À l’ère du tout numérique, la conquête de l’amour se fait désormais très fréquemment en ligne. Si 1 français sur 3 a déjà fréquenté un site de rencontres, les célibataires peuvent vite se retrouver dans la tourmente face au harcèlement et sexisme qu’abritent ces plateformes.
« J’ai matché avec un mec sur Tinder, il était finalement trop insistant et ne me plaisait pas. Je lui ai dit, mais il a tout de même continué à m’envoyer de nombreux messages sur Instagram, ce qui m’a poussé à le bloquer. C’est là qu’il s’est mis à créer des faux comptes et m’a harcelée pendant des jours. » Le harcèlement dont a été victime Alexia est monnaie courante sur le marché de l’amour en ligne. D’après une enquête IFOP de 2018 dédiée au sujet, 70 % des utilisatrices de sites de rencontres ont été victimes de body shaming ou de harcèlement sexiste sur ces plateformes.
Des dispositifs de lutte trop faibles
Lorsque le flirt tourne au harcèlement, Tinder propose une fonctionnalité qui détecte les propos injurieux et « avertit l’expéditeur que son message peut être offensant, en lui proposant d’y réfléchir à deux fois avant de l’envoyer ». Sur Adopte un Mec, une option propose de « signaler ce boulet » lorsqu’un « indélicat » passe les mailles du filet et parvient à s’inscrire. Des dispositifs de lutte contre le cyber-harcèlement qui paraissent faibles face à l’ampleur du phénomène : 6 utilisatrices sur 10 âgées de 18 à 24 ans ont déjà reçu des dick pic non sollicitées. Pour remédier à cela, l’application Once a choisi d’utiliser l’intelligence artificielle : les photos de personnes nues sont automatiquement remplacées par des photos de chats. D’après son créateur Guillaume Sempé ce nouvel algorithme, a été relativement facile à mettre en place.
Pour Laure, divorcée et utilisatrice expérimentée, les « mecs lourds” sont davantage sur les sites de rencontres gratuits. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle elle s’est résignée à souscrire des abonnements sur Meetic et Elite rencontre.
Si le marché de l’amour en ligne séduit les Français (un tiers d’entre eux affirment avoir déjà fréquenté un site de rencontre), les créateurs en profitent largement : Tinder, Happn et Adopte un mec font partie des dix applications pour lesquelles les Français ont dépensé le plus d’argent en 2020. Ces géants n’auraient-ils pas les moyens d’investir davantage dans la lutte contre le harcèlement au sein de leur plateforme ?
Sexisme décomplexé
Le harcèlement n’est pas la seule problématique rencontrée par les utilisatrices. Sur Tinder, l’application de rencontre la plus utilisée en France, les profils sont composés d’une ou plusieurs photos et d’une courte biographie. Là où, pour tenter de rencontrer d’éventuels partenaires, certains jouent la carte de l’humour, d’autres font preuve d’un sexisme totalement décomplexé. Plusieurs comptes Instagram, comme @Neurchi_de_Tinder ou @Feministe.vs.Tinder recensent profils et messages désobligeants auxquels ont été confrontés leurs abonnés.
“Ici pour soulever matin midi et soir, même pendant que tu dors” (Soulever est une expression familière signifiant faire l’amour à quelqu’un) ; “Je cherche une femme assez petite pour m’arriver à l’entrejambe et avec la tête plate pour que je puisse poser ma bière” ou encore “Y-a-t-il une femme avec des connexions neuronales plus nombreuses que les photos d’elle sur Instagram ? Parle-moi de tes derniers concerts (…) plutôt que de me montrer tes derniers selfies narcissiques” sont quelques exemples des nombreuses captures d’écran partagées sur les comptes Instagram de veille anti-sexiste.
Le physique joue un rôle fondamental
Beaucoup de commentaires concernent aussi le physique des femmes. Ce n’est d’ailleurs pas un secret, l’apparence est déterminante et les sites eux-mêmes ne s’en cachent pas : Meetic affirme que « la beauté est intérieure [mais] le physique joue un rôle fondamental dans la rencontre amoureuse, encore plus sur internet » et qu’il faut éviter les « têtes d’enterrement » ou pire encore « pas de photo du tout. »
Le site adresse également un conseil aux femmes : les photos vulgaires, aguicheuses, dénudées, et « regards de croqueuses d’hommes » sont à proscrire afin de garder un peu de mystère et être « plus attirantes. »
Adopte un Mec, qui trie les célibataires par nouvelles collections, styles ou produits régionaux, donne aussi son avis sur le sujet. Sous-couvert d’humour, on apprend qu’une personne faisant une duckface signifie qu’elle « regarde trop d’émissions de télé-réalité et [qu’il va falloir] faire cracher la carte bancaire […] et être très musclé. »
Pour Laure, le choix de la photo est d’ailleurs très compliqué, car « il faut avoir l’air sympa et naturelle mais sans paraître négligée non plus ». Elle ne se trouve pas photogénique mais ne souhaite pas pour autant « se griller en mettant une photo pourrie. » Un certain nombre d’injonctions qui ne facilitent pas la tâche aux célibataires. Si certains utilisateurs n’hésitent d’ailleurs pas à s’arranger avec la réalité en s’enlevant plusieurs kg ou quelques années, d’autres se créent de fausses identités. Ces catfish sont en réalité des personnes malveillantes qui utilisent les sites de rencontres pour détourner de l’argent ou soutirer des photos intimes.
En attendant une mise à jour des pratiques, le harcèlement, le sexisme et les arnaques donnent du fil à retordre aux âmes esseulées en quête de l’amour 2.0…
Coline Lexpert