Les Canuts de Lyon : Une révolution ouvrière historique

Cette semaine, la rédaction du Lyon Bondy Blog se consacre aux grandes révoltes françaises et lyonnaises, dans le cadre du 1er mai. Une révolte sociale historique pour la ville de Lyon.

La révolte des canuts, première grande insurrection ouvrière de l’histoire française, continue de résonner dans les rues de Lyon près de deux siècles après les événements. Alors que se prépare un nouveau 1er mai revendicatif dans la capitale des Gaules, retour sur cette page d’histoire sociale qui a marqué l’émergence de la conscience de classe ouvrière.

Aux origines de la colère : la « Fabrique » lyonnaise et ses tensions

À l’aube des années 1830, Lyon abrite une importante industrie de la soie, surnommée la « Fabrique« . Cette organisation de type corporatif, née sous l’Ancien Régime, structure hiérarchiquement le travail entre trois catégories : les négociants qui fournissent la matière première et commercialisent les produits finis, les chefs d’atelier (ou maîtres-ouvriers) propriétaires des métiers à tisser, et les compagnons qui travaillent pour ces derniers dans des conditions souvent difficiles.

Les canuts, ces tisseurs de soie lyonnais, sont des travailleurs qualifiés, mais ils sont soumis à des conditions de travail particulièrement rudes, avec des journées de 16 à 18 heures. Au début des années 1830, la transformation profonde de l’économie lyonnaise et la baisse des prix de façon malgré une reprise des ventes grâce à l’ouverture du marché américain les plongent dans une situation précaire. Pour défendre leurs intérêts, les canuts adoptent progressivement les idéologies socialistes naissantes et le mutuellisme. Une revendication devient centrale : l’établissement d’un tarif minimum en-dessous duquel les fabricants ne pourraient descendre.

L’insurrection de 1831 : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant »

Après des mois de tensions, le 25 octobre 1831, les canuts obtiennent avec l’appui de la chambre de commerce et du préfet du Rhône Bouvier-Dumolard, un tarif minimal signé par les représentants des ouvriers et des maîtres fabricants. Cependant, des fabricants protestent contre cet accord : le 10 novembre, 104 sur 1 400 d’entre eux réclament son abolition, allant jusqu’à priver certains chefs d’atelier de commandes.

Le 21 novembre 1831, la révolte éclate à la Croix-Rousse. Plusieurs centaines de tisseurs parcourent les rues, obligeant ceux qui travaillent encore à arrêter leurs métiers. Face à la 1ère légion de la Garde nationale, composée principalement de négociants, des coups de feu sont tirés, faisant trois morts parmi les ouvriers. Les canuts remontent alors à la Croix-Rousse en criant : « Aux armes, on assassine nos frères ».

Le 22 novembre, les combats s’intensifient. Les tisseurs de la Croix-Rousse sont rejoints par ceux des Brotteaux et de la Guillotière. Après de violents affrontements, notamment au pont Morand, les ouvriers prennent possession de la ville, à l’exception du quartier des Terreaux. Ils adoptent comme emblème le drapeau noir et la fière devise : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ». Le 24 novembre, un gouvernement provisoire est formé à l’hôtel de ville avec un conseil de 16 canuts. Mais l’ordre sera rétabli avec l’arrivée le 3 décembre du duc d’Orléans et du maréchal Soult, à la tête de 20 000 hommes. Le bilan est lourd : près de 200 morts, deux fois plus de blessés, civils et militaires. Le tarif minimum est aboli et les associations interdites au nom du libéralisme économique.

La seconde insurrection de 1834 : vers une conscience de classe

Instruits par leur premier échec, les canuts lancent le 14 février 1834 une grève générale mobilisant 60 000 ouvriers et ouvrières des soieries – la première grève générale du mouvement ouvrier français. Le 23 février, 162 fabricants acceptent la hausse des salaires et le tarif revendiqué.

Mais le 9 avril 1834, pendant le procès de tisseurs accusés de coalition et de grève, des coups de feu tirés sur la foule déclenchent une semaine d’affrontements encore plus meurtriers que la première révolte. La répression est sanglante : plus de 600 victimes, 10 000 insurgés faits prisonniers qui seront jugés dans un « procès monstre » à Paris en avril 1835, et condamnés à la déportation ou à de lourdes peines de prison. Cette deuxième révolte révèle plusieurs éléments nouveaux : une organisation quasi militaire des canuts, une volonté forte de protéger l’industrie de la soie, et surtout, l’émergence d’une véritable solidarité prolétarienne qui rompt avec l’esprit de « compagnonnage ». Les théoriciens du mouvement social considéreront que ces événements ont vu naître les embryons des futures organisations ouvrières, notamment syndicales.

Un héritage qui résonne jusqu’aux manifestations du 1er mai

La révolte des canuts marque la première grande manifestation autonome de la classe ouvrière française et aura une influence considérable sur les premiers théoriciens socialistes comme Karl Marx, Lafargue et Proudhon. Elle démontre que les travailleurs unis peuvent faire entendre leur voix et que la condition ouvrière doit désormais être prise en compte dans le champ politique.

Ce n’est donc pas un hasard si, pour le 1er mai 2025, journée internationale des travailleurs, que les syndicats donnent rendez-vous devant la plaque commémorative de la révolte des Canuts à la Croix-Rousse à midi. Une façon de rappeler les racines historiques des luttes sociales contemporaines.

La principale manifestation syndicale partira quant à elle à 10h30 du métro Garibaldi, sous le mot d’ordre « Pour la paix, pour nos retraites, pour nos salaires ». Les organisations syndicales CGT, FO, FSU, Solidaires et d’autres appellent à un « 1er mai revendicatif » pour défendre les droits des travailleurs.

Près de deux siècles après la révolte des canuts, leur devise « Vivre en travaillant ou mourir en combattant » continue d’inspirer les luttes sociales contemporaines. L’histoire de ces tisseurs lyonnais nous rappelle que les acquis sociaux sont le fruit de combats collectifs et que la mémoire des luttes passées nourrit celles du présent.

Article rédigé par Oscar Perrier.

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