Rafika, bloggeuse du Tunisie Bondy Blog, nous livre ses impressions et réflexions vis à vis des dernières déclarations du gouvernement français, vu de Sidi Bouzid.
Affligeante. La politique française est affligeante.
Côté sud de la Méditerranée, des peuples qui se sont soulevés contre l’oppression et pour la dignité humaine. Côté nord, des peuples qui ont fait leur révolution voilà quelques siècles, se retrouvant avec des gouvernements élus par une partie de la population et qui font aujourd’hui référence à un système de valeur et de pensée vieux lui aussi de quelques siècles.
Ce débat sur les civilisations faisant tout droit référence au «choc des civilisations» de S. Huntington est une régression. Cela n’a rien de nouveau : déjà en 1550, à Valladolid en Espagne, un prêtre courageux du nom de Bartholomée de Las Casas avait réussi à « prouver » que les Indiens d’Amérique avaient une âme. De ce fait, plutôt que de les tuer, ils valaient mieux les convertir au christianisme, d’où la « mission civilisatrice » dont se sont auto-investit les Européens à cette époque. Concept qui a fait fureur durant des siècles, justifiant par là même la colonisation et l’esclavage.
C’est bien parce que des hommes pensaient avoir un sentiment de domination naturelle sur les autres peuples que de tels crimes contre le genre humain ont pu être commis et comment quelques pays européens ont dominé politiquement et économiquement l’immense majorité de l’humanité. Créant ainsi un traumatisme, un sentiment d’aliénation de sa propre identité, qui depuis a été transmise de génération en génération aux peuples longtemps opprimés. Avec le temps et surtout par le recours à la force, ces mêmes peuples dominés ont mis fin au sentiment d’ethnocentrisme (idée qu’il existe une civilisation de référence) au nom des valeurs des Lumières qui leur étaient enseignées à l’école mais dont ils ne voyaient pas l’ombre dans la pratique.
Alors ironie de l’Histoire ? Dans une période où au nom de la liberté et de la justice sociale, des individus, des jeunes en majorité, pauvres et sans espoir ont donné une leçon de courage aux élites politiques du nord qui elles, gérontophiles, issues de classes aisées (il n’y a plus en France de député issu de classe populaire depuis 2010) restent incapables de répondre aux besoins les plus primaires de l’individu : le droit de manger à sa faim, d’avoir une éducation et la chance de subvenir dignement à ses besoins.
Alors oui, Monsieur Guéant à peut-être raison. Toutes les civilisations ne se valent pas. Des jeunes qui n’avaient rien, qui n’étaient rien et que l’ont taxait trop facilement de terroristes barbus ont donné une leçon de courage au monde entier.
J’ai la chance d’évoluer dans une société qui est en train de faire sa révolution, avec des gens qui donnent tout leur sens aux termes de solidarité, d’engagement, portant au plus haut les valeurs inhérentes à la dignité humaine. Loin des discours autour de ces mêmes valeurs galvaudées par des politiques qui n’ont en tête que la conquête et le maintien au pouvoir, ces élèves de Machiavel qui ont vidé de leur substance les valeurs qui ont fait la révolution tunisienne.
Ce qui me fait réagir aussi vivement ? C’est sans doute le décalage entre la vie ici où des gens au quotidien modeste tentent d’apprivoiser ce rêve qu’ont fait un jour les peuples européens et qui s’appelle la démocratie. Comment peut-on tenir des discours aussi vieux que le colonialisme et que l’Histoire a mis en échec ?
Les Français sont-ils aussi stupides que cela Monsieur Guéant ? Ne voient-ils pas dans vos tentatives même de faire votre des valeurs, dont vos actes et vos paroles entrent tellement en contradiction, une tentative désespérée pour vous maintenir au pouvoir ?
On dit que l’homme n’a pas de mémoire. Qu’il est condamné à répéter les mêmes fautes et à tomber dans les mêmes travers. Alors espérons que pour ces prochaines présidentielles, les Français se souviennent des frasques des élites politiques qui nous ont gouvernées depuis maintenant cinq ans et ne commettent pas la même erreur.
Rafika Bendermel