’éteint le couvre feu, plusieurs dizaines de Croix-Roussiens réveillent leur quartier au son du mégaphone. Impuissants, ils assistent à l’évacuation de ce collège désaffecté devenu, à la fin de l’été 2018, un lieu de vie pour des centaines de personnes exilées. L’opération est d’un calme inattendu, malgré l’importance du dispositif policier déployé et alors que le 6 octobre, un recensement brutal et improvisé effectué par les forces de l’ordre -à la demande de la métropole- avait laissé planer le doute sur une sortie apaisée du squat. Dans la foulée, cet atterrissage en relative douceur est rapidement vanté par la nouvelle majorité, logiquement soucieuse d’appuyer le contraste avec la politique de ces prédécesseurs et certaines expulsions survenues lors des années précédentes. Trois jours plus tard, la fermeture des lieux est même qualifiée par Bruno Bernard « [d’]exemple à suivre en termes de bonne coopération entre tous les acteurs”.
Tous à l’abri ?
Le jour de l’évacuation, aux alentours de 11 heures, avant même que le collège ne soit définitivement bouclé, les six présidents de groupes de la majorité métropolitaine s’étaient engagés avec optimisme en co-signant un communiqué intitulé “La Métropole de Lyon s’engage à reloger tous les occupants de l’ex-collège Maurice Scève”. Communiquant à son tour le lendemain matin, le Collectif Soutiens/Migrants Croix-Rousse, au centre du fonctionnement du lieu depuis son ouverture, affirme que 180 personnes ont été relogées le soir-même. Le collectif précise toutefois : “Une quarantaine d’habitants, en situation administrative précaire, ont préféré ne pas croiser les services de la préfecture et se retrouvent aujourd’hui hors des dispositifs d’hébergement proposés par la métropole. Sans solution, ceux-ci sont parfois hébergés par des particuliers, mobilisés par les anciens soutiens du squat.
Au moment de la fermeture des lieux, la plupart des habitants est provisoirement installée dans des hôtels de périphérie dans l’attente de nouvelles solutions de relogement dans des Centres d’Accueil de Demandeurs d’Asile (CADA) ou des Hébergements d’Urgence des Demandeurs d’Asile (HUDA), dans ou en-dehors de la métropole. Chose étonnante, certains d’entre eux se voient proposer une aide au retour volontaire par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), malgré leur statut de demandeur d’asile. A la suite de leur refus, plusieurs dizaines de personnes sont eux-aussi dirigés dans des hôtels de l’agglomération. La préfecture n’a pas souhaité communiquer sur le nombre de demandeurs d’asile relogés par ses soins depuis l’évacuation, nous redirigeant simplement vers le communiqué publié le jour de l’opération évoquant “près de 250 demandeurs d’asile et réfugiés […] mis à l’abri par les services de l’État” depuis le début du confinement.
Des lieux d’hébergements ouverts dans l’urgence
Pour accueillir les anciens habitants du collège, plusieurs centres d’hébergement devraient voir le jour dans les prochains mois. Avenue Rockefeller, dans le 3e arrondissement, un premier lieu modulaire a été ouvert le lundi 2 novembre, destiné à accueillir 52 mineurs du collège dans treize bungalows dotés de quatre lits chacun. Leur minorité n’ayant pas été reconnue par la métropole, les jeunes habitants du centre ont pour la plupart déposé un recours et sont en attente d’une décision du juge pour enfant. Ils ne peuvent prétendre à une prise en charge par les dispositifs de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). “Ils sont fatigués, décrit Malika Bentaleb, de l’association Le Mas, chargée de gérer le site avec l’appui de la métropole. On leur fournit une aide alimentaire, des produits d’hygiène. Là, on va se débrouiller pour leur trouver des vêtements d’hiver, parce que ça commence à cailler”. Au cours de l’existence du squat, et notamment au cours du confinement, plusieurs dizaines de mineurs reconnus comme tels avaient pu être progressivement logés par la métropole au titre de l’ASE, et conformément aux obligations légales de la collectivité. Dans les prochains mois, trois centres modulaires devraient voir le jour afin d’accueillir les personnes majeures, qui restent pour le moment hébergées en hôtel. Un effort qui s’ajouterait aux 164 places d’hébergement ouvertes ce jour dans une auberge de jeunesse du 5e arrondissement gérée par l’Entraide Pierre Valdo.
Vers plus de concertation avec les collectifs citoyens ?
Au matin de l’évacuation, une membre du collectif de soutien regrettait que celui-ci n’ait pas été plus intégré dans le processus d’évacuation : “Cela nous a un peu déçus de la part d’une métropole en faveur de la démocratie citoyenne. Quand on a un collectif qui gère depuis deux ans le lieu, il faudrait peut-être le reconnaître et travailler avec”. L’élu métropolitain Florestan Groult, présent le jour de la fermeture du squat, affirmait alors que la collectivité souhaitait désormais “associer à part entière les collectifs d’habitants et les associations qui les entourent” mais aussi “rester en suivi avec les associations qui accompagnaient le collège depuis 2 ans pour qu’on évite que des personnes soient remises à la rue”. De son côté, la Mairie de Lyon a également proposé au collectif de mettre en place un comité de suivi pour permettre aux bénévoles et aux habitants de faire un suivi du relogement ainsi que de leur situation administrative et professionnelle. Pour Sandrine Runel, adjointe aux solidarités et à l’inclusion sociale, évoque également “une plateforme qui permettrait d’accueillir dans de bonnes conditions les jeunes migrants qui pourraient arriver à Lyon : un espace facilement identifiable, où les jeunes pourraient trouver conseil sans forcément avoir besoin de passer par leurs communautés.”
“Un problème structurel” dans le manque de place en hébergement
Point final d’une période marquante pour le quartier, l’évacuation du collège Maurice Scève semblait inéluctable au vu de l’insalubrité des lieux et de la vente du terrain à Vinci. Avec sa fermeture, plusieurs centaines de places d’hébergement dans le centre-ville disparaissent du jour au lendemain, alors même que l’importance du squat semblait reconnue même dans les services métropolitains. Les nombreuses places ouvertes cet hiver ne devraient pas suffire à reloger tous ceux qui peuvent prétendre à être hébergés. Comment expliquer que des demandeurs d’asile se soient retrouvés confrontés à de telles conditions de vie, alors que leur droit à l’hébergement est garanti légalement et qu’ils devraient être pris en charge par les services de l’État ? “On a en France un problème structurel d’adaptation des places d’hébergement aux demandes d’hébergement. Personne n’a le souvenir d’une année ou il y avait de la place pour tout le monde, il y a une espèce de déficit chronique, ou de scandale permanent”, explique Jean-François Ploquin, directeur général de Forum Réfugiés-Cosi, l’association qui gère la plateforme de premier accueil des demandeurs d’asile du Rhône. Dans la dernière décennie, le doublement du parc d’hébergement destiné aux demandeurs d’asile n’a pas suffi à égaler la hausse des demandes. Dans son communiqué, le collectif des soutiens du collège Maurice Scève regrettait “qu’après n’avoir financé aucune création (de place en hébergement, ndlr) en 2020, le budget n’en prévoit que 4000 pour 2021”.