Jeunesse tunisienne : ‘’Ce que nous vivions sous Bourguiba et Ben Ali’’

Pourquoi la France n’a -t- elle pas anticipé un tel soulèvement en Tunisie ? Le citoyen français se doutait il des conditions de vie de ses voisins tunisiens ? Rectification en extrait d’entretiens réalisés avec des étudiants tunisiens vivants à Lyon.

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Hassoun a 22 ans, il souhaite retourner en Tunisie pour ouvrir une affaire, il est étudiant en marketing et cherche à apporter une reconnaissance au pays, des investissements privés, ‘’un juste retour vers le pays où j’ai grandi’’.

‘’Etant ado, j’avais ‘’la haine’’ contre le système, je suis largement soulagé que Ben Ali soit parti. Ceci dit nous devons continuer à lutter pour que le RCD n’existe plus du tout. J’ai confiance en le peuple tunisien, nous avons une éducation qui nous permettra de résister à toute forme d’autoritarisme.  Nous ne somme pas sortis de ce bourbier pour rien ! ‘’

A ton avis pourquoi les tunisiens se sont-ils soulevés à ce moment, ce matin du 14 janvier 2011, et pas plus tôt ?

« Ca a été un réel ras-le-bol, on demandait avant tout du travail, une consommation normale, qui soit au moins cohérente avec le niveau de vie (le smic est à 200€ environ en Tunisie). L’économie n’était profitable qu’au RCD, aux gens de pouvoir. Internet nous a permis de nous organiser et de véhiculer ce ras-le-bol. Mais je voudrais ajouter une chose : en 2008 le peuple s’était déjà soulevé, pas à cette échelle en effet, mais de manière déjà assez notable, et cela n’avait pas été couvert médiatiquement, les manifestants avaient donc peu de défense et la rébellion n’a pas pris. »

Cette médiatisation, comment l’as tu prise, vu d’ici en France ?

« J’ai regretté que l’on ne parle pas plus des droits humains, des enjeux politiques plus qu’économiques de la situation. Prenez l’expression ‘’révolution de jasmin’’, pour moi ça ne parle pas de la source de ce soulèvement : la dignité. Il y a encore 6 mois, vous pouviez avoir fait toutes les études que vous vouliez, avoir de l’éducation, de l’esprit, voir même de l’argent, si vous n’aviez pas un ami au pouvoir ou de l’argent à donner à la police ou au RCD, vous restiez au chômage toute votre vie. C’est un peu extrême mais comment s’en sortir quand 1/3 de la population fait partie de la police ? (ndLBB 190 000 policiers pour 10 millions d’habs, contre 120 000 en France pour 65 millions d’habs)

Nous devons continuer à lutter pour qu’aucune personne qui était issue de ce parti ne soit présente dans la moindre institution étatique. »

 

Nizar a 32 ans, il a vécu en Tunisie jusqu’à ses 24 ans. Originaire de Monastir, il faisait partie de la classe moyenne, et a pu rejoindre la France pour poursuivre son doctorat, car dit-il, ‘’la recherche en Tunisie ne permettait pas d’approfondir un sujet très précis, les longueurs administratives et le peu d’emploi dans ma spécialité m’on fait choisir la France’’.

 Quel a été ton souvenir politique le plus marquant en Tunisie ?

« En 1984, j’avais 6 ans, des émeutes ont éclaté, dues à un changement de prix du pain, c’était sous Bourguiba. Les émeutiers ont poussé le gouvernement à déclarer l’état d’urgence, et à annuler les hausses décrétées. A cette époque, ce sont les étudiants qui avaient suivi la population pauvre de paysans et de chômeurs, implantée au sud du pays. La répression a été sanglante, cette violence m’a frappée. Il a fallu, là aussi, plus de 150 morts pour que Bourguiba plie. »

Quel était le quotidien des jeunes étudiants ? Comment se dessinait l’avenir ?

« Le quotidien des étudiants tunisiens était beaucoup plus morne que celui des étudiants français, qui pouvaient se battre pour leurs droits, réclamer certaines améliorations etc… En Tunisie on vous enseignait que contredire la politique du gouvernement c’était lui manquer de respect. Le directeur de mon université appartenait au parti de Ben Ali (comme beaucoup de personnes occupant un poste à hautes responsabilités), et n’importe quelle personne qui contestait le régime au pouvoir se faisait au moins virer du lycée/de la faculté. Ensuite d’autres problèmes l’attendaient. Alors non, nous n’étions pas si politisés, notre but était de terminer nos études, et pour beaucoup d’aller les approfondir en France. Pour le reste, c’était le chômage ou le copinage avec la police. Aussi la police n’était pas responsable de toute la misère tunisienne, s’ils se montraient corrompus, c’est bien parce que leurs propres salaires se résumaient à peau de chagrin, et qu’ils avaient un très bon moyen d’arrondir leur fins de mois. Ils Considéraient que c’était un simple avantage en nature dû à leur métier je pense. C’est, à mon sens Ben Ali, qui autorisait ce type d’ ’’avantages’’, qu’il faut blâmer. »

Fatma a 18 ans, elle est arrivée en septembre 2010 en France. Elle aussi est venue pour étudier, et laisse en Tunisie toute sa famille et une actualité brûlante.

Pourquoi avoir fait ce choix, est-ce simple de ‘’s’accomplir’’ à 18 ans quand on vit en Tunisie ? Est-ce nécessaire de quitter son pays, ses racines ?

« Je suis partie parce que je suis passionnée de politique, de droit. Je souhaite être avocate, une fois que j’aurai terminé mes études en France, je rentrerai en Tunisie,  j’ai plein d’espoir quant au fait d’exercer ce noble métier en Tunisie.

J’ai choisi la France parce que j’étais moi même dans un lycée français, et vous savez, même dans des établissements français il était impossible d’initier toute critique ou de poser de simples questions sur le gouvernement, le tabou était total, je pense que nous étions muselés par la peur. Je me suis passionnée pour les élections présidentielles françaises de  2007, et j’ai décidé d’étudier dans un pays démocratique.

Aujourd’hui je suis optimiste sur l’avenir de mon pays, le peuple a vaincu et nous savons maintenant qu’il est possible d’espérer un avenir épanouissant, spécialement pour nous les jeunes. »

Laura Tangre

La rédaction

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