Tribunal de Grande Instance de Lyon, comparution immédiate, le 21 avril 2017
Armel* et Meryl* sont jeunes. Mais Armel et Meryl sont majeurs. C’est pour cela qu’ils ne sont pas jugés par un tribunal pour enfants, à la différence de leurs amis impliqués aussi dans cette affaire. On leur reproche des faits de violence en réunion ayant entrainé pour deux adolescents une Incapacité Totale de Travail (ITT) de deux jours.
Les faits se sont déroulés la semaine dernière sur la Presqu’île, au cœur de la nuit. Les victimes présumées sont assises sur un banc, un groupe de filles vient leur demander des cigarettes. Soit ils n’en ont pas, soit ils refusent d’en donner, quoi qu’il en soit la réponse est négative. Le ton monte alors petit à petit entre les deux groupes, jusqu’à ce qu’Armel et ses « potes » mineurs viennent s’en mêler – ils connaissent les filles – , chahutent et frappent les deux victimes. Les filles profitent de la confusion pour voler leurs sacs.
Meryl, lui, s’est tenu en retrait de la bagarre. Mais lorsqu’une des victimes vient ensuite lui réclamer son sac, il la repousse violemment et il semblerait qu’il lui ait mis aussi un coup de poing. La police arrive quelques minutes plus tard sur les lieux et interpellent les jeunes gens. La scène s’est passée sous le regard d’une caméra de vidéosurveillance – ou vidéoprotection, comme on dit chez le législateur.
Dans le box, Armel est agité. Pas comme s’il était nerveux, simplement il a l’air d’avoir du mal à tenir en place. Il regarde le public, il regarde le tribunal, il regarde et parle à l’escorte policière derrière lui… Pour l’instant, la juge laisse faire. Il reconnait les faits mais ne semble pas entièrement d’accord avec la lecture qu’en a faite la juge. Cela se voit sur son visage, cela s’exprime dans ses gestes.
Meryl, assis juste à côté, est lui plus calme. Il reconnait partiellement les faits : il dit avec insistance qu’il n’a frappé personne, qu’il a juste repoussé.
« Pourquoi l’avez-vous frappé ? » demande la juge à Armel. « Déjà madame, j’avais commencé à boire à 16h avec des amis. Après, je ne sais plus trop… J’ai vu les petits [ses amis qui ont été les premiers à prendre part à l’altercation] qui les frappaient, moi je croyais qu’ils rigolaient. Moi je rigolais dans ma tête. – Faudrait arrêter de rigoler, vos victimes ne rigolaient pas, elles ». La juge le questionne à nouveau : « Madame, je m’en souviens même plus de cette soirée. J’avais bu, beaucoup, beaucoup. – C’est dramatique de boire à ce point. Ça n’excuse rien du tout », répond la juge, cinglante.
Elle s’intéresse ensuite à Meryl : « on vous voit sur la vidéo repousser violemment la victime. D’après les policiers qui l’ont étudié, on verrait aussi ce qui ressemble à un coup de poing [ce qu’atteste aussi la victime]. – J’ai frappé personne madame. Je l’ai repoussé violemment oui, mais je n’ai pas mis de coup de poing ». Plus tard, son avocate contestera les images vidéo. De mauvaise qualité, elles ne permettraient pas de distinguer s’il y a vraiment eu coup de poing.
C’est au tour de l’avocat d’une des parties civiles : « j’ai eu la maman de mon client au téléphone juste avant l’audience. Elle m’a dit que son fils était terrorisé, prostré chez lui. Il y a des répercussions dans la tête des gens suite à ces agressions, je ne suis pas sûr qu’Armel et Meryl le réalisent ». Elle demande aussi un « renvoi sur intérêts civils », c’est à dire que le tribunal se prononce à une date ultérieure sur la question des dommages et intérêts, car ils n’ont pas eu le temps de chiffrer les éventuels préjudices.
La procureure demande pour Armel 12 mois de prison dont 4 avec sursis, avec mandat de dépôt. Pour Meryl, 10 mois avec sursis. Elle l’égratigne au passage : « il se défend d’avoir participé, mais il était dans le groupe. Il aurait dû essayer de les séparer, enfin… dans la mesure du possible, ou alors appeler la police. C’est ce qu’on fait quand on est un citoyen ». Les avocats d’Armel et Meryl s’offusquent d’une réquisition qu’ils estiment très lourde. Meryl a un casier judiciaire vide, il fait de l’intérim et il a pour projet de passer son permis et reprendre les études. Armel, lui, a certes déjà un avertissement à son casier mais il aurait enfin trouvé sa voie, avec une promesse d’embauche en CDI dans une société de transport. Son avocate résume le dilemme : « la peine demandée est très lourde. Est-ce dans l’intérêt d’Armel et dans celui de la société de le mettre en prison pendant 8 mois ? Est-ce que cela justifie d’hypothéquer son avenir ? ». Elle réclame du sursis avec mise à l’épreuve.
Une heure plus tard, le tribunal rend son jugement. Il reconnait Armel et Meryl coupables des faits qui leur sont reprochés. Meryl écope de 6 mois avec sursis. Pour Armel, c’est 12 mois de prison dont 4 mois avec sursis, mais la peine est « aménageable ». Autrement dit, il ne sera pas forcément incarcéré, c’est le Juge d’Application des Peines qui définira la forme que prendra sa peine. La juge lui explique cette procédure, mais sans témoigner ni pédagogie ni grande patience. Résultat, Armel ne comprend pas vraiment. L’escorte policière l’emmène alors qu’il est toujours en train de montrer son incompréhension, qui se lit sur son visage. Son avocate le rassure, « je vais venir vous expliquer ». Au fond de la pièce, on entend la juge soupirer : « ce qui est le plus urgent pour lui, c’est la greffe de neurones ».
Au suivant.
* Les prénoms ont été modifiés.